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Restitution de crânes d’un autre génocide moins connu mais lourd de sens pour l’Allemagne

  Pendant que des statues risquent un déboulonnage discutable (Colbert, Christophe Colomb, Churchill, Napoléon par le maire de Rouen…), un monument semble couler des jours tranquilles malgré le souvenir qu’il porte.

Masqué par celui de l’Allemagne Hitlérienne récidiviste avec ses exterminations, son premier génocide colonialiste quelques décennies plus tôt, reste une histoire gardée longtemps discrète là-bas aussi.

Dans cette ravissante ville côtière de Swakopmund en Namibie, où l’on parle toujours majoritairement allemand, les descendants des colons conservent un monument dédié "A ceux qui défendirent la colonie contre l'insurrection herero avec Dieu au service de l'empereur et de l'empire. Honneur à ceux qui sont restés loyaux jusqu'à la mort".

Généralement les anciennes colonies dressent des monuments à leurs enfants libérateurs, celui de Swakopmund est à la mémoire des auteurs du génocide subi et trône devant la résidence présidentielle, au lieu de rejoindre le dépôt de Spandau près de Berlin où sont reléguées les œuvres qui rappellent son passé honteux.

 

  Sans vouloir porter ombrage à ceux qui sont tombés en obéissant, celui-ci mériterait d’être regardé néanmoins avec un pas en arrière.

 

Pourquoi sont-ils morts ?

 

Suiveuse de l’épopée européenne de cette fin de XIXe siècle, l’Etat-Nation allemand qui vient de naître, veut prendre sa place dans une Afrique déjà largement occupée. Si les colonialistes se sont généralement imposés sans ménagement, l’Allemagne expérimentera là une méthode que les nazis reconduiront ; le génocide

 Avec les tribus Herero et Nama liguée contre l’inhumanité de l’occupant, le génocide sera la réponse à leur soulèvement. Envoyé par le II e Reich, Lothar von Trotha militaire impitoyable, écraseur d’un soulèvement en Tanzanie déjà, en sera l’organisateur : "J'exterminerai les tribus rebelles en versant des torrents de sang." Son ordre d’expulsion et d’extermination chassera les populations autochtones d’une Namibie devenue allemande  ; « À l’intérieur des frontières allemandes chaque Herero, sans ou avec une arme, avec ou sans bétail, sera fusillé. Je n’accepterai plus désormais les femmes et les enfants, je les renverrais à leur peuple ou les laisserai être abattus. » Ses méthodes de guerre ajouteront aux horreurs du colonisateur quand il les repoussera dans le désert du Khalahari et empoisonnera les points d’eau environnants. Des milliers de Hereros mourront.  

 

Les prémices des outrages nazis apparaissaient aussi dans les camps de concentration et de travail avec des décès supérieurs en nombre à ceux qui suivront plus tard. Dans celui tragique de Shark Island, ceux qui n’y mourront pas, seront vendus comme esclave aux fermiers allemands ou subiront de sordides exactions.

L’obsession allemande à vouloir démontrer sa supériorité raciale reste alors à prouver scientifiquement. Ici des « médecins » prélèveront les têtes de victimes qu’ils enverront en Allemagne, conservées dans des bocaux. On retrouvera plus tard ces mêmes fanatiques inspirateurs d’Hitler à former des médecins SS.

 

Après l’écrasement des populations, l’Allemagne confisquera les terres et les revendra ou donnera à ses militaires qui s’installeront définitivement. La domination change de camp avec la fin de la seconde guerre mondiale, l’Afrique du sud imposera son apartheid jusqu’à l’indépendance en 1990.

A la différence des français partis d’Algérie, les « pieds-noirs allemands » resteront. Avec une représentation d’environ 7% de la population, les blancs dominent encore le pays qui taira le génocide. Des publications négationnistes et révisionnistes s’attachent à réinterpréter l’ordre d’extermination de von Trotha. Grâce à eux, le pays de l’après shoah pourra attendre le 10/07/2015 pour reconnaître « un crime de guerre et un génocide ».

