• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Retraite, un mot à oublier

Retraite, un mot à oublier

À la retraite et toujours à me demander si c’est un rendu pour un prêté, un devoir ou des vacances, une arrivée avant le départ. Toujours cette maudite alternative du diable !

Encalminé dans la mer des sarcasmes, la grande voile faseyant, en pilotage automatique, le temps est de faire le point. Le terme est-il en vue ? Celui du sabordage est-il venu ?

Faute d’un matelot à la vigie, j’ai à répondre au questionnement du capitaine.

D’abord, réparons une erreur. Retraite est un mot fâcheux. Emprunté au militaire, il est incongru pour qualifier le dernier quart de l’Histoire. Dans la grande, il ternit la gloire du général que le revers des armes contraint à la reculade, seul moyen d’échapper à la déculottée. Napoléon ne se remit pas de la retraite de Russie. Une Bérézina est mieux vue qu’une reddition, formulation acceptable de la capitulation.

Donc, retraite sonne trop le glas pour résonner plaisamment aux oreilles de ceux qui passent ou ont passé le flambeau. L’expression devrait marquer simplement le passage du service des autres au service de soi. Libre-service singularise bien ce nouveau moment. Il succède à 40 ans de service commandé. C’est la libération après la liberté surveillée. Cet instant de vérité est une échéance, pas un choix. Cela explique que la liesse ne soit pas au rendez-vous. Il marque trop que la société vous déclare inapte au service actif. Elle ne veut même pas de vous dans la réserve. De bon à tout, vous voilà bon à rien. La dégringolade est sévère. On comprend que certains ne s’en remettent pas.

Leur nouveau statut est trop bouleversant et les obligerait à changer. L’adaptation est impossible car, habitués à élever des murs, à serrer des boulons, à remplir des formulaires, à répondre au téléphone, à additionner, à présider, ils ont toujours obéi à d’autres ou à leur planning. Ils ont vécu pour travailler, ayant oublié de travailler pour vivre. Ils parlent de leur bon vieux temps d’actifs comme celui où l’on savait se fatiguer devant une machine, un clavier, derrière un comptoir, un pupitre, un micro. On existait aux yeux des autres : les copains, les clients. On se serrait les coudes, on se rendait service. Et le pouvoir s’en est allé. Pouvoir de faire attendre, refuser, paraître pressé, débordé, important. Cette activité dispensait de l’inconvénient de penser. Leur self-service est une espace d’indécision, de vacuité, très inconfortable. Ces malheureux errent, pitoyables. Ils se croient devenus invisibles. Leur avenir sera encore plus lamentable que le passé. Comment les convaincre qu’à 60 ans il est grand temps de devenir égoïstes ? Le bistrot devient la consolation. Le pastis, la chopine donnent de l’éloquence et on y retrouve d’autres orphelins. Un pote peut l’entraîner sur un terrain de pétanque. Une solidarité et des rites feront reculer la cirrhose de quelques années.

À côté, il y a une autre humanité. Elle ignore ce genre de problème. Pour eux, il n’y a ni avant ni après. Ils n’abandonnent jamais le service actif. Ils se recrutent partout, mais les plus voyants, les plus charismatiques sont les artistes. Tous n’atteignent pas le plus haut niveau d’accomplissement. Ils y sont alors exemplaires. Leur travail est une vocation, un appel auxquels ils n’ont pas résisté. Ils avaient le moyen de les satisfaire. Ces artistes vivent au paradis car le travail les occupe, les stimule, ouvre l’âme et ils gagnent leur vie en faisant ce qu’ils aiment. Devant un piano, un chevalet, sur scène, à leur écritoire ils créent, jouent, vibrent et seront jeunes jusqu’à la fin. Jean Piat à 83 ans brûle les planches. Danièle Darrieux à 90 ans joue au théâtre, fait du cinéma, prête sa voix. John Le Carré à 78 ans écrit des livres passionnants. De Oliveira filme à 100 ans. Picasso, Rubinstein, Chagall, Hugo, Casals, Toscanini font partie de l’immense cohorte de ces êtres d’exception dont la joie de faire s’est jusqu’au bout confondue avec le plaisir de vivre. Leur ligne de vie est rectiligne, sans le décrochement à 60 ans. Ils n’en ont pas l’apanage. Il y en a ailleurs, partout. Ils font seulement moins de bruit. Pas loin de chez moi j’en connais un. Il est tonnelier. Il y a longtemps qu’il ne fait plus de tonneaux pour les vignerons de Chinon et de Bourgueil. Son atelier, à l’entrée du village est souvent ouvert. Il y travaille pour le plaisir, pour les amis. Sa femme a du mal, quand il y est, à le récupérer pour dîner. Il sculpte aussi le bois et son jardin est un bestiaire qui fait aboyer ma Thrice quand on le croise. Elle trouve l’immobilité d’une grande girafe qui scrute l’horizon et d’une grosse cochonne avec sa gorouée de porcelets très menaçante. Si vous vous arrêtez, il sera difficile de partir car le bonhomme de plus de 80 ans pétille de malice et il a tant à dire !

