Retour sur un pavé parlementaire jeté dans la mare
Un rapport parlementaire sur la « Géopolitique de l’eau » fait parler de lui et anime une nouvelle fois les débats relatifs à la place de l’eau dans les relations israélo-palestiniennes.
Le rapport estime que l’eau est « révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen-Orient ». L’occasion pour la BlogEAUsphère de rappeler quelques éléments relatifs à cette question. Si les enjeux régionaux ne se limitent pas aux relations israélo-palestiniennes (l’ensemble du Moyen-Orient étant dans une situation de « stress hydrique »), il est important de revenir sur ce contexte, et ce pour diverses raisons :
- Le conflit israélo-palestinien reste un enjeu majeur dans la région, et la question de l’eau y occupe une place importante. L’eau est classée parmi les « questions en suspens » sur le site Internet des Nations Unies
- La gestion des ressources en eau dans ces relations est complexe et dépend d’enjeux économiques, humains et également politiques
- Cette question est souvent reprise pour souligner la possibilité de « guerre de l’eau ». Guerre qui jusqu’à présent n’a jamais eu lieu nulle part, bien que l’eau puisse effectivement constituer un facteur de stress supplémentaire :
« when environmental degradation is a consequence of international acts of warfare, it often exacerbates the conflict. Environmental degradation may also exacerbate a conflict that originated for other reasons […] »[1].
Un contexte régional politique, économique et complexe
L’essentiel des rivalités se nouent à propos de l’utilisation des nappes souterraines et des eaux du Jourdain et de ses affluents (notamment le Yarmouk) dont le bassin versant se partage entre quatre Etats : Le Liban, la Jordanie, La Syrie, Israël et les Territoires occupés. Le bassin du Jourdain comprend de plus d’autres sources d’eau, à savoir le lac de Tibériade et l’aquifère de la Montagne, qui constitue aujourd’hui un enjeu majeur dans le conflit israélo-palestinien. La répartition des eaux entre les entités territoriales reste très inégale. Alors que le Liban et la Syrie sont relativement bien dotés, les ressources jordaniennes sont précaires : le pays souffre de pénuries d’eau chroniques. George Mutin estime que les ressources en eau douce par habitant sont de 250m3/an/habitant, ce qui est une norme très basse[2].
Quant à Israël, le réseau de distribution réalise l’interconnexion de l’eau à travers tout le pays à partir du lac de Tibériade. Les ressources en eau du pays sont faibles, et Israël consomme excessivement (la consommation dépasse largement les ressources en eau dont le pays dispose). Israël obtient l’eau du Jourdain avec des pompages dans le lac de Tibériade et dans la zone de confluence du Jourdain et du Yarmouk, utilise les nappes de Cisjordanie et les nappes littorales y compris celle de Gaza.
La situation est préoccupante dans les Territoires occupés. C’est le pays dans lequel les quantités d’eau renouvelable sont les plus faibles : 267m3/an/habitant si on ne prend pas en compte les prélèvements israéliens, seulement 70 dans le cas contraire[3].
Un cas extrême : Israël-Palestine
Selon ce rapport parlementaire, « 450 000 colons israéliens en Cisjordanie utilisent autant, voire plus d’eau que 2,3 millions de Palestiniens »[4]. En Cisjordanie, la quantité d’eau utilisée par les colons israéliens représente 40% de l’utilisation palestinienne, ce qui signifie que chaque colon dispose de 5 à 6 fois plus d’eau qu’un Palestinien. Israël dispose également du pouvoir d’imposer les prix de l’eau. Israël subventionne en effet fortement l’eau agricole, ce qui n’incite pas les colons à restreindre l’usage de cette ressource.
Ce rapport de force est complexe à gérer. Le rapport tend à indiquer une politique de puissance menée par Israël à travers les ressources en eau, indiquant par exemple l’acquisition des territoires riches en eau qui suivirent la guerre des Six Jours[5]. Toutefois ce même rapport insiste avant ce passage sur le fait que l’eau, et c’est également notre thèse, constitue un facteur exacerbant et non une source unique de conflit. Ainsi, le rapport indique que « le contexte dans lequel a éclaté la guerre des Six Jours, c’est-à-dire la fédération des Etats arabes contre l’unité d’Israël, ne peut être éludé. L’eau a agi comme un catalyseur de l’unité arabe puis comme un déclencheur d’une opération israélienne »[6].
L’eau est toutefois un élément de la politique israélienne. Le déséquilibre en matière d’accès à l’eau ne se manifeste pas uniquement à travers le fossé qui sépare la consommation en eau des deux populations respectives, mais également en matière de diversité des sources d’accès à l’eau et des réseaux de distribution.
En effet la division de la Cisjordanie en zones A, B et C n’est pas en faveur d’une gestion harmonieuse des ressources disponibles en eau douce[7]. Effectivement la grande majorité de la population palestinienne réside dans les zones A et B, mais les infrastructures dont ils dépendent se trouvent dans la zone C ou la traversent ; or l’armée israélienne autorise rarement les travaux de construction ou d’aménagement.
Ici c’est bien un exemple de l’enjeu sécuritaire que représentent les ressources en eau pour Israël qui apparaît. D’autres pourraient être mentionnés. En cas de sécheresse par exemple, la priorité, selon le rapport, est donnée aux colons[8].
Des accords inégaux…
Le partage des eaux est déterminé par les accords d’Oslo II de 1995.
Initialement provisoire, ces accords n’ont jamais été renégociés. L’accord ne tient en outre pas compte des besoins en eau d’une population qui a doublé depuis 1995, selon les estimations de la Banque Mondiale. Les clauses des accords d’Oslo ne concernent que les eaux souterraines.
Par ailleurs, au-delà d’une vision sécuritaire (les accords n’ont jamais remis en cause les ordonnances militaires israéliennes), Israël met en avant la théorie de la première appropriation, rejetant de facto les bases d’une répartition équitable des ressources des aquifères.
La politisation de cet enjeu en fait un problème extrêmement difficile à résoudre particulièrement dans cette région du monde. L’Etat d’Israël n’est pas prêt à accepter un règlement politique de la question palestinienne qui le priverait de tout contrôle des ressources en eau de la Cisjordanie. Cette éventualité avait bien été soulevée pendant les négociations de Camp David, mais Israël a clairement réaffirmé son refus d’accepter une autonomie des territoires en matière d’eau.
Les ressources en eau semblent mal gérées du fait d’une politique et d’une administration ne permettant pas son traitement correct.
Les infrastructures nécessaires manquent, les conditions sanitaires sont dégradées, des puits non contrôlés sont installés, d’importantes fuites sont constatées sur le réseau, etc…
Une politique harmonieuse considèrerait différents aspects. Il s’agirait de prendre en compte différents facteurs de la doctrine de l’utilisation équitable et raisonnable (que l’on retrouve à la fois dans les règles d’Helsinki et dans le projet de la CDI), parmi lesquels les attributs naturels des sources d’eau, les usages existants, les besoins économiques et sociaux..., tout en considérant l’article 10 (2) de la Convention qui s’applique « en cas de conflit entre des utilisations ».
Il s’agirait également de se demander la place à accorder au principe de l’utilisation équitable et raisonnable, tout en tenant compte de l’interdiction de causer des dommages appréciables. En effet, si même au plan environnemental l’interdiction de causer des dommages appréciables est soumise au principe de l’utilisation équitable, il faut toutefois bien garder à l’esprit que l’usage des ressources est déjà excessif car il dépasse la capacité de recharge du cycle hydrologique dans la région.
Toutefois la question semble loin d’être réglée. Plusieurs rapports avaient déjà souligné cet état de fait qui n’est pas nouveau[9].
Mark Zeitoun, chercheur à l’université d’East Anglia (GB), interrogé par Le Monde, ce rapport attire l’attention mais pourrait finalement n’être qu’un…pavé dans la marre. Il affirme que « la situation changera lorsqu’Israël reconnaîtra que la sécurité de l’eau pour tous passera par un partage équitable et juste de l’eau ».
Gidon Bromberg, directeur israélien de Friends of the Middle East, lui aussi interrogé par Le Monde, estime que l’eau pourrait être un vecteur permettant de construire la confiance entre les deux peuples.
[1] Nina Græger. Environmental Security ? Journal of Peace Research, Vol. 33, No. 1. (Feb., 1996), p. 110
[2] Georges Mutin, l’eau dans le Monde Arabe, op.cit., p.83.
[3] Estimations de George Mutin.
[4] Rapport parlementaire, p125
[5] Voir par exemple la page 112 du rapport, p. 123 : « Israël conduit une politique d’expansion territoriale tendant à s’approprier les ressources en eau »
[6] Rapport parlementaire, p. 76
[7] Pour rappel, depuis les accords d’Oslo II, la Cisjordanie est divisée en trois zones : la zone A est sous contrôle palestinien, la zone B est sous autorité administrative palestinienne, mais la gestion de la sécurité revient à l’armée israélienne. La zone C, quant à elle, est sous contrôle de l’armée israélienne.
[8] Rapport parlementaire, p.132
[9] Voir par exemple ce rapport de la Banque Mondiale http://siteresources.worldbank.org/INTWESTBANKGAZA/Resources/WaterRestrictionsReport18Apr2009.pdf
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