Retour sur une vendetta israélienne et l’imposture diplomatique
Après l’assassinat à Dubaï d’un dirigeant du Hamas par des agents des services secrets israéliens déguisés en joueurs de tennis, l’Union Européenne s’est surtout émue que les membres du Mossad aient usé, pour commettre leur meurtre, de passeports d’autres pays. Personne n’a condamné le fait qu’un Etat pratique le crime organisé contre des responsables politiques. Retour sur ces meurtres « légitimes » et sur l’imposture européenne.
La presse et les chefs d’Etat ont donc unanimement condamné l’utilisation de faux papiers d’autres pays à des fins criminelles. Mais personne ou presque n’a remis en cause les méthodes du Mossad consistant à nier la justice pour se venger en toute impunité.
Panel de réactions diplomatiques
Ainsi, à Paris, où des "explications" ont été demandées au chargé d’affaires israélien, le Quai d’Orsay a simplement exprimé "la profonde préoccupation de la France quant à l’utilisation malveillante et frauduleuse de documents administratifs".
Et les réactions des trois autres pays dont les passeports ont été volés (Grande-Bretagne, Irlande, et Allemagne) ont été tout aussi modérées.
Le ministre espagnol des Affaires étrangères, Miguel Angel Moratino, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE a déclaré : « Nous sommes extrêmement préoccupés que des passeports européens, qui sont des documents légaux, rigoureux, aient pu être utilisés à des fins différentes de leur usage normal ».
Carl Bildt, chef de la diplomatie suédoise, a déclaré que « le détournement de passeports européens ne peut être toléré ».
Quant au secrétaire d’Etat français aux Affaires européennes, Pierre Lellouche, il a jugé « inadmissible et pas très amical », l’utilisation de passeports européens pour couvrir un tel assassinat.
Plus clair encore, le Jerusalem Post a écrit :"Al-Mabhouh méritait certainement d’être assassiné par Israël".
Pourquoi personne ne s’est prononcé sur ce meurtre, alors même que selon l’hebdomadaire The Sunday Times, qui reprend des sources internes au Mossad, Benjamin Netanyahou, Premier Ministre israélien, aurait autorisé cette vendetta en rencontrant les membres d’un commando au quartier General du Mossad à Tel Aviv, avant qu’ils ne se rendent à Dubaï. « Le peuple d’Israël compte sur vous », aurait même déclaré le chef du gouvernement.
Présomption d’innocence, droit au procès, droit à la défense… aux oubliettes !
En somme, Israël a le droit de tuer toute personne suspectée de crime mais à condition que cela se fasse de manière discrète et sans usurpation d’identité de pays amis. Qu’importe le fait que cela bafoue tous les droits internationaux existants. On se fiche que le droit établi par Roosevelt, l’ONU, la Convention Européenne des Droits de l’Homme… interdise de mener des vengeances privées, sans procès ni jugement. On s’assied sur les grandes formules telles que celle qui oserait rappeler que « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi » (article 6, convention européenne des droits de l’Homme).
Une complaisance face au crime, devenue habituelle
Ce consentement implicite de tous les Etats avec Israël n’est pas nouveau. Rien ni personne ne semble vouloir remettre en cause la manière de faire du Mossad.
Pourtant, nous n’imaginerions pas une seconde que les Etats-Unis ou le Royaume Uni laissent l’Iran, le Pakistan, la Lybie … tuer des présumés criminels, en toute impunité et sur le territoire occidental. Mais personne ne dit mot quand c’est Israël qui envoie des hommes tuer les « méchants terroristes », déclarés coupables avant même d’être présumés innocents.
La longue histoire meurtrière des services secrets d’Israël
Israël a une certaine philosophie de la justice qui vise à traquer les terroristes ou présumés terroristes, sans relâche jusqu’à mettre fin à leur vie.
L’Etat a ainsi systématiquement tenté d’assassiner les chefs, les cadres voire les simples militants d’organisations telles que le Hamas. Comme le rappelle Jean-Paul Chagnollaud au Monde diplomatique (avril 2010) : « La peine de mort n’existe pas en Israël, mais la politique des assassinats ciblés y est à l’œuvre depuis des décennies ».
On se souvient tous, par exemple, des évènements qui ont inspiré le film Munich, de Steven Spielberg. Celui-ci relatait la traque des membres du commando ayant tué 11 athlètes israéliens lors des jeux olympiques de 1972, dont Ali Hassan Salameh (proche d’Arrafat) tué en 1979 à Beyrouth. Cette traque donna lieu à une bavure inoubliable : l’assassinat d’un serveur de café marocain en Norvège.
De même, pendant le siège de Beyrouth, en 1982, Arafat a échappé à de multiples tentatives de meurtre. Au cours de la première Intifada, en avril 1988, un commando israélien a « liquidé », à Tunis, celui que Tel-Aviv estimait être l’organisateur de la révolte des pierres : Khalil Al-Wazir.
Pendant la seconde Intifada, Salah Shehadeh, important responsable du Hamas à Gaza, a été écrasé dans sa maison en juillet 2002, avec sa famille et ses proches par une bombe d’une tonne.
Cela faisait également suite à l’assassinat manqué du chef politique actuel du Hamas, Khaled Mechaal, en 1997. Une tentative d’empoisonnement de Mechaal, en Jordanie, avait tourné au fiasco : deux agents israéliens, déguisés en touristes canadiens, avaient été arrêtés par la police canadienne. Israël n’avait pu les récupérer que moyennant un antidote pour Mechaal et la libération du chef spirituel du Hamas, alors emprisonné. Ce dernier a ensuite été assassiné dans un raid aérien israélien en mars 2004.
L’Etat d’Israël est donc, comme le traduit cet historique, un fervent adepte des crimes de vengeance, de la vendetta d’Etat. Le nom démocratie est encore très souvent accolé au nom de l’Etat hébreu. Et pourtant, au vu de sa façon de se faire justice, peut-on considérer que c’en est une ?
La complaisance, l’ignorance et le silence du monde, de l’Europe et des chefs d’Etat sont inquiétants.
Critiquer un problème de forme (l’utilisation de passeports étrangers) plutôt que de condamner ces exactions dignes du Moyen Âge rappelle combien il est difficile de croire que les dirigeants veulent faire progresser la situation au Moyen-Orient.
Uri Avnery rappelle d’ailleurs, à propos de ce que l’on peut appeler le Dubaïgate, que « cela n’a pas soulevé énormément d’intérêt en Israël. Tout le monde a compris que les Britanniques et les Irlandais étaient obligés de protester pour la forme, mais que cela n’était qu’un geste obligé. Dans les coulisses, il existe des liens intimes entre le Mossad et les autres agences de renseignements. Après quelques semaines, tout sera oublié ».
Il est inquiétant de constater aujourd’hui que oui, tout le monde semble déjà avoir oublié ces bavures israéliennes de plus. Que oui, la politique que mène Israël qui viole tous nos principes les plus sacrés, a hélas encore de beaux jours devant elle.
D.Perrotin
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