Réseau électrique européen, risque de Black out et Fessenheim
Le problème de la garantie d’une production d’électricité suffisante vis à vis de la demande est une question complexe. Et variable dans la mesure où il peut y avoir d’importantes coupures pour travaux, ou bien accidentelles, sur des lignes THT et HT d’un réseau électrique. Il peut également y avoir des arrêts d’unités de production ou des mises en service. Enfin, il y a les productions prioritaires de courant électrique intermittentes provenant principalement d’éoliennes et de panneaux photovoltaïques.
Cette question est aussi rendue difficile par l’existence de plusieurs réseaux électriques gérés de manière indépendante, avec des problèmes d’informations et de coordination des actions. Il est clair également que l’état général des réseaux électriques et de leurs connexions en Europe de l’ouest, les pays sous la gestion de l’Union Européenne, n’est pas au niveau requis pour accepter sans risques des échanges d’électricité importants qui font parfois de longs détours pour arriver à leurs destinataires. Notamment pour la liaison France > Italie par exemple.
Réseau électrique
Pour s’adapter à la demande d’électricité la production électrique s’organise en trois niveaux, primaire, secondaire et tertiaire.
Le primaire comprend les unités de production de base, pilotables. Soient en France les réacteurs nucléaires et les chaudières à charbon. Pour le réglage en fréquence, la variation de puissance est reliée à la variation de fréquence par un coefficient en MWe/Hz. Le secondaire est un bloc de puissance de réserve fonction de la demande attendue. Le tertiaire est une réserve de puissance mise en œuvre en 15 minutes pour reconstituer le secondaire. Pour remettre le secondaire à niveau dans certains cas, il y a également une réserve de puissance dite minute. Aujourd’hui cela est complété par des possibilités de délestage programmé.
Une règle de sécurité demande aussi à ce que le primaire puisse faire face, par un réglage en fréquence, à l’effacement instantané d’une puissance de 3000 MWe sur le réseau.
On conçoit bien dans ces conditions qu’un réseau électrique actuel ne puisse admettre, pour sa stabilité, qu’un pourcentage maximum d’énergie intermittente susceptible de s’effacer brutalement. Juste pour donner une idée ce pourcentage maximum est sans doute inférieur à 20 % [l’Allemagne s’en sort en déversant son courant éolien dans les autres pays européens, la Pologne en particulier et en important du courant].
Pour se faire une idée des risques de Black out encourus sur le réseau interconnecté des pays de l’UE et au-delà, on examinera le cas du Black out partiel concernant un sous réseau européen, du 4 novembre 2006 en soirée. On verra également ce qui a changé depuis et si cela est susceptible de changer favorablement la situation vis à vis de la stabilité du vaste réseau électrique interconnecté en Europe de l’ouest.
Black out partiel du 4 novembre 2006
L’analyse et les données techniques sur les événements en chaîne qui ont conduit au Black out partiel proviennent essentiellement d’un rapport préliminaire du groupe des régulateurs européens dans le domaine de l’électricité et du gaz, ERGEG (l'équivalent européen de la CRE). Celui-ci s’appuie sur les informations des gestionnaires de réseaux électriques allemands, au moins trois sur quatre : Eon, RWE principalement et EnBW. Et de leur union au niveau européen l’UCTE. voir en fin d'article ***
La première chose qui frappe l’esprit est que les fonctionnaires administratifs européens ont pris des décisions sur l’ouverture du marché de l’électricité conduisant à des flux d’échanges de courant en Europe et au-delà (Maroc..) que les réseaux électriques ainsi que leur type de gestion étaient loin de pouvoir assurer avec la stabilité et la sécurité requises. Les gouvernements d’incompétents n’ont rien objecté et une fois de plus, dans notre système européen et national, la politique a pris le pas sur la technique.
Des règles administratives ont bien été édictées comprenant des critères techniques, mais dans le cas du Black out partiel on verra que la plus cruciale des règles, le critère N-1 (Les aléas simples : Liaisons, transformateurs ou auto transformateurs, groupes de production, tronçon de jeu de barres pour lesquels les aléas acceptés sont nuls ou très faibles) : Liaisons, transformateurs ou auto transformateurs, groupes de production, tronçon de jeu de barres pour lesquels les aléas acceptés sont nuls ou très faibles), n’a pas été respecté.
Vraisemblablement parce que dans la situation de coupure des deux lignes THT de 380 kV il ne pouvait l’être dans l’état du réseau électrique concerné à cette époque là. Des incidents ont ainsi entraîné des réactions en chaîne notamment la déconnexion de champs éoliens et d’unités de cogénération. Puis le partage du réseau généralen deux ou trois zones Est/Sud est et Ouest.
Les conditions requises par l'UCTE (union des gestionnaires du réseau européen) pour la réponse primaire se basent sur un déséquilibre de 3.000 MW. Or, cette panne a représenté un déséquilibre de 9.000 MW et seulement sur une partie du réseau de l’UCTE. Des zones Est (Nord et Sud) et Ouest ont pu se découpler.
On en arrive à des considérations telle que celle figurant dans le rapport de la CRE (qui reprend en général le rapport préliminaire de l’ERGEG son homologue européen) : « Les conséquences de cette panne d’électricité ont été aggravées par le comportement d’ensemble de la production décentralisée. Dans la plupart des pays européens, ce comportement a été marqué par le caractère aléatoire des déconnexions et des reconnexions des centrales éoliennes, qui n’a pu être compensé efficacement du fait de la faiblesse des informations accessibles en temps réel aux gestionnaires de réseaux de transport sur la puissance injectée. »
Il y avait donc à cette époque là de gros problème intrinsèques fragilisant la sécurité du réseau électrique européen. Pour améliorer cette situation, sans régler bien entendu la question de la variabilité de la puissance des éoliennes, il faut faire des investissements énormes : lignes THT et HT, moteur des éoliennes synchrones avec une électronique coûteuse et fragile, centres de pilotage, …
Dans le contexte européen le réseau électrique français amène de la stabilité comme le souligne la CRE à propos de cet accident « L’enquête menée par la Commission de régulation de l’énergie fait apparaître que le système électrique français a largement contribué à la sauvegarde du système électrique européen ».
Donc la fermeture en France d’unités de production électrique contribuant à la réserve primaire et secondaire est un affaiblissement vis à vis de la stabilité du réseau électrique européen. C'est le cas de la centrale nucléaire de Fessenheim. Soit une puissance électrique de 1800 MWe et une puissance de réglage de 900 MWe/Hz.
Complément de réflexion personnelle sur le Black out partiel de 2006
Les explications officielles n’expliquent pas bien pourquoi en dépit des calculs, des précédents, - qui s’étaient sans doute déroulés à des heures plus creuses -, et dans un contexte où les gestionnaires principaux de Eon et RWE n’étaient visiblement pas inquiets, le réseau électrique sous le contrôle d’Eon et de RWE s’est brusquement déséquilibré avec des flux d’échanges qui ont surchargé des lignes THT et HT. Cela signifie que le secteur Nord ouest de l’Allemagne est rapidement rentré en déficit de puissance électrique de manière non anticipée. On a vu que en ce qui concerne l’Ouest européen un déséquilibre instantané de 3000 MWe doit pouvoir être corrigé par un réglage primaire en fréquence, c’est à dire nucléaire et chaudières à Charbon. Dans le rapport ERGEG il est clairement affirmé que les groupes de gestion du réseau (Eon et RWE particulièrement) n’ont eu ni le contrôle, ni les informations relatives aux unités de production décentralisées qui sont directement raccordées au réseau électrique. Soient en particulier les champs éoliens et les unités de cogénération. Au niveau de la production des éoliennes en Allemagne du Nord il y a une contradiction fondamentale entre un rapport préliminaire UCTE, - union des producteurs et gestionnaires de l’électricité au niveau européen et des interconnexions extérieures -, qui indiquait une forte production éolienne vers le moment de l’incident et le rapport ERGEG qui conteste cette information (tout en ayant affirmé que les informations sur ce point sont mal maîtrisées par les groupes de gestion). Néanmoins il est dit que le groupe de gestion Eon a indiqué que la production éolienne était à cet instant un peu supérieure à 50% de sa valeur maximale (qui n’est pratiquement jamais atteinte).
Il y a un flou certain au niveau de la connaissance de la puissance électrique éolienne de cette zone,qui pouvait très bien être au niveau de 6000 MWe (à l'époque la puissance théorique des éoliennes en Allemagne dépasssait les 20.000 MWe) et s’affaisser à 2000 MWe par exemple à la suite d’une saute de vent, puisque la puissance d’une éolienne est proportionnelle au cube de la vitesse du vent. Dans une estimation du groupe de gestion Eon la situation dans sa zone était la suivante : la puissance mobilisée par la consommation était de l’ordre de 13.700 MWe alors que la production était approximativement à 14.100 MWe, dont 3.200 MWe de puissance éolienne, tandis que les flux d’échanges impliquaient une puissance électrique de 7.300 MWe environ. On remarquera que la proportion de puissance éolienne était importante : 23%. Ce qui est dans une zone de pourcentage critique. Le rapport de l’UCTE mentionne qu’une puissance totale de 10.700 MWe s’est découplée du réseau dans le zone Ouest à la suite d’effet en cascade.
Il résulte assez clairement de cette réflexion que le rôle de l’éolien dans le Black out européen partiel du 4 novembre 2006 a été important et sans doute décisif . Et les mesures insuffisantes qui ont été prises depuis, qui ne vont pas toutes dans le bon sens comme l’arrêt des réacteurs nucléaire de Fessenheim, ne sont pas susceptibles de changer la donne.
Conclusion
Quelques citations de rapports officiels récents situent bien les gros problèmes de cette politique imposée dans les domaines de la production électrique et du réseau électrique aux pays de l’UE.
Remarque du rapport UCTE
[La production provenant de sources d’énergie renouvelables et, en particulier la production d’énergie éolienne, est particulièrement problématique dans ce cas. Les mécanismes mis en place au niveau national ont, généralement, pour but d’augmenter la production à partir de sources renouvelables sans créer trop de barrières à l’entrée de ces unités sur le marché.]
Dans un rapport diffusé sur le site SENAT le 17 février 2020 on peut lire en exergue :
“Or, force est de constater que la seule politique communautaire de l'énergie mise en œuvre au cours des dix dernières années a eu pour objectif de développer un marché libéralisé, ce qui entre en opposition avec la garantie de la sécurité d'approvisionnement. En effet, ce choix, qui a considérablement bouleversé les conditions d'exercice du métier d'électricien et remis en cause des logiques d'organisation parfois vieilles de cinquante années, n'a pas été assorti d'une véritable réflexion sur la spécificité du système électrique et sur la notion de sécurité d'approvisionnement.”
On y lit aussi :
“Eurelectric" dont votre mission d'information a rencontré l'un des représentants lors de son déplacement à Bruxelles, a récemment chiffré à 1 000 milliards d'euros les montants à investir en Europe pour répondre aux besoins en électricité d'ici 2035, et estimé nécessaire de mettre en service, avant cette date, entre 700 et 1 000 GW, soit l'équivalent de sept à dix fois le parc électrique français. Cette prévision est notamment fondée sur l'anticipation par Eurelectric d'une croissance de la consommation d'électricité de plus de 44 % entre 2005 et 2030 dans l'Union européenne à 25”
Est-ce que ces gens là sont conscients que l’Allemagne puis la France avec la LTE, ont promulgué des Lois (complétement irréalistes) qui imposent une division par deux de la consommation électrique, base 2008 pour l’Allemagne et 2012 pour la France, dans cette même période de temps ?
On y met également en exergue des prévisions de l’UCTE :
“l'UCTE explique qu'en 2015, l'équilibre du système n'est plus assuré si d'autres investissements que ceux actuellement connus et décidés ne sont pas réalisés. Sur la période 2015-2020, la situation devient d'autant plus tendue que de fortes incertitudes pèsent sur le déploiement des ENR électriques, la mise à l'arrêt des centrales thermiques et l'avenir du nucléaire. Au total, le parc de production dans l'UCTE devrait présenter une puissance supérieure de 50 GW pour assurer la sécurité d'approvisionnement électrique en 2020”
En gros pour assurer la stabilité du réseau électrique UTCE étendu au-delà de l’Union Européenne, inhomogène et aux maîtrises et gestions décentralisées, il faudrait plus d’électronucléaire, de centrales thermiques et moins de courants intermittents.... Un système de fous, de corrompus et d’incompétents fait exactement le contraire. La clé du problème se situe certainement dans les investissements faramineux, une estimation de l’ordre de 1000 milliards d’euros au bas mot est souvent citée, qui devraient être engagées afin de pouvoir introduire de manière massive et prioritaire les électricités d’origine éolienne et à un degré moindre photovoltaïque. Sans garantie de stabilité donc.
Bien sûr on objectera que pour l’instant “tout va bien” même si des accidents graves ont été frôlés, mais cela tient à une donnée qui n’est pas prise en compte et qui est la forte récession économique dans l’UE, ainsi qu’à des capacités de délestage importantes sur des unités de production. Qui résume bien l’esprit qui préside à la gouvernance : on privilégie l’éolien et le PV vis à vis de la production.
L’approche rationnelle pour obtenir un réseau électrique européen interconnecté fiable et stable nécessiterait une politique de la production électrique exactement à l’inverse de ce qui est engagé aujourd’hui. Soient : plus d’électronucléaire et l’arrêt des programmes éolien et photovoltaïque pour la production de masse de courants électriques. Nous sommes très loin d’une capacité industrielle de stockage de masse de l’énergie.
Dans le domaine de l’électronucléaire, deux types de réacteurs nucléaires devraient être privilégiés. D’abord, pour un faisceau très complet d’avantages, des réacteurs nucléaires de quatrième génération. Particulièrement les “rapides à sodium” qui peuvent être installés assez rapidement en offrant l’avantage de brûler du Plutonium et des transuraniens, et qui seraient conçus pour être capable de “suivre” le réseau.
Puis des unités nucléaires plus petites, dites SMR (réacteurs nucléaires modulaires) pour des usages spécifiques comme dans des zones isolées, des Îles sur ou en mer....
***
Historique succinct du Black out partiel du 4 novembre 2006
(rapports officiels)
Le 4 novembre 2006 le passage avancé vers 22 heures ce jour là alors qu’il était initialement prévu à 1 heure le 5 novembre, d’un bateau de croisière sortant des chantiers navals Meyerwerft sur le fleuve Ems, déjà réalisé 14 fois avant cela, a nécessité la coupure de la ligne THT de 380 kV reliant Diele à Conneforde. Ceci sous la gestion d’Eon. Des calculs prévisionnels avaient bien entendu été réalisés avec un résultat positif. La ligne a été coupée à 21 h 38 et dès 21 h 39 des problèmes ont été signalés : des valeurs d’ajustement limites étaient rencontrées sur les lignes Elsen-Twistetal et Elsen-Bertechdissen. En outre à 21 h 41 le groupe de gestion réseau RWE a signalé à Eon l’atteinte d’une valeur limite de sécurité à 1.800 A sur la ligne Landesbergen-Wehrendorf qui était déjà pratiquement atteinte et c’est d’ailleurs cette ligne qui a déclenché la première. Malgré cela le groupe de gestion réseau Eon a donné le feu vert pour le passage du bateau à 21 h 42. Ensuite la situation s’est tendue. A 22 h 06 l’intensité sur la ligne Landesbergen-Wehrendorf a dépassé la limite avec 1900 A. Malgré des actions correctives cette ligne a déclenché à 22 h 10 minutes 13 secondes. Puis il y a eu le départ d’une cascade de coupures, la ligne de 220 kV de RWE reliant Bielefeld/Ost à Gütersloh a déclenché deux secondes plus tard. Puis encore 4 secondes après la ligne de 380 kV de Berchterdissen-Elsen a également déclenché.
Enfin un effet domino a conduit à l’isolement de trois zones dans le réseau UTCE européen. Zone Ouest, zone Nord est et zone Sud est.
Vers 22 h10 la zone Ouest avait un déficit de puissance de 9.000 MWe. La fréquence sur cette zone est tombée vers 49 Hz. Ce qui a déconnecté des champs d’éoliennes. D’où l’amplification du phénomène. Au total c’est une puissance de 10.700 MWe qui a manqué comprenant une partie importante de production éolienne et de cogénération.
Les délestages obligatoires ont conduit à un Black out partiel.
Il y avait aussi des pays en surfréquence due à la surproduction d’électricité à l’Est : La République Tchèque, la Pologne, la Slovaquie, l’Ukraine et des parties de l’Allemagne, de la Hongrie et d’Autriche. L’Est sud était en sous fréquence.
Le redémarrage du réseau a été difficile à cause de reconnections intempestives de champs éoliens notamment.
Pour cette reprise c’est la France qui disposait de la plus grande puissance avec 4.995 MWe, venait ensuite l’Espagne avec 3.696 MWe .. l’Allemagne était au niveau de l’Italie avec 2.676 MWe.
Le parc de production d’électricité d’origine hydraulique en France a largement participé au rétablissement du réseau électrique européen.
En conclusion on peut dire que si la coupure de la ligne THT double de 380 kV Diele-Conneforde a bien été l’élément initial dans le Black out européen partiel, cet incident a mis en évidence l’extrême fragilité du réseau européen interconnecté de l’époque, avec un rôle néfaste important d’unités de production décentralisées à partir d’éoliennes et de cogénération.
Bien entendu des actions correctives et de modernisation ont été entreprises depuis, mais la volonté d’introduire plus de courants intermittents sur le réseau et d’arrêter des unités de production appartenant au réglage primaire et secondaire rendent en définitive le réseau électrique européen encore plus fragile. ***
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