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Accueil du site > Tribune Libre > Retraite, travail, la pensée binaire continue ses ravages

Retraite, travail, la pensée binaire continue ses ravages

Après une campagne présidentielle marquée par l’utilisation à toutes les sauces de la “valeur travail” la confusion recommence. La pensée binaire continue ses ravages en proposant le choix entre travail et retraite. Travail vu comme moyen de produire, mais aussi nécessité pour la survie individuelle et collective, et retraite comme inactivité, inutilité, charge...

La lecture d’Hannah Arendt peut nous permettre, si nous le souhaitons vraiment, de sortir de cette confusion. Dans une de ses oeuvres majeurs (La Condition de l’homme moderne), Arendt propose de distinguer trois modalités de la vie active (vita activa) : travail, oeuvre et action. Trois points sont essentiels à saisir. Travail, oeuvre et action sont des activités distinctes et non pas séparées et exclusives. Ces trois activités sont en un sens transhistoriques, elles correspondent à la condition humaine sur Terre. Elles sont cependant soumises à évolution, elles sont historiques. Arendt se place toujours “du point de vue du monde”. Il s’agit pour elle de stigmatiser tout ce qui menace l’existence d’un monde commun.

L’activité humaine élémentaire est le travail, corrélatif du cycle biologique et de la vie entendue comme zoé et non comme bios. L’être humain, en tant qu’il travaille est membre de l’espèce et non un individu possédant une biographie. Le travail est donc immergé dans la nature, et la consommation appartient à son cycle. Il est circulaire, itératif, anonyme.

Est-ce cette forme d’activité que l’on propose comme valeur centrale de notre société ? Est-ce à cette forme d’esclavage moderne que l’on veut condamner jusqu’à leur mort les hommes ?

Arendt voit d’abord dans l’oeuvre l’édification d’un monde, non naturel, plus exactement bâti contre la nature, qui construit des objets et non des produits de consommation, et qui est fait pour durer. Durer veut dire d’abord fournir un cadre humanisé, qui soit plus permanent et plus endurant que la vie d’une génération. Sans un monde durable, nulle biographie n’est concevable, naissance et mort sont alors insignifiantes en regard de la perpétuation de l’espèce et de ses membres ; ce n’est que face au monde que naissance et mort peuvent apparaître, être perçues. Gouverné par l’objet à produire, l’oeuvre est la seule activité qui connaisse un début et une fin. Quelle part d’œuvre est présente dans ce que nous appelons « travail » ?

L’utilitarisme est la philosophie spontanée de l’homo faber qui a tendance à transgresser les limites de son activité et à généraliser l’expérience de la fabrication. Nous vivons maintenant les conséquences de cette transgression qui dégrade “la nature et le monde au rang de moyens, en les privant l’un et l’autre de leur dignité indépendante”. C’est pourquoi Arendt, dans La Condition de l’homme moderne, insiste sur la différence entre sens et utilité, entre le “en raison de ” et le “afin de”.

Mais pour que la sphère de la signification se fasse jour, il faut faire intervenir une autre activité, l’action proprement dite. L’action et la parole (praxis et lexis) permettent à chacun de se manifester, de s’exprimer, de se communiquer. L’action ne peut exister que dans la pluralité, dans un réseau qui double en quelque sorte le monde. L’action n’est possible que par le monde, puisque aucune individualité, aucune subjectivité ne peut se faire jour sans l’objectivité construite par l’homo faber. Réciproquement le monde serait dépourvu de sens sans action et parole.

”A moins de faire parler de lui par les hommes et à moins de les abriter, le monde ne serait plus un artifice humain mais un monceau de choses disparates auquel chaque individu isolément serait libre d’ajouter un objet ; à moins d’un artifice humain pour les abriter, les affaires humaines seraient aussi flottantes, aussi futiles et vaines que les errances d’une tribu nomade”.

Ne sommes-nous pas en pleine errance, à la recherche d’un sens à notre vie ?

La question du travail et de la retraite nous offre une occasion de plus pour nous interroger sur le sens profond de l’activité humaine.