Ce premier génocide éclaire différemment le second qui n’apparaît plus seulement comme l’œuvre d’un dictateur démoniaque et de sa clique nazie, mais comme celle d’un Etat-Nation qui inscrit l’extermination comme une pratique dans l’histoire de sa naissance. Il transfert la responsabilité génocidaire à une Allemagne dominante raciste et totalitaire qui l’entretiendra. Hitler ne reste plus seul, ses actes s’inscrivent dans une histoire nationale du génocide qu’il apprendra à connaître adolescent.

 

       Et après.

 

Indépendante depuis 1990 seulement, les maux de la Namibie se confondent avec ceux de l’Afrique du Sud. Les guerres tribales qui prévalaient avant la colonisation, se réveilleront dans les années 60 à l’approche d’une indépendance réalisée sous la terreur.

La culture de ces populations aura presque totalement disparu. Devenus majoritairement luthériens comme le colonisateur allemand, l’anglais de l’Afrique du sud qui dominera avec son apartheid, est peu parlé mais devenu la langue officielle.

 

Comme souvent des relations difficiles se tissent entre le pays colonisé et son débiteur. Néanmoins, des relations bilatérales existent pourvoyeuses d’indemnisations ou de réparations réclamées par les descendants à une Allemagne qui dit vouloir "… assumer sa responsabilité politique et morale pour les crimes commis entre 1904 et 1908". Quelques territoires où vivent les descendants des populations décimées bénéficieraient d’aides au développement ; formation professionnelle et santé sont envisagées par l’Allemagne.

Ne souhaitant pas que son histoire tragique jette l’opprobre une fois encore sur son nom, "L’Allemagne veut présenter ses excuses le plus vite possible, dès aujourd’hui si cela était possible (08/2020)". Après avoir déjà confessé que « nous, Allemands, reconnaissons notre responsabilité historico-politique et morale et la culpabilité historique supportée par les Allemands de l'époque. Les atrocités commises à l'époque au nom de l'Allemagne constituaient ce que l'on appellerait désormais génocide » (*)

 

 

Mais parler d’indemnisation et de génocide à une Namibie qui a reçu 150 MUSD d’Aide Publique au Développement par an dont 45% en provenance d’Allemagne, avec une minorité blanche qui détient l’essentiel des rouages économiques dont certains descendants de colons allemands négationnistes, peut expliquer le peu d'empressement d’une Allemagne qui hésite à rappeler son classement du XXe s. en mauvaise compagnie sur le podium lugubre à l’ONU des génocides ;

Deux génocides pour l’Allemagne, un contre les juifs et un contre les Hereros et les Namas

Un pour la Turquie contre les arméniens 

Un pour le Rwanda contre les Tutsis

 

L’avenir nous dira si les réparations (investissements ?) que l’Allemagne envisagerait vers le gouvernement namibien, seront partagées avec les descendants Herero et Nama aujourd’hui écartés au motif qu’ils ne représentent pas la Namibie.

Et pour cause.

 

(*) Discours prononcé mercredi 29 août2018, Michelle Müntefering, ministre d'État chargée de la politique culturelle internationale.

Photo. Les crânes de victimes Herero rendus à leurs descendants lors de cette cérémonie à l’hôpital universitaire de la Charité à Berlin.


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9 réactions à cet article    


  • Samson Samson 26 novembre 2020 23:02

    « Ce premier génocide éclaire différemment le second qui n’apparaît plus seulement comme l’œuvre d’un dictateur démoniaque et de sa clique nazie, mais comme celle d’un Etat-Nation qui inscrit l’extermination comme une pratique dans l’histoire de sa naissance. »

    Dans « La Mort est mon métier », pseudo-mémoires de Rudolph HoB, commandant du camp d’Auschwitz, écrites par Robert Merle, il est fait mention de la participation des troupes allemandes alliées aux Turcs dans le génocide arménien.

    De fait, l’idéologie pan-germaniste est bien antérieure à Hitler, qui n’a fait que s’y conformer en poussant sa logique jusqu’à la Shoah.

