Retour sur l’histoire du Kosovo : critique d’un article du Monde diplomatique
S'il fallait qualifier en quelques mots l'article "Vingt ans après, les plaies ouvertes du Kosovo" publié sur le site du Monde diplomatique (1), je dirais : quelques îles de vérité dans une mer de mensonges.
Le Monde diplomatique est un mensuel "alternatif" qui se targue d'avoir dénoncé les "bobards des grands médias" durant la guerre de 1999 mais une analyse plus fine montre qu'il se contente d'insister sur les mensonges les plus énormes (2) sans se rendre compte que son propre narratif des évènements au Kosovo au cours de ces trente-cinq dernières années reprend dans ses grandes lignes, à quelques nuances près, l'essentiel du contenu de la fiction officielle qui repose largement sur des mensonges.
- Un exemple typique de ce narratif mensonger : la conversion de Milosevic à la rhétorique nationaliste en 1987.
« Dès les premiers heurts du printemps 1987 entre les autorités albanaises qui gouvernaient alors cette région autonome et la minorité serbe, Milošević avait adopté une rhétorique nationaliste pour conquérir le pouvoir, puis s’y maintenir » peut-on lire.
Tout d'abord, les heurts entre les autorités albanaises et la population serbe n'ont pas commencé en 1987. Cela faisait déjà plusieurs années que les Serbes du Kosovo protestaient, se plaignant d'être maltraités par les autorités locales, ostracisés et poussés au départ par la pression albanaise. En 1987, Milosevic s'est rendu sur place et n'a pu que constater cette triste réalité qui jusqu'alors était niée par le pouvoir communiste yougoslave. En la révélant officiellement, il a brisé un tabou et ses adversaires politiques l'ont immédiatement taxé de "nationalisme" (une étiquette infamante qui lui collera à la peau jusqu'à la fin de sa carrière politique). Il a ainsi mis à jour une réalité bien cachée par les autorités de l'époque : cette "région autonome" était devenue de facto, depuis les changements constitutionnels de 1974, une Albanie-bis. À la fin des années 80, Milosevic obtint des instances fédérales yougoslaves la réintégration du Kosovo dans le giron de la Serbie en tant que province autonome. Ce tournant politique majeur valut à Milosevic une très grande popularité en Serbie... et des haines tenaces.
- Un autre exemple : la répression "féroce" de l'insurrection albanaise de 1998.
« L’insurrection du printemps 1998 sous la férule de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), inspirée par le communisme autarcique d’Enver Hoxha (dirigeant de l’Albanie de 1945 à 1985), déclencha une répression féroce. »
En premier lieu, l'UCK ne s'inspirait du "communisme autarcique" d'Enver Hodja uniquement par les méthodes d'organisation mais, idéologiquement, elle s'inspirait bien davantage de l'irrédentisme albanais le plus sectaire et le plus violent. Et ce fut à l'origine l'insurrection armée partie de la Drenica qui fut particulièrement féroce : le but ouvertement recherché par l'UCK étant de déclencher, en réponse aux atrocités commises par ses combattants, une violente répression des autorités serbes pour rallier la population albanaise à sa cause et, au delà, pousser la "communauté internationale" à intervenir militairement (ce qu'elle fit par l'intermédiaire de son bras armé, l'OTAN, officiellement pour empêcher un génocide).
- Une dernière remarque sur la possibilité d'échanges territoriaux entre la Serbie et le Kosovo pour sortir du statu quo.
« Le président serbe Aleksandar Vučić ne cache plus qu’il serait prêt à reconnaître le Kosovo en échange de contreparties territoriales, tandis que son homologue Hashim Thaçi espère intégrer à son pays les Albanais de Serbie. Un tel accord entérinerait la fin d’une cohabitation féconde et pluriséculaire dans les Balkans. »
La question soulevée par cette approche "idéaliste" (pour ne pas dire "naïve") est la suivante : s'agissant des populations serbes et albanaises du Kosovo et de la vallée de Presevo, cette "cohabitation féconde et pluriséculaire" n'a en réalité jamais existé, pas même à l'époque de la Yougoslavie socialiste quand les slogans d'"unité" et de "fraternité" étaient exaltés ! Ce fut de tous temps (au moins depuis 1912 lorsque le Kosovo fut rattaché à la Serbie) une cohabitation forcée et fortement conflictuelle entre des communautés étanches que presque tout opposait (langue, vision de l'histoire, religion, traditions, etc.), le nombre infime de mariages mixtes constituant un bon indicateur de cette irréductible division. Dès lors, plutôt que de continuer à entretenir le mythe d'une cohabitation féconde et pluriséculaire entre Serbes et Albanais qui serait susceptible de renaître (ce qui est une vue de l'esprit), un échange de territoires paraîtrait autrement plus réaliste et vaudrait certainement mieux que le statu quo actuel qui entretient la fiction d'un "Kosovo multiethnique" sous occupation de l'OTAN.
(1) https://www.monde-diplomatique.fr/carnet/2019-03-23-Kosovo-vingt-ans-apres
(2) https://www.monde-diplomatique.fr/2019/04/HALIMI/59723
Marc-Antoine Coppo
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