Documents joints à cet article

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9 réactions à cet article    


  • LE CHAT LE CHAT 14 septembre 2007 13:51

    @l’auteur

    je lisais ton cv , marié , deux enfants , mais c’est bien sûr http://www.allocine.fr/series/ficheserie_gen_cserie=311.html

    avec cette série , c’est certain qu’on a de quoi s’interroger sur le sens profond de l’activité humaine

    al bundy blasé par la vie , sa femme occupé uniquement à aller chez le coiffeur , la fille blonde dans tous les sens du terme et le gamin qui se prend des râteau avec les gonzesses ...

    le travail restera binaire , mon chef il veut pas m’envoyer le chèque sans se passer de ma présence physique ! smiley


    • Servais-Jean 14 septembre 2007 17:00

      Encore un petit effort et ça deviendra peut-être intéressant !

      Question philosophique:C’est quoi le travail ?


      • TTO TTO 14 septembre 2007 17:33

        L’activité élémentaire assurant la survie de l’individu et de l’espèce.


      • Captain Cap 15 septembre 2007 03:16

        « [Travail = ] L’activité élémentaire assurant la survie de l’individu et de l’espèce. »

        Si j’ai bien compris : la bouffe et la baise.


      • TTO TTO 15 septembre 2007 11:39

        Un peu court mais pas faux. Rendez-vous sur http://tto45.blog.lemonde.fr ou http://tto45arendt.unblog.fr Difficile de tenter de prendre un peu de « recul » sur Agoravox. On m’avait averti... A suivre...  smiley


      • Francis, agnotologue JL 17 septembre 2007 09:39

        Titre : «  »Retraite, travail, la pensée binaire continue ses ravages«  »

        Avec un tel titre, vous aviez peu de chances de faire mieux.

        Ceci dit, pour un informaticien, associer binaire et ravages, il y aurait là une sorte d’aveu que cela ne m’étonnerait pas !

        N’est-ce pas là le sens caché de votre article ? smiley


        • TTO TTO 17 septembre 2007 10:11

          Si j’ai travaillé dans des services informatiques, je ne suis pas informaticien mais physicien et electronicien de formation. La pensée binaire (causalité, dualisme, logique, dialectique, calcul binaire) ronge tous les milieux. La lecture d’Arendt permet de comprendre qu’on ne peut sortir de ce carcan qu’en insérant un troisième point d’appui qui entretient toujours un rapport au monde et aux autres. Dans le cas qui nous intéresse ce troisième point d’appui est l’activité sous ses modalités oeuvre (rapport au monde) et action (rapport aux autres). Enfin concernant le titre, une autre version existe sur le blog. Par contre je m’interroge sur le copier/coller de la presse classique utilisé dans les articles les plus lus sur Agoravox. Quel est alors l’intérêt d’un média supplémentaire s’il reproduit les dérives des autres ? Merci smiley http://tto45.blog.lemonde.fr


        • Francis, agnotologue JL 17 septembre 2007 10:36

          Intéressant, le lien que vous proposez. Je lis :

          « Si le système qui a permis Auschwitz est un système de planification industrielle, fondé sur la technocratie et la déshumanisation, alors nous sommes en devoir de penser ce que signifie un tel système. »

          Il y a 20 ans déjà, paraissait un essai intitulé ; « L’homme machinal » sous-titré : « Technique et progrès : anatomie d’une trahison » aux éditions Syros Alternatives, de P. Forget (Dr en philosophie morale et politique)et G. Polycarpe polytechnicien diplômé de l’ENSTA). Extrait de la 4è de couv. :

          « … Efficacité et vitesse : la technique règne, impose ses règles. Appropriation totale de la planète par le calcul, elle transforme la Terre et ses habitants en stocks combustibles, en fluides d’énergie… Inexorable, subreptice, le totalitarisme post démocratique enlace l’existence de ses rets. Homme, peuple, droit s’effacent sous l’empire des secteurs et des compétences, des appareils et des connivences. Nous voyageons vers un monde sans fenêtres. Sommes-nous voués à devenir machinaux ? »

          Sous réserve d’approfondissement, on est frappé de noter la convergence des deux approches.


        • TTO TTO 17 septembre 2007 14:29

           smiley. Merci pour cette référence.

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