    La rigueur d’« éducation » prussienne était impitoyable : pour avoir fait une sottise à l’âge de 10 ans, un de mes arrière grand-pères s’est vu proposer par son propre père le choix de sa mise à mort, « pédagogie » suffisamment traumatisante pour que l’« anecdote » se soit déjà transmise sur quatre générations ! smiley


    • Et hop ! Et hop ! 27 novembre 2020 12:53

      @Samson

      C’est un roman, donc pas une source historique.

      Robert Merle est un romancier qui était membre du Parti Communiste, donc ses romans ont tendance à noircir les Allemands du IIIe Reich.

      Derrière le génocide des Arméniens (qui étaient chrétiens), il y a le parti républicain laïc d’Ata-Turk dont l’origine est la loge Union et Progrès créé le 14 juillet 1889 avec l’aide de l’Alliance Israélite Universelle, c’est-à-dire les Français juifs laïcs de la IIIe République.


    • Samson Samson 27 novembre 2020 15:04

      @Et hop !

      "C’est un roman, donc pas une source historique.

      Robert Merle est un romancier qui était membre du Parti Communiste, donc ses romans ont tendance à noircir les Allemands du IIIe Reich.« 

      J’entends bien qu’il s’agit d’un roman, mais si même il s’agit d’une fiction, elle est bien documentée et se fonde sur la réalité historique : HoB, pur produit de la pédagogie et du militarisme prussien et acteur emblématique de la »solution finale« , considérera jusqu’à la fin que sa stricte obéissance et conformité aux ordres relève de son devoir de militaire et le dégage de toute responsabilité, celle-ci ayant à reposer sur sa hiérarchie.

      La question pour Robert Merle militant communiste y est moins de noircir le IIIème Reich (ce qui était très largement consensuel à l’époque et aurait quelque peu manqué d’originalité) que de décrire et interroger le processus de déshumanisation ayant mené des personnes jusqu’à activement adhérer et participer au processus de la »solution finale".
      A noter que c’est seulement 11 ans plus tard que seront publiés les résultats de la célèbre expérience de Milgram, évaluant le degré de soumission d’un individu à une autorité considérée comme légitime et analysant le processus de soumission d’un sujet à des consignes qui heurtent sa conscience.

      En vous présentant mes respectueuses salutations ! smiley


    • L'apostilleur L’apostilleur 27 novembre 2020 16:34

      @Samson
      « ..La rigueur d’« éducation » prussienne était impitoyable ... »

      Témoignage éloquent même si d’un « autre temps »


    • Dantès 27 novembre 2020 03:33

      Il me serait surprenant que les descendants des descendants des martyrs juifs acceptent de partager leur statut de martyrs avec des africains (sans parler des indemnisations fiscales qui perdurent toujours)

      Il se pourrait que je me trompe


      • Et hop ! Et hop ! 27 novembre 2020 13:09

        @Dantès

        Les Juifs tiennent à présenter leur histoire comme une longue suite d’attaques et de persécutions par toutes les autres nations, ce qui leur permet de se présenter comme des créanciers, et de présenter les autres peuples comme des débiteurs.

        On pourrait aussi bien présenter l’histoire de France comme une longue suite d’attaques et d’invasions par les autres nations : Ligures, Phocéens, Romains, Vandales, Goths, Burgondes, Saxons, Bretons, Vikings, Barbaresques, Anglais, Espagnols, Allemands,..


      • Dantès 28 novembre 2020 04:02

        @OMAR

        Bien vu. Je ne songerait pas mettre les dogmes du nouveau culte en question...

        Merci de votre avertissement


      • Jean Keim Jean Keim 29 novembre 2020 08:21

        L’histoire est depuis toujours écrite par les vainqueurs, on peut s’attarder sur un génocide en particulier, apparemment il n’y a que l’embarras du choix, de mémoire je devrais pouvoir en citer une dizaine, le développement industriel n’est pas en reste...


        • L'apostilleur L’apostilleur 29 novembre 2020 13:02

          @Jean Keim
           
          « un génocide...il n’y a que l’embarras du choix... »

          C’est certain. Ils restent à distinguer en fonction des siècles et des cultures des génocidaires. 

          Ici, l’Allemagne du XIXe s. se distingue en ce qu’elle récidive sur une courte période à une époque récente dans une Europe « éclairée »

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