Entre les deux, il y a le tout-venant, comme moi. Pas désespéré de ne plus en être et pas assez passionné pour avoir envie de continuer. Il faut s’occuper pour ne pas s’ennuyer, ne pas rouiller et attendre que le temps passe à ce qu’il veut.

Trois écoles s’affrontent. La première est assez bien décrite par ce quidam à l’activisme peu débridé et qui écrivait à un neveu lointain : « Affaissés dans nos pullmans fatigués de ne rien faire ; contents d’être arrivés, mécontents de presque tout, repus et affamés, un verre de JOGUET de la grande époque pour l’un, un verre de Vouvray made by FOREAU pour l’autre, ignobles, nous trinquons à la mémoire de nos souvenirs ». Revenus de tout et n’aspirant à rien, ils passent le temps en en faisant le moins possible. Ils se fatiguent en regardant travailler les autres. Ils se félicitent de leur bonne santé chaque fois qu’ils vont à un enterrement. Ils survivent en surfant. Plus ils prennent de poids et de l’âge, plus ils s’allègent, s’intéressant de moins en moins, perclus d’arthrose et de ruminations. Certains opportunistes et que rien ne retient passent l’hiver au chaud, en Tunisie ou au Maroc, en pension complète pour une vie de château, à un tarif basse saison. D’autres, plus riches et voulant le rester partent dans le pacifique, non pas à la poursuite du soleil comme Alain Gerbault, mais pour échapper à l’ISF. Leur disparition est anticipée, avec beaucoup d’élégance ils la rendent aussi transparente que l’eau du lagon.

Une autre clientèle fréquente les selfs. Je la jalouse. Elle recherche ce qu’elle ne connaît pas et ce à quoi elle a toujours rêvé de goûter. Le temps est arrivé. Leur patience va être récompensée. Ils vont enfin apprendre le mandarin, à jouer au piano, à la guitare, devenir potier, sculpteur, écrivain, chanteur et même philosophe. Ils partent faire le tour du monde à pied, à cheval, à vélo, en bateau, en voiture. Aucune bonne raison, aucune bonne âme outrée de tant d’inconscience ne les arrêtera. A l’âge où la plupart se retournent pour commenter le passé, ils deviennent des aventuriers et ne pensent qu’à demain. Ils ont tourné une page pour en écrire une plus belle, plus riche. Parce que le temps ne passe plus, mais court, ils se dépêchent de penser, de courir, d’agir. Il y a tant à faire et les jours sont des heures. Leur retraite est, par le seul effet de la volonté, une victoire sur la paresse, la résignation, la routine, la sagesse normalisée. Ils sont admirables.

Reste la troisième option, un entre-deux. Par définition, il n’est ni ignoble ni admirable. Elle compte le plus grand nombre. La vie continue, une routine remplace l’autre. S’occuper est facile. Il y a tant à faire : la maison, la famille, le jardin, les petits enfants, les livres, le cinéma, le théâtre, l’opéra, Venise, la Grèce, une croisière peut-être, un voyage aux States c’est si tentant avec un dollar si bas. « Oui, je me suis mis au golf, ça oblige à marcher » - « Moi, c’est la natation, un sport complet, c’est bon pour l’ostéoporose. Mais sérieusement, trois fois par semaine, avec le club de seniors. Il y a des gens très, très intéressants » - « J’anime un blog. J’y parle de tout et de rien. Ça m’occupe un peu. On s’y fait des tas d’amis, tout autour du monde. C’est très stimulant. C’est sur le conseil de mon