Résurgence révolutionnaire en Turquie : que veut le DHKP-C ?
Outre les kurdes et les djihadistes une nouvelle menace d’un autre genre pèse sur la sécurité de la Turquie : le DHKP-C, un acronyme qui signifie Parti-Front révolutionnaire de libération du peuple, un mouvement clandestin marxiste-léniniste dont le but est de renverser le pouvoir par les armes pour la « création d’une Turquie indépendante, démocratique et socialiste ».
Peu connu à l’étranger le DHKP-C a été fondé en 1978, d’abord en tant que Devrimci Sol (Gauche révolutionnaire) puis a changé de nom en 1994 suite à une scission majeure, il estl’héritier des mouvements marxistes des années 1970 des Mahir Cayan et Deniz Gezmis nés au lendemain des insurrections ouvrières et étudiantes. Dursun Karatas, mort en exil en 2008, est le fondateur et le dirigeant du mouvement jusqu’à sa mort. Il rêvait d’une Turquie socialiste débarrassée des américains. Pour le DHKP-C la Turquie est dominée par les économie et les gouvernements occidentaux. Karatas est lui-même arrêté après le coup d’Etat militaire de 1980 et s’évade en 1990, il est recherché par Interpol, à partir de cette date la lutte armée s’intensifie et tout ce qui est relatif à l’Etat devient une cible partout. Ses actions armées ont marqué la Turquie, ils sont par exemple responsables de l’assassinat du ministre Gün Sazak (1980), du général Temel Cingöz (1991) ou de Kemal Kayacan (1992), commandant en chef des Forces navales turques à la retraite.
Vers le milieu des années 2000 et après la mort de leur dirigeant D. Karatas l’organisation semblait avoir arrêté la lutte armée mais depuis 2012 ils reviennent sur le devant de la scène en attaquant et en tuant des policiers, le 11 septembre 2012 Ibrahim Cuhadar commet notamment un attentat-suicide dans un commissariat d’Istanbul, un policier trouve la mort et 7 autres sont blessés, cet acte a été fait en représailles du meurtre de Selim Hasan Gönen, le dirigeant de la branche armée tué par la police un peu plus tôt, les auteurs viendraient du commissariat en question. Le 1er février 2013 le militant nommé Ecevit Sanli se sacrifie en tant que kamikaze dans l’ambassade des Etats-Unis à Ankara, tuant avec lui un agent de sécurité et en blessant une journaliste, qui a perdu un œil. Le DHKP-C s’est excusé de cette bavure et a proposé de payer les frais médicaux, en effet le DHKP-C ne prend jamais pour cible des populations civiles au contraire des mouvements islamistes et ne manque pas de s’excuser lors d’éventuelles victimes collatérales. Au total on dénombre 650 militants du DHKP-C morts au combat contre à peine quelques dizaines d’agents du régime tués.
L’Etat a répondu au début 2013 en lançant une série de grands raids, appuyés d’hélicoptères et de chars, durant lesquelles on a découvert les plans « de déstabilisation » du DHKP-C visant à assassiner 22 personnalités de haut-plan, dont deux anciens présidents. Mais ces raids n’ont pas pu arrêter cet élan, en mars 2013 le siège de l’AKP et le ministère de la Justice sont attaqués. Les contestations de Gezi démarrées en été 2013 ont permis de légitimer la lutte du DHKP-C. En septembre de la même année c’est le Directoire générale de la sécurité qui est attaqué au lance-roquette et l’un des rebelles meurt au cours des altercations avec la police.
Classé comme terroriste par l’Etat turc, les Etats-Unis, l’Union Européenne, le Canada et le Royaume-Uni, depuis 2014 le gouvernement américain offre 3 millions de dollars pour toute information qui conduirait à la capture des dirigeants de l’organisation clandestine.
Ils s’opposent totalement à l’influence croissante de l’OTAN sur la Turquie. A ce titre ils sont proches du régime syrien et ses militants armés s’entraînent en Syrie dans les zones contrôlées par l’armée loyaliste.
Les lois antiterroristes sont particulièrement dures en Turquie et sont également utilisés pour incarcérer de simples manifestants, la simple accusation d’être membres du DHKP-C ou d’une quelconque organisation considérée comme terroriste peut suffire.
En 2015 le mouvement ne montre pas de signes d’affaiblissement malgré les arrestations. Le 1er janvier un militant du DHKP-C lance deux grenades sur les policiers en poste devant le très symbolique palais de Dolmabahçe, où se trouve les bureaux du Premier ministre, mais les grenades (artisanales) n’ont pas explosé. Beaucoup d’attentats ont échoué comme ici du fait d’armes artisanales défectueuses. Le 6 janvier une femme commet un attentat-suicide dans un commissariat dans le quartier touristique de Sultanahmet en tuant un policier, on a d’abord cru qu’il s’agissait d’une militante recherchée du DHKP-C, qui a lui-même revendiqué l’attentat, mais on a découvert qu’il s’agissait en fait d’une islamiste d’origine tchétchène. Le 30 janvier 2015 une femme a mitraillé la police sur la place Taksim, en tirant sur leurs véhicules alors que les policiers s’étaient couchés et, dernier en date, le 7 février des rebelles ont attaqué à l’arme automatique un siège local de l’AKP et le poste de police qui se trouvait à côté, il n’y eut aucun mort dans les deux attentats. Sans surprise, c’est le DHKP-C qui a revendiqué et a évoqué la répression contre les manifestations pacifiques et a appelé la police à arrêter de torturer leurs camarades en garde à vue : « Prenez peur, nous reviendrons ».
Le DHKP-C est tout de même aujourd’hui affaibli du fait d’un grand nombre de ses membres en prison ou en exil.
Le DHKP-C recrute surtout parmi les milieux alévis, cette minorité religieuse persécutée et est bien implanté dans certains quartiers d’Istanbul comme Okmeydani et Sultangazi, des quartiers populaires avec une forte composante alévie. Dans ces quartiers les rebelles mènent la lutte contre la drogue et la prostitution, et un révolutionnaire, Hasan Ferit Gedik, a laissé sa vie lors d’affrontements avec les trafiquants de drogue en septembre 2013 dans le quartier de Maltepe. Il y a souvent des affrontements avec la police qui provoquent parfois des morts.
Le but du DHKP-C est de capter l’opposition au président Erdogan. Il axe son discours sur la critique de l’AKP et le caractère oppresseur et criminel de l’Etat turc, faisant souvent référence à Berkin Elvan, jeune de 14 ans originaire d’Okmeydani mortellement blessé par la police lors des grandes manifestations d’été 2013, l’un des nombreux enfants tués par la police ou l’armée depuis l’arrivée de l’AKP.
En même temps si les négociations de paix avec le PKK, entamée depuis fin 2012, réussissent les militants kurdes les plus radicaux qui refusent la paix avec l’Etat turc pourraient basculer vers le DHKP-C et celui-ci remplacerait le PKK en tant que principale menace pour l’Etat turc. Les deux défendent une idéologie communiste et ont parfois déjà collaboré ensemble, en revanche le DHKP-C s’oppose au nationalisme kurde et souhaite l’unification des peuples turc et kurde pour combattre leurs ennemis communs : les Etats-Unis.
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