Retraite et souffrance au travail : les deux faces d’une même pièce
En cette période de réforme des retraites, les journalistes, éditorialistes et autres chroniqueurs n’ont de cesse de commenter les réformes mais aussi les manifestations et les grèves des opposants au projet gouvernemental. Sentant que la réforme est loin de faire l’unanimité, ils ménagent leur public en se montrant plus ou moins critiques vis-à-vis des méthodes ou des objectifs Macroniens. Au-delà de l’habituelle neutralité médiatique de façade, on peut noter que certains journalistes ont évoqué leur rapport personnel à la retraite. La plupart a exprimé un manque d’appétence pour la retraite qui contraste avec l’attachement des travailleurs anonymes à ce moment tant attendu de la vie. Ces journalistes, pour certains approchants ou dépassants largement l’âge « d’équilibre », semblaient vouloir continuer leur activité tant que leur santé le leur permettrait tels des comédiens aspirant à rendre leur dernier souffle sur une scène parisienne et plutôt que dans un EHPAD de province.
Loin d’une bouffonnerie ou d’une fanfaronnade visant à sortir du lot, on peut penser qu’ils étaient sincères. Pourquoi renoncer au prestige, à la reconnaissant, à l’accomplissement ou à l’épanouissement que leur apporte leur métier ? Dans les rédactions, les antennes de radio et les plateaux de télé, ces vedettes du commentaire politique sont loin du travail à la chaine harassant, du stress des centres d’appel téléphonique ou de l’épuisement moral des travailleuses du « care ». Ce constat replace la question de la retraite dans celui du travail. La retraite est d’autant plus attendue que le travail use, dévalorise et déshumanise. On peut même se demander si certaines conditions de travail seraient acceptées s’il n’y avait pas la promesse d’une retraite au bout du bout.
N’est-il pas symptomatique que les premiers régimes de retraite soient issus du monde de la mine à une époque où la silicose garantissait une mort atroce à tous les mineurs ? Comment attirer dans les mines, les paysans des campagnes avoisinantes ? En leur promettant, un revenu un peu supérieur à celui qu’ils tiraient de leur lopin de terre et un revenu sans travail à la fin de leur vie ; un revenu pour eux mais aussi pour leur famille après leur mort. La retraite et la pension de réversion furent des armes des soumissions massives.
Est-il possible d’envisager un éloignement de l’horizon de la retraite et un rétrécissement de sa durée au seul prétexte que l’on vit plus vieux ? Bien entendu, en vivant plus vieux, le travailleur profite plus longtemps de sa retraite mais sa souffrance au travail n’a pas changé. Retarder le départ en retraite c’est avant tout retarder le moment du soulagement voire de la libération. C’est aussi créer la perspective d’une plus grande souffrance en fin de carrière quand les gens n’y arrivent plus. On entend souvent dans les média la complainte des professeurs des écoles : « je ne me vois pas à l’âge de 65 ans devant trente enfants de 8 ans ». Il faut un plus tendre l’oreille pour entendre celle des salariés du secteur privé licenciés à 55 ans qui vivotent entre chômage, formations de pôle emploi et contrats aidés. Dans les deux cas, la question angoissante est toujours la même : comment tenir ?
Cette question ne peut pas rester une préoccupation uniquement individuelle. Tant que les gouvernants ne s’en saisiront pas, aucun durcissement des conditions d’accès à la retraite ne pourra se faire sans heurt et sans hostilité. Maquiller la réalité des reformes sous le terme de « sauvetage du modèle social français » ne suffit plus.
Les fins de carrières sont devenus un problème à part entière. Dans notre pays où le règlement de tout problème passe par l’érection de règles et de contraintes nouvelles et éventuellement des taxes les accompagnants, les syndicats et les progressistes demandent des lois sur l’emploi des séniors (protection contre licenciement, emplois aidés), et la qualité de vie au travail. Les lois sur ces sujets se multiplient et s’entassent mais n’améliorent rien ou si peu.
En regardant en arrière, l’histoire récente nous apprend que les droits sociaux n’ont jamais autant progressé que durant la période de plein emploi des trente glorieuses. Quand le salarié disponible devient une denrée rare, l’employeur multiplie rapidement les avantages sociaux et améliore les conditions de travail pour éviter qu’il ne rejoigne la concurrence. Un retour au plein emploi permettrait de faire rapidement progressé l’emploi de senior et leurs conditions de travail. En plus il rendrait le durcissement de l’accès la retraite moins nécessaire. Alors par où faut-il commencer ? Créer les conditions économiques du plein emploi ou réformer des retraites.
12 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON