Requiem pour la France, discours joué par Sarkozy à Versailles

Le discours du président Sarkozy donné au Congrès fut reçu de diverses manières. Y compris en référence aux institutions étasuniennes, certains analystes y voyant une réplique du discours sur l’état de l’Union donné par le locataire de la maison blanche face aux parlementaires américains. Au risquer de produire une dissonance, je livre un autre son de cloche. N’avons-nous pas entendu en fin de compte une messe de requiem donné à l’occasion du long décès de la France et de son modèle que nous envient paraît-il nos voisins occidentaux alors que l’état de la France n’est plus très sain, financièrement parlant. Et que l’avenir est bel et bien bouché pour une majorité, même avec cet emprunt national censé donner un souffle supplémentaire pour investir et signaler un bon moral des ménages prêts à souscrire ces bons du trésor français.
Rocard, Cresson, Bérégovoy, Balladur, Juppé, Jospin, Raffarin, Villepin, Fillon. Cela fait 9 premiers ministres et 3 présidents, Mitterrand, Chirac et Sarkozy. 7 ans pour le premier, à compter de 1988, 12 pour le second et 2 pour le président en exercice. Soit 21 ans depuis 1988, date où l’on peut dater symboliquement l’accélération des dérégulations, de la mondialisation mais aussi de la crise sociale sur fond de mélancolie idéologique consécutive à la chute du mur de Berlin. La France est restée en bon ordre de vol, avec un moteur économique puissant et des ailes d’Etat providence à portée suffisante pour éviter le crash social. Mais maintenant, le moteur souffre, car le monde économique se recompose et vit une crise due à la voracité des prédateurs financiers. Les ailes de l’Etat se réduisent peu à peu ou alors, sont moins efficaces, avec tous les gaspillages que l’on sait. Et moins de kérosène financier. Du coup la dette explose. Et puis les retraites et la Sécu. Et la globalisation.
Tout ne peut aller qu’en s’aggravant. Si une solution radicale n’est pas trouvée, il faudra se faire à l’idée que la France va passer de mauvais jours et ne résistera peut-être pas au choc du futur dans 10 ou 20 ans. Avec la raréfaction des matières premières, les dettes accumulées, la population qui vieillit. D’aucuns disent que le système des retraites est déjà condamné, même si on recule de quelques années l’âge du départ. Ce qui n’a pas pour objectif de faire travailler plus longtemps les gens mais de reculer l’âge où ils peuvent faire valoir leurs droits. D’ailleurs, passé 60 ans, il y a peu de chance pour trouver de l’emploi, compatible de surcroît avec des forces physiques déclinantes. Les gens de 60 ans à 67 ans, de quoi vont-il vivre ? Du RSA ? 450 euros, ah qu’il est beau le modèle français. Et pour soigner tous ces vieux, où a-t-on trouvé l’argent ? Et pour les mettre où ? La France manque de maisons de retraites. Bref, il sera beaucoup demandé comme solidarité et sacrifices à une jeunesse qui risque de ne pas trouver son compte en travaillant pour se payer le strict nécessaire, pour la plupart. En gros, situation à risque. La République risque de se fissurer. Le profil finissant par se rapprocher de celui du Brésil ou de l’Inde. Des élites, des classes supérieures minoritaires. Des classes moyennes formant un bon tiers et le reste, une moitié de précaires. La France n’est pas préparée pour supporter ce choc inégalitaire.
La représentation du futur a subi deux chocs. Le premier se produisit à l’occasion des grèves de décembre 1995. Les Français des classes moyennes ont voulu défendre les acquis sociaux d’un modèle qui n’était plus possible de prolonger sans réforme. Ils ont gagné une bataille, avec des cortèges de symboles et de gens dans la rue. Mais un déclic se produisit. Les Français ont réalisé que les générations futures vivraient moins bien que leurs aînés. L’échéance a été reculée. L’illusion des nouvelles technologies a endormi les gens. Puis, après le 11 septembre, atmosphère de peur. Les gens n’ont pas trop regardé la situation de la France. Et maintenant, nous y sommes. Les jeunes sont à la peine pour trouver un emploi, se loger. Les stagiaires ne sont pas payés. Les CDD s’enchaînent et encore, avec la crise, ils se raréfient. Les jeunes vivent moins bien et de plus en plus de retraités pauvres vivent mal. Le modèle français s’effrite. En 2009, l’avenir semble sombre mais peu ont réellement vu la perspective à venir. Il n’est plus question de générations futures comme en 1995 mais carrément de la survie de la société républicaine française. Le président Sarkozy n’a pas donné de signes optimistes. Ce qui en soi est un signe. Il a vanté le modèle français. La plupart pensent qu’il pourra essayer de sauver ce modèle. Mais on peut tout aussi interpréter son propos comme celui d’un discours de requiem anticipé. La république sociale pourrait bien ne pas survivre au vu des multiples cancers qui la rongent et dont on taira la localisation pour ne pas fâcher quelques catégories et personnes. Le pronostic vital du modèle social est engagé. Voilà ce qu’il fallait entendre à Versailles. Inutile d’accabler Sarkozy, il ne gouverne que depuis 2 ans. Mitterrand et Chirac, ça fait 19 ans, depuis 1988.
Quant à la solution, elle existe sans doute. La sagesse voudrait qu’on ne soit pas soigné par le médecin qui vous a rendu malade. Alors la solution ne viendra pas des anciennes méthodes et des formations politiques actuelles, pas prêtes à consentir une révolution républicaine dans le schéma social et économique.
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