Renseignement : coup de tabac sur la DRM et la DGSE
Le 9 janvier 2024, Bernard Emié le directeur de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure quittait le poste qu'il occupait depuis 2017 ! Le Conseil des ministres du mercredi 20 décembre 2023 avait officialisé la nomination de Nicolas Lerner, directeur de la Direction Générale de la Sécurité Intérieure et ancien condisciple de Macron à l'ENA pour lui succéder. Les raisons ? les dossiers portant sur le Sahel, Burkina-Faso, Mali et l'Ukraine. Au mois de mars 2022 le général Eric Vidaut, chef de la Direction du Renseignement Militaire avait dû lui aussi céder son poste.
L'organigramme de la DGSE qui compte 7.200 agents (40 % de militaires, 30 % de civils et 30 % de contractuels) a été réorganisé au mois de juillet en : direction de la recherche et des opérations - direction technique et de l’innovation - direction de l’administration - secrétariat général pour l’analyse et la stratégie. L'ancien DG s'était dit favorable à la suppression du Service action soulevant un tsunami dans les services. Plusieurs présidents ont eu l'intention de modifier, voire de supprimer une partie du Service de Documentation Extérieur et de Contre-Espionnage (ce point figurait au programme commun de la gauche). Le plus critique fut Georges Pompidou : « n'importe quel banquier en sait mille fois plus long sur les affaires du monde que votre ramassis d'adjudants-chefs fussent-ils panachés de ratés de l'université » (rapporté par Constantin Melnik). Pompidou, ancien directeur de la banque Rothschild et favorable à l'entrée de l'Angleterre dans la communauté européenne n'a jamais oublié la machination ourdie contre lui à travers son épouse (montages photographiques de parties fines impliquant un honorable correspondant du SR yougoslave que l'on retrouva mort dans une décharge publique).
Le dossier ukrainien a-t-il déclenché la bisbille entre nos services de renseignement ? « Les Américains disaient que les Russes allaient attaquer, ils avaient raison. Nos services pensaient plutôt que la conquête de l'Ukraine aurait un coût monstrueux et que les Russes avaient d'autres options » (général Thierry Burkhard le 6 mars 2022 au Monde). Laurent Nunez qui a été remplacé par Pascal Mailhos à la tête de la Coordination Nationale du Renseignement et de la Lutte contre le Terrorisme le 11 janvier, déclarait au mois de juillet 2023 : « Nous avons eu une divergence d'analyse avec nos partenaires américains et britanniques, mais nous avions les mêmes informations et l'invasion était une hypothèse que nous envisagions. Je note que nous avions également perçu la capacité de résilience des Ukrainiens ». La DRM de se justifier en affirmant s'être aperçue dès l'automne 2021 du renforcement de la présence militaire russe massée à la frontière ukrainienne. « Depuis le début, nous disons que l'invasion de l'Ukraine aurait un coût disproportionné pour la Russie. La suite nous a donné raison » (général Jacques de Montgros, directeur du renseignement militaire).
La congratulation semble être de mise entre les services de renseignements occidentaux. Le directeur de la DGSE (20 octobre 2022) : « On a l'un des meilleurs renseignements du monde, on est en tout cas dans le top trois ». Bernard Emié de s’appuyer sur un article signé de Gina Haspel, lex-directrice de la CIA, dans Challenges. Du côté britannique, les services secrets français seraient en cinquième position : États-Unis - Chine - Russie - Royaume-Uni - France. La réalité est plus nuancée, la production dépend du domaine du renseignement impliqué : technique, humain, satellitaire, militaire, économique, scientifique, diplomatique, du pays ciblé et de l'administration impliquée. La France dispose d'autres services que la DGSE, DGSI et DRM qui participent à la collecte de renseignements.
Flash back, le 17 juillet 2017, le général Pierre de Villiers démissionnait et renonçait à ses fonctions de CEMA. Il jugeait en son âme et conscience que les moyens et les financements insuffisants fragilisaient notre défense. Ecoutons le capitaine de frégate Yann Bizien : « L'armée française vivait sous la pénurie institutionnalisée. Les stocks de munitions étaient devenus une variable d'ajustement budgétaire. Les armées ne disposent pas assez de munitions (obus, missiles, torpilles) pour soutenir dans la durée un engagement de haute intensité. (...) De 1991 à 2012, notre pays est passé de 1.340 chars lourds à 222, de 686 avions de combat à 254, de 37 bâtiments de surface à 19 en perdant la permanence du groupe aéronaval. (...) La marine française n'a jamais été aussi petite qu'aujourd'hui, que son format a été réduit de moitié depuis 1991, qu'elle ne disposera que de quatre sous-marins nucléaires d'attaque sur cinq dans les deux prochaines années, de seulement deux pétroliers ravitailleurs sur quatre d'ici 2029, de la moitié de ses patrouilleurs de haute-mer d'ici à 2030 ».
Depuis les prémices guerrières en Ukraine, le renseignement militaire a dû changer de paradigme et passer du renseignement concernant le contre terrorisme et le trafic de matières nucléaires au renseignement et à l'action militaire que certains pensaient révolus. Le renseignement militaire est incontournable pour connaitre et s'opposer à n'importe quelle attaque d'où quelle vienne. Cela nécessite de connaître les : forces - faiblesses - menaces - opportunités - intentions des puissances en présence et la prise en compte des facteurs politiques, économiques, sociaux, de production, etc., afin de permettre au chef de l'Etat d'évaluer le niveau de la menace afin de s'y préparer, voire de l'affronter.
« L'Ukraine doit absolument gagner (...) Nous avons eu tendance à surestimer les capacités militaires de la Russie » Le Drian 2023 ! Le monde du renseignement est le domaine par excellence des hypothèses. Il y est quasiment impossible d'avoir des certitudes car les comportements humains sont souvent imprévisibles. Quelle que soit la méthodologie des analystes, toute synthèse comporte des incertitudes. Sauf à bénéficier de fuites d'une source humaine fiable (A5) bien placée, toute information est sujette à caution et rien ne peut être tenu pour certain à 100 %. Une part du travail d'analyste est de faire « parler » les EEI en les expliquant, en les recoupant, en les comparant et en les critiquant dans un contexte élargit ce qui est loin d'être neutre (filtres mentaux, idéologie, connaissances, préjugés). L'analyste doit être capable de prendre de la distance par rapport à l'hypothèse privilégiée, et « mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine ».
Le « possible » d'une action en préparation et la vraisemblance d'une estimation évitent d'avoir à se prononcer et ne contribuent certainement pas à lever le brouillard informationnel. Conclure sur une hypothèse en partie due à l'observation est-ce bien raisonnable ? Si on peut suivre une trame militaire passée, il ne faut jamais perdre de vue qu'un événement peut être unique. L'histoire en regorge d'exemples. Lorsqu'on parle de probabilité (cotation à 80 %), c'est que l'on manque d'un EEI décisif, et plausible ne signifie pas probable. Quelle valeur accorder à un énoncé qui ne peut être contredit ? Nous gardons tous en mémoire des exemples de syllogismes appris au collège. Seuls les éléments d'information essentiels infirmant se doivent-ils de l'emporter ?
Selon Hubert Védrine, le gouvernement français n'a cessé de souffler sur les braises « La pire décision de l'Occident a été celle de l'OTAN en 2008 à Bucarest quand l'Alliance proclame que l'Ukraine et la Géorgie avaient vocation à adhérer à l'OTAN. (...) Cette perspective pouvait potentiellement faire entrer la Crimée et Sébastopol dans l'OTAN, ce qui était inacceptable pour la Russie qui a besoin d'accès aux mers chaudes via la Mer noire ».
« Ne pas prévoir, c'est déjà gémir ». L’article R 811-1 du Code de la sécurité intérieure, les services spécialisés de renseignement, (...) sont : « la direction générale de la sécurité extérieure, la direction du renseignement et de la sécurité de la défense - la direction de la protection et de la sécurité de la défense - la direction générale de la sécurité intérieure - la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières - le Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins ». La communauté du renseignement a une architecture complexe fortement imbriquée : le Centre d’analyse, de prévision et de stratégie des Affaires étrangères - le bureau renseignement de la sous-direction de la défense et de l’ordre public (gendarmerie) - la Délégation des affaires stratégiques du ministère de la Défense, etc.
Les informations livrées au Chef des Armées reposaient-elles sur la vision du monde d'un « stratège » ? Les expériences passées : batailles, manœuvres, attaques, exercices, mouvement, point de fixation, unités en présence, terrain, etc., prises comme références ne garantissent aucune certitude. « La surprise réside surtout dans les intentions, rarement dans les capacités ». Le service français a t-il voulu faire dans la nuance à l'instar de nos philosophes ? A t-il succombé à l'« effet cigogne » erreur de raisonnement qui consiste à déduire à tort un lien de causalité et corrélation entre deux évènements ou deux variables » ? Ockham, un philosophe anglais du Moyen-Âge disait : « Parmi toutes les hypothèses, choisissez la plus restreinte. S'il n'est possible de ne retenir qu'un élément pour expliquer telle ou telle chose, écartez le second ».
Le président Emmanuel Macron reçoit quotidiennement une synthèse élaborée à partir des notes des différentes directions du renseignement. A-t-il pris compte la personnalité des hommes politiques et militaires Russes, Ukrainiens, Otaniens impliqués afin de comprendre les tous enjeux entourant l'utilisation des informations ? En renseignement l'analyse doit toujours être rapprochée au renseignement biographique ; « Les hommes se forment généralement par leurs occupations et les démarches dans lesquelles ils s'engagent pour arriver à ce qu'ils désirent » John Dalrymple. Nôtre président omniscient adepte du « quoi qu'il en coûte » a oublié que s'il s'était appuyé uniquement sur des éléments « rationnels » il n'aurait jamais été élu.
Le renseignement c'est : « Tout voir, tout entendre, tout comprendre et deviner le reste ». Le renseignement français n'a pas failli ! Le Pentagone a misé sur la tactique du « peut être bien que peut être bien que non ». Après avoir partagé les renseignements avec ses homologues otaniens, le Pentagone en a déclassifié une partie en direction des médias. La tactique visait deux finalités, priver les Russes de l'effet de surprise afin de les inciter à renoncer, voire « légitimer » une aide à venir en cas d'attaque. Que les troupes russes pénètrent sur le territoire ukrainien ou renonce à l'opération, les États-Unis ne pouvaient être que gagnant-gagnant. On l'avait annoncé, ou s'ils ont renoncé, c'est grâce au tocsin US (dissuasion). Belle pirouette ! La théorie du philosophe Karl Popper de rappeler que toute supposition dépourvue de contenu ne pouvant être contredite doit être bannie car elle reste vraie quelle que soit l'issue. Une correction, une précision, une remarque ?
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