Une version journalistique vraisemblable
Un soir pluvieux, une jeune femme est tuée sur une avenue, renversée par un chauffard qui prend la fuite. Le député maire de la ville, Patrick Dalbray, apprend la nouvelle par téléphone au cours d’une réunion en mairie : la victime, Karine Blachard, est son attachée parlementaire.
Mathieu Villiers, le commandant du SRPJ local, un ami d’enfance du député, chargé de l’enquête, n’apprécie pas que l’amie de la jeune femme, Emma Lambert, journaliste au quotidien régional, le double dans son travail. Intriguée, en effet, par une confidence énigmatique de Karine son amie quelques instants avant l’accident, elle a obtenu de sa mère la permission de fouiller avant la police dans son studio : elle découvre sur son ordinateur portable des photos qui révèlent sa liaison avec son patron. De plus, à la faveur d’une rencontre amicale dans un bar avec le policier, profitant de son absence pour aller aux toilettes, elle fait les poches de sa veste et tombe sur une copie de main courante qui établit que l’épouse du député a été arrêtée, le soir de l’accident, vers la même heure, par une patrouille pour un excès de vitesse en 4/4 en état d’ébriété. Sa qualité d’épouse de notable lui a valu de ne pas être inquiétée. Or, son type de véhicule est identique à celui décrit par de rares témoins de l’accident.
Il n’en faut pas plus à la journaliste pour déduire de ces présomptions la culpabilité vraisemblable de Mme Sophie Dalbray. Elle tient son scoop et son journal, le lendemain, met en cause « à la une » l’épouse du député : un faisceau d’indices sérieux et concordants ne l’accable-t-il pas ? Un véhicule 4/4, une conduite en état d’ébriété avec excès de vitesse, relevée par une patrouille à proximité des lieux de l’accident à la même heure, et le mobile du crime, la vengeance d’une épouse trompée qui supprime sa rivale. La police qui ménageait jusque-là l’épouse du député est alors contrainte de la placer en garde à vue et de saisir son véhicule pour le soumettre à des analyses. Ses réponses hésitantes durant l’interrogatoire tendent à convaincre les enquêteurs de sa culpabilité.
À ce stade de l’histoire, l’enquête critique méthodique de la journaliste aboutit par un pluralisme des sources concordantes à une représentation vraisemblable de l’événement. Elle y est parvenue en usant des moyens d’accès à l’information extorquée : elle s’est emparée illégalement de l’ordinateur portable de son amie qui lui a révélé sa liaison avec son patron et elle a volé la copie de main-courante dans la poche du policier.
Seulement les analyses de peinture du véhicule retrouvées sur le corps de la victime écartent toute implication de la voiture de Mme Dalbray. Ce seul indice ruine l’accusation hâtive de la journaliste qui est sommée par le policier de collaborer désormais avec lui sous peine d’être poursuivie pour entrave à enquête policière.
Leurre d’appel sexuel et chantage
L’article n’en produit pas moins un effet inattendu. Sa femme injustement soupçonnée et sa liaison désormais rendue publique, le député Patrick Dalbray n’a plus aucune raison, en effet, de garder secret un fait capital qui relance l’affaire. Il s’en ouvre à son ami policier qui se méfie de lui depuis qu’il l’a, quelques jours plus tôt, instamment prié de préserver son épouse. Sans plus d’explication, il lui avait demandé de lui rendre le même service qu’il lui avait consenti quand il avait témoigné en sa faveur pour le tirer d’affaire : en état de légitime défense, le policier avait tué malgré lui le dealer qui menaçait son frère drogué.
Mais, cette fois, Patrick Dalbray apprend à son ami le leurre dont il a été le jouet : son attachée a été payée pour le séduire par une entreprise de BTP afin d’obtenir le marché de la construction d’un hôpital sur la commune. Il s’agissait d’exercer sur lui un chantage. Des photos parvenues anonymement aux journaux confirment la confidence du député : elles montrent, en effet, les amoureux enlacés. Comment Dalbray a-t-il découvert la machination ? Par son amie, elle-même ! Tombée vraiment amoureuse de lui, elle a voulu se racheter, elle lui a tout révélé. Désireuse de ne plus vivre dans le mensonge, elle espérait qu’il divorcerait. Il l’a, au contraire, repoussée et méprisée.
On mesure dans quel chantage l’entreprise de BTP a enfermé le député : sa liaison devait d’abord être gardée secrète sous peine de mettre son ménage et sa réputation en péril ; pis, le leurre d’appel sexuel non sur papier glacé mais de chair et de cyprine dans lequel il est tombé en cédant aux avances de son attachée, ne pouvait davantage être révélé sans l’exposer à la risée de tous et à l’humiliation publique. Il lui faut une raison impérieuse - son épouse soupçonnée à tort du meurtre - pour qu’il se résolve à livrer un tel secret.
L’information enfin extorquée par les preuves réunies de la corruption
Le policier Mathieu Villiers reste toutefois sceptique, persuadé que son ami le manipule depuis le début. De toute façon, l’information donnée qu’il lui livre, n’est pas fiable. L’accusation de corruption et de chantage portée contre l’entreprise de BTP doit reposer sur des preuves. L’enquête critique méthodique relancée épluche sans succès les comptes de la jeune attachée : pas la moindre trace de versement de sommes suspectes ! Mais on en découvre par chance sur celui de sa mère : celle-ci ne peut les justifier ; elle en attribue vaguement la provenance aux activités de sa fille. Le policier tient peut-être une présomption de la corruption mais non une preuve : ces versements proviennent d’une banque et non de l’entreprise de BTP. Entre temps, la jeune journaliste a été agressée dans son appartement et sommée de cesser son enquête ; le jeune frère du policier a lui aussi été molesté et menacé.
Quand sur le chantier de l’hôpital où il le rencontre, le député promet au patron de l’entreprise qu’il découvrira le chauffard, il se fait rire au nez cyniquement : la preuve de son implication n’est pas près d’être jamais rapportée : la voiture du crime ? Elle est déjà en pièces détachées en Afrique ! Et le tueur à gages sait que, s’il reparaît, il risque gros.
Pendant ce temps, la journaliste a fait un rapprochement décisif : la banque qui a alimenté le compte de la mère de son amie, est associée à l’entreprise de BTP. La journaliste s’est souvenue que le frère d’une amie y travaillait. Même si le chauffard suspect du crime reste introuvable, le patron de l’entreprise, lui, est donc convaincu de corruption. Dalbray comme son épouse, sont alors sans doute mis hors de cause, mais leur couple est ruiné et la carrière du député qui était pressenti pour devenir ministre, brisée.
Ainsi un apparent accident de la circulation s’avère-t-il être un assassinat. Il s’est agi de supprimer le témoin principal d’une opération de chantage et de corruption montée avec sa complicité contre le député-maire par une entreprise de BTP pour obtenir le chantier d’un hôpital. Tombée réellement amoureuse de son patron, l’attachée du parlementaire lui a révélé le leurre qui lui a été tendu. Les soupçons portés sur son épouse ont contraint alors le député pour l’innocenter à livrer les secrets de sa liaison et de la machination. Sans doute est-ce la raison du titre « Répercussions ». Les relations de pouvoir économique et politique affectent, en effet, les relations affectives des êtres et inversement des relation amoureuses menacent les intérêts économiques en jeu. C’est tout l’intérêt de ce film dont le montage elliptique imprime un rythme soutenu : les scènes retenues qui s’enchaînent ne le sont qu’à raison de leur teneur symbolique, ménageant de bout en bout une attente fébrile. Et pour comble de bonheur, les personnages sont magnifiquement interprétés avec sobriété. C’est un film qu’on inscrit volontiers par la facture et la profondeur de réflexion dans le sillage de « Z », « I comme Icare », ou « Le nom de la rose », ces fables qui écartent, l’un après l’autre, les leurres du mal dont les crimes politiques sont le plus souvent masqués.
Paul Villach