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Responsabilité et culpabilité des laboratoires (2) : Suicide sous Prozac

J'ai récemment pu constater que, dans l’opinion publique, si un médicament provoque un problème de santé, le laboratoire est forcément coupable et doit être condamné. La réalité est beaucoup plus complexe, et je vous propose de revenir sur quelques affaires dont on n’a presque pas parlé en France. Cette série abordera des affaires concernant la fabrication, des affaires concernant les essais cliniques et d’autres, comme ce sera le cas de ce deuxième volet, des affaires concernant les effets secondaires des médicaments.

Je vous renvoie au premier article de la série1, pour y lire comment l’on détermine la responsabilité d’un laboratoire dans les effets secondaires mortels d’un médicament.

 

Que sont les ISRS ?

 Les inhibiteurs sélectifs de recapture de la sérotonine, pour faire plus court des ISRS, ont été mis au point lorsque l’on a découvert que les patients dépressifs n’avaient pas assez de sérotonine, un neurotransmetteur. Ces médicaments empêchent le cerveau de re-capturer (disons de « consommer ») la sérotonine. Ils permettent donc de maintenir artificiellement un niveau élevé de Sérotonine, pour palier à cette carence chez les patients dépressifs (que cela soigne ou non la dépression n’est pas le sujet de cet article).

 

Ces produits sont :

  • le Prozac (Fluoxétine) d’Eli Lilly ;
  • le Deroxat (Paroxétine) de GlaxoSmithKline ;
  • le Zoloft (Sertraline) de Pfizer ;
  • le Seropram (Citalopram) et le Seroplex (Escitalopram) de Lundbeck ;
  • le Floxyfral d'Abbott.

Les ISRS constituent la deuxième génération d’antidépresseurs. Ils sont beaucoup moins dangereux que leurs prédécesseurs, qui ont de graves effets cardiaques. Et tous ne sont pas aussi dangereux les uns que les autres. Le Seropram et le Seroplex sont beaucoup moins dangereux que le Deroxat2. Il n’est donc pas question de s’en passer.

 

Tester un antidépresseur

 Lorsque l’on a une nouvelle molécule dont on pense qu’elle pourrait être un médicament, on commence par la tester sur les animaux. C’est ce qu’on appelle la phase préclinique. Elle permet d’une part de vérifier que l’animal ne se montre plus malade, d’autre part qu’il ne devient pas malade pour autre chose. Dans le cas des antidépresseurs, on observe surtout :

  • Combien de temps met l’ani mal pour se déplacer lorsqu’on le mt dans l’eau ;
  • Pendant combien de temps l’animal se débat lorsqu’on le suspend par la queue ;
  • Pendant combien de temps il essaie d’escalader l’intérieur de sa cage ;
  • Comment il se comporte avec les autres…

 

Viennent ensuite les essais sur les humains :

  • Essai de phase I : on donne le produit à des gens sains, et on vérifie qu’ils ne tombent pas malade ;
  • Essai de phase II : on donne le produit à quelques patients et on vérifie s’ils vont mieux ;
  • Essai de phase III : on donne le produit à beaucoup de patients et on vérifie s’il vont mieux.

Si tout va bien, on peut alors vendre le produit. En parallèle, on mène une surveillance post-marketing, pour vérifier si on découvre de nouveaux effets secondaires sur les millions de patients qui s’en servent.

 

Mesurer la dépression

 On a bien sûr mené ces essais sur les ISRS, et ils se montrent meilleurs que le placebo.

 Au fait, comment mesure-t’on l’efficacité d’un antidépresseur sur l’homme ? On utilise une échelle de mesure, comme l’échelle de Hamilton3 où celle de Montgomery-Asberg4. Chacune comporte un certain nombre de question pour lesquels le médecin évalue son patient en attribuant une note. La note totale indique l’état dépressif du patient (ça paraît pas très clair, aussi je vous invite à consulter les références. SURTOUT NE JOUEZ PAS A REMPLIR LE QUESTIONNAIRE ET A CALCULER VOTRE SCORE, C’EST LE TRAVAIL D’UN PROFESSIONNEL).

 

On va donc mesurer l’efficacité de l’antidépresseur en suivant l’évolution de ce score global. Si, pendant le traitement, le score a diminué, et s’il a diminué davantage qu’avec un placebo, le médicament est jugé efficace. Un exemple volontairement simplifié sera plus parlant :

  • Pierre et Paul sont dépressifs.
  • Le score de Pierre est de 34, celui de Paul de 34 aussi.
  • On donne à Pierre un antidépresseur, et à Paul un placebo.
  • Après 12 semaines, le score de Pierre est de 23, celui de Paul de 29.

On constate tout d’abord que les deux scores ont diminué. Le placebo de Paul a permis de réduire le score de 5 points. 5 points en moins viennent donc du fameux « effet placebo » : le patient est convaincu qu’il va aller mieux maintenant qu’il prend un médicament. Or, le score de Pierre diminue de 6 points supplémentaires. Ces 6 six viennent du produit en lui-même. On peut dès lors dire que le produit est efficace. Bien sur, en condition réelle, on teste sur le produit sur plusieurs milliers de patients, et avec plusieurs échelles de mesure.

 

Si le score de Pierre avait été de 28 ou de 30, on aurait jugé le produit équivalent, donc inefficace (une différence de un point n’est pas suffisante, pas significative). Si le score de Pierre était resté à 34 ou s’il avait augmenté, on aurait enquêté pour voir si un facteur extérieur peut en être la cause (comme un décès dans la famille de Pierre), puis si la dose administrée est optimale. En effet, les premiers essais sur les antidépresseurs sont souvent décevants, car il faut trouver la bonne dose.

 

Le hic

Imaginons maintenant le cas où le score total diminue, mais que celui sur l’une des questions explose : le score total de Pierre passe de 34 à 29, mais celui des pensées suicidaires passe de 2 à 5. C’est exactement ce qui se passe avec les fameux inhibiteurs sélectifs de recapture de la Sérotonine. Alors que les insomnies, l’anxiété, ou les symptômes somatiques diminuent, les pensées suicidaires deviennent beaucoup plus fréquentes. Pour résumer, ces produits donnent des envies de suicide.

 Le problème est que l’on ne s’en est pas aperçu immédiatement. Jusqu’alors on partait du principe que les cas de suicide et de tentatives de suicide qui survenaient au cours des essais cliniques étaient dus à la maladie, à la dépression, en tous cas n’avaient rien à voir avec le produit. Il n’y avait pas de raison de mettre le médicament en cause.

 On a commencé à se poser des questions lorsque des personnes sous Prozac, Deroxat ou Zoloft, légèrement dépressives mais pas du tout suicidaires, ont commencé à se suicider, comme ce fut le cas de Monika Schröder5 ou Beth DeAngelis (En 2008, la justice américaine avait blanchit Pfizer, après que Beth DeAngelis, sous Zoloft, s’était suicidé. L’entreprise revendiquait que ce n’était pas son problème mais celui de la FDA. Il y a eu appel, et Pfizer a préféré verser une belle somme d’argent à la famille6).

 

Coupables par négligence

 Après les premières actions en justice, on a consulté les résultats des essais cliniques et on a découvert que, si on y avait fait attention, on aurait pu tout de suite déceler ce problème. Il y a eu des pensées suicidaires, des tentatives de suicide et des suicides pendant les essais de phase I. En phase II et III, des patients dépressifs avaient davantage tendance à se suicider quand ils prenaient le produit que lorsqu’ils prenaient le placebo (essais de phase II et de phase III).

 Le problème, c’est que les laboratoires ont a sauté une étape : puisqu’on avait montré chez les animaux que le produit avait un effet antidépresseur, on partait du principe qu’il ne pouvait pas être responsable des suicides. Dans cette histoire, c’est un effet secondaire particulier, les pensées suicidaires, qui a été volontairement écarté puisque considéré comme lié à la maladie.

 Depuis, on vérifie pour tout nouveau médicament, tout particulièrement un neuroleptique, s’il provoque ou non ce genre d’effet. Le but n’est pas d’empêcher les patients de profiter des effets positifs du produit, mais de détecter au plus tôt d’éventuelles pensées suicidaires pour arrêter le traitement. On a ainsi découvert des risques de suicide avec, par exemple :

  • D’autres antidépresseurs (Effexor, Cymbalta…) ;
  • Des antiépileptiques (Lamictal, Neurontin, Lamictal, Depakine, Epitomax…) ;
  • Des traitements contre l’hyperactivité (Strattera…) ;
  • Des traitements pour arrêter de fumer (Champix, le défunt Acomplia…).

 

Conclusion

 Ce qui importe de retenir de ce cas, c’est que les laboratoires n’ont pas eu d’intention malhonnête à l’origine. Ils ont simplement mal fait, bâclé leur travail, ce qui dans le contexte médical est criminel.

 Les procès actuellement en cours tentent d’établir qu’une fois l’effet connu et reconnu, les laboratoires ont niés les faits. On peut aussi s’interroger sur les effets de la concurrence. Peut-être que l’un des laboratoires avait bien identifié le problème, mais refusait de renoncer à sa part du gâteau.

 

 

1 : Responsabilité et culpabilité des laboratoires (1) : le scandale du Seroquel, PharmaFox, AgoraVox, 7 Octobre 2011 

 

2 : Study : Paxil Is Worst Drug For Suicide Attempts, Philip Dawdy, Furious Seasons, 5 Octobre 2009

 

3 : Echelle HDRS (échelle de dépression de Hamilton)

 

4 : Echelle MADRS (Montgomery and Asberg Depression Rating Scale)

 

5 : Gegen Pfizer

 

6 : Pfizer Settles Zoloft Preemption Case, Ben James, Law360°, 20 janvier 2010


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3 réactions à cet article    


  • pabst465 15 octobre 2011 00:46

    « On a bien sûr mené ces essais sur les ISRS, et ils se montrent meilleurs que le placebo. »

    INEXACT !

    « Les antidépresseurs de dernière génération comme le Prozac et le Seroxat n’ont pas plus d’effet que des placebos sur la plupart des personnes souffrant de dépression, selon une étude de l’université anglaise de Hull, dans le Yorkshire, publiée mardi 26 février dans la revue spécialisée PLOS-Medicine. » (cf Le Monde du 26.02.08)

    La méta analyse citée par Le Monde est consultable ici, en anglais :
    http://www.plosmedicine.org/article/info:doi/10.1371/journal.pmed.0050045


    • Pharmafox 15 octobre 2011 12:34

      Permettez-moi de contester votre appréciation négative de mon article.


      Je connais bien l’étude que vous citez, raison pour laquelle j’ai écrit dans l’article « que cela soigne ou non la dépression n’est pas le sujet de cet article ».


      Les essais menés par les fabricants, du moins ceux présentés par ceux-ci ont bel et bien démontré l’efficacité de leurs produits.


      MAIS : ce que dénonce l’université de Hull est ce qu’on appelle un biais de publications. Les fabricants n’ont accepté de communiquer que les études favorables, dissimulant les autres. Les chercheurs de Hull ont pris toutes les études, favorables ou non, pour arriver à leur conclusion.


      Pour ma part, je n’ai pas les connaissances pour juger ou non de l’efficacité des produits. Il y a des arguments favorables et des arguments défavorables. Des études indépendantes pour les deux cas existent. Les témoignages de patients vont dans un sens comme dans l’autre.


      Pour mon opinion personnelle, je vous renvoie plutôt à l’article que j’avais écris « Antidépresseurs : le fond du problème ».


    •  RAS LE BOl DES CLUBS D INFLUENCE PRESCRIPTEURS DE ...(.tel hippocrate...............)MEDIATOR...XANAX...PROZAC... TOUS DONNENT DES ENVIES DE SUICIDE
      COMME LE LEXOMIL QUi DONNE L ALZHEIMER...

      on a viré corinne moizan (lobbyste de SERBIER) de l assemblee ....qu ils degagent toys ces empoisonneurs..)

      il faut tous virer les lobbystes de tous les ...labos ET VIRER AUSSI OU METTRE EN EXAMEN LES 101 DEPUTES ET SENATEURS QUI ONT TREMPE DANS L ’affaire servier-mediator...

      ET SURTOUT LE DEPUTE PS BAPT ...QUEL CYNISME ETRE PRESCRIPTEUR POUR GSK ET SERVIER....ET ETRE PRESIDENT DE LA COMMISSION D ’ENQUETE DE MEDIATOR

      ILS SONT VRAIMENT POURRIS
      TOUS AU BAGNE DE CAYENNE...........

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