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Accueil du site > Tribune Libre > Rencontre avec une condamnée à mort

Rencontre avec une condamnée à mort

Hélène de Montluc

Elle a dix sept ans, toute la vie devant elle et pourtant, elle ne craint pas de la sacrifier pour une évidence : les allemands doivent quitter son pays. Nous sommes en 1944, dans la région lyonnaise. Hélène porte des valises qui dissimulent des armes de papier : des tracs, des tickets, des faux papiers, des messages…

Elle vit dans le secret de son activité clandestine. Elle tait son engagement à sa famille, elle prétend se déplacer souvent pour récupérer ici ou là quelques ravitaillements pour subvenir aux besoins d'une famille nombreuse, très nombreuse même. Sa mère attend son dix-huitième enfant.

Hélène bat la compagne pour remplir ses missions secrètes et dangereuses. Dans la région, il ne fait pas bon se faire prendre, Klaus Barbie dirige la police allemande de Lyon et ses méthodes sont d'une redoutable efficacité. C'est une compatriote qui va la vendre, oui, pour de l'argent, cette motivation hideuse qui n'a de cesse de mettre les humains en action.

Tout son réseau tombera en ce début d'août 1944, si proche de la fin. Vingt huit personnes à 3 000 francs la délation, voilà un petit commerce fructueux pour la dame sans honneur. Hélène est dans le lot, elle se retrouve à Montluc en ce petit matin du x août. Commencent alors pour elle trois jours d'horreur dans les mains expertes du bourreau Barbie. Elle ne dira rien, elle saura résister à la douleur et à la peur.

Oh, Hélène ne pense pas avoir été héroïque. Elle dit simplement « J'oubliais tout ! » Elle s'était endurcie dans sa jeunesse par la pratique du sport. Vélo et Rugby, la dame avait de l'énergie à revendre et c'est grâce à cela qu'elle sut garder sa langue. De ces trois jours en enfer, elle ne veut rien dire, c'est à jamais son secret, scellé au fond de ses cauchemars …

Elle nous décrit la vie en prison, la fréquentation des cafards, les vrais, ces petites bêtes infectes qui pullulent dans cette succursale de la mort. Elle attend, elle est seule ou presque. Les mouchards, les gens suspects, les moutons sont aussi à l'intérieur. Elle trouvera Annick, sa compagne de réseau et à demi-mots, elles s'encourageront.

Hélène passe devant le tribunal spécial de la place. Son cas est vite examiné. Un procès en allemand, aucune chance de croire en l'espoir. Elle est condamnée à mort. Elle n'a plus qu'à attendre qu'on vienne la chercher pour la coller contre le mur. Tant d'autres y sont passés ! Au bout de ce chemin de ronde borgne, un mur noir, criblé d'impacts. Des traces silencieuses, des vies qui se sont arrêtées là sous la barbarie d'une idéologie qui reste tapie dans l'ombre encore aujourd'hui …

Cinq jours durant, Hélène va attendre son bourreau. Autour d'elle, la prison de Montluc est prise d'une frénésie de mort. Les Allemands sont au bout, ils savent leur fin proche et veulent l'accompagner d'un cortège d'atrocités extrêmes. Les Hommes de son réseau seront de cette cohorte de martyrs. Emmenés dans le village de Saint Genis Laval, ils seront sauvagement assassinés et leurs corps brulés sans même accorder le coup de grâce aux malheureux.

Hélène est prête, elle n'a plus peur. Elle regrette simplement tout ce qu'elle n'aura pas le temps de vivre : il reste tant à faire quand on n'a que 17 ans. Ni peur, ni angoisse, elle se lève à chaque fois que sa porte s'ouvre. Elle s'avance pour aller à sa fin. Mais à chaque fois, ce sont d'autres qui partent.

Au cinquième jour, le 24 août 1944, un Allemand entre, tire son pistolet de sa gaine, la regarde, hausse les épaules et tourne les talons. Un peu d'humanité dans ce monde de folie sanguinaire, elle doit la vie à ce doute qui a assailli un homme aux prises avec sa conscience. Le soir même, la résistance locale encercle la prison de l'horreur, la garnison se rend, Hélène vient d'échapper à la sentence.

 

Résistancement sien.


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23 réactions à cet article    


  • tiloo87 tiloo87 20 mars 2012 16:53

    « Montluc » : Elle aurait payé pour faire inverser deux consonnes de son nom ?

    Blague à part, c’est joli, mais un peu vague, comme histoire.


    • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 17:54

      tiloo87


      Que répondre à ceci
      Il vous faut un nom, je le garde pour moi. 
      On peut évoquer la pudeur ou la retenue.

      La dame à 89 ans, peut-on la laisser tranquille ?

    • Massaliote 20 mars 2012 18:33

      Que répondre en effet à ce commentaire navrant ? smiley

      Merci à l’auteur pour cet article. Des héros et des héroïnes comme cette dame, il y en a eu beaucoup plus que ne le supposent beaucoup de nos concitoyens décérébrés par le rinçage des neurones télévisuel. Remerciez Hélène de Montluc pour moi, vous qui avez le privilège de la connaître. 


    • chuppa 20 mars 2012 18:34

      @ l’auteur ; merci pour cette piqûre de rappel. Des gestes simples, un engagement, une conviction, la confiance des amis, du réseau. Tant de choses qui manquent en ce 21ème siècle ou les héros sont encore et souvent anonymes.


      • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 18:59

        Chuppa


        Admirer Hélène et se taire !
        Nous ne pouvons faire que cela ...

      • Radix Radix 20 mars 2012 18:44

        Bonjour

        Récit édifiant.

        Apparemment la « dame » qui a vendu le réseau a laissé une descendance... N’est-ce pas Tiloo 87 !

        Radix


        • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 18:59

          Radix


          Évitons ceci je vous prie avec un tel témoignage !

        • Radix Radix 20 mars 2012 21:26

          Bonjour Nabum

          Dans ce cas à quoi sert le message ?

          Radix


        • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 18:58

          Massaliote


          Je suis resté convenable et ce ne fut pas simple !

          Je n’ai pas l’honneur de connaître intimement Hélène, je l’ai simplement croisée lors de ma visite de la prison Montluc. Pouvais-je garder ce témoignage quand monsieur Guéant est ministre de l’intérieur ?

          • révolté révolté 20 mars 2012 19:08

            Il reste heureusement des « Hélène » en france mais à notre époque mieux vaut laisser croire aux assassins en col blanc qu’ils dirigent 65 millions de décérébrés,même si le chiffre réel n’en est pas loin.

            Ne jamais souhaiter ni la guerre ni la mort,mais rester prêt à se sacrifier pour ses convictions...


            • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 19:46

              Révolté


              Que les cols blancs sachent qu’il y a dans cette nation encore des êtres libres qui n’acceptent pas leurs agissements, encore moins leurs paroles et que chaque jour, le mot résistance prend un peu de sens même si nous sommes très loin encore des risques que prit Hélène à l’époque

              Les convictions fortes conduisent à des actes forts mais jusqu’où faudra-t-il aller ?

            • Jean-paul 20 mars 2012 20:22

              Au moment ou vous ecrivez l’article il y a des « milliers d’ Helene »dans le monde entier avec differentes histoires .
              C’est cela qui est triste ,que cela se passe aussi a notre epoque .


              • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 20:27

                Jean-Paul


                Qui puis-je ?
                Je me demande quel est le sens exact de cette remarque. Faut-il taire le passé au profit du seul présent ?
                Je pense que rien n’est pire que l’oubli, rien n’est plus insupportable que l’indifférence aux drames du présent.

              • Jean-paul 20 mars 2012 20:30

                C’est une compatriote qui va la vendre ,tout comme Moulin .
                La delation....il vaut mieux se taire ....que d’en parler vous semblez dire .
                Sujet tabou !


                • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 21:52

                  Jean-Paul


                  La parole est d’or ou de plomb
                  La delation n’est que la fusion de ce plomb, celui qu’il faut mettre dans quelques têtes dures ...
                  Alors on se regarde en chien de fusil et l’un de nous tire sur celui qui a trahi !

                • Annie 20 mars 2012 21:53

                  Je dois dire que c’est une histoire qui me touche, parce que lorsque l’on est originaire de Lyon ou que l’on a vécu à Lyon il est difficile de faire abstraction de l’histoire de la résistance, qu’il s’agisse de Montluc, mais aussi de ce qui est aujourd’hui l’école militaire de médecine, située rue Berthelot et qui abritait il n’y a pas si longtemps les locaux de la Gestapo à Lyon. Je crois qu’aujourd’hui il y dans ces lieux un musée de la résistance. Il s’agit d’une ville où il est difficile d’oublier le passé. Trop de plaques sur les murs des maisons qui rappellent des jeunesses sacrifiées, et des leçons de courage, de petites traboules qui permettaient aux résistants d’échapper aux rafles, trop de trahisons.


                  • C'est Nabum C’est Nabum 20 mars 2012 22:00

                    Annie


                    Le musée pour l’heure est en rénovation et est fermé. J’y ferai étape à mon prochain séjour en votre ville.
                    Je fus très ému d’effectuer cette visite et de croiser Hélène et Giselle, emprisonnée au même endroit alors qu’elle n’avait que 8 ans. 
                    Un billet retrace son histoire, il est sur mon site personnel
                    chroniques-ovales.com

                    • Pierre-Marie Baty 20 mars 2012 22:09

                      Très beau texte.

                      Je me demandais si Mme de Montluc avait par la suite cherché à connaître l’identité de cet Allemand qui, à la dernière minute, l’avait épargnée.


                      • C'est Nabum C’est Nabum 21 mars 2012 06:37

                        Pierre-Marie


                        Merci.
                        Elle ne nous en a pas parlé lors de sa présentation.
                        Elle a surtout évoqué celle qui l’avait donné d’autant qu’elle fut longtemps voisine de son fils sans jamais lui demander des nouvelles de sa mère.
                        La femme, ayant des appuis politique avait échappé à son destin, Hélène eut l’envie de se faire justice puis renonça ...

                      • mixx 20 mars 2012 22:12

                        vous semblez oublier aussi, cet allemend qui a eu le courage de désobéir à un ordre. Lui, aussi n’a pas été le seul allemand à sauver des familles entières de la mort (y compris des juifs) en désobéissant ou désertant de l’armée (mettant leurs familles en danger) afin d’épargner des vies. Il y avait des fumi*** dans les deux camps mais aussi des héros dans les deux...


                        • C'est Nabum C’est Nabum 21 mars 2012 06:38

                          mixx


                          Je ne l’oublie pas puis que je l’ai écrit.
                          j’ai peur de deviner vos intentions.

                        • mixx 21 mars 2012 11:19

                          il n’y aucune intention, c’est juste que je ne l’ai pas vu. 


                          • C'est Nabum C’est Nabum 21 mars 2012 11:45

                            Mixx


                            J’en suis heureux et soulagé car de bien tristes personnages aux idées nauséeuses avancent ici masqués et prônent des idéologies qui ne cessent de ressurgir des oubliettes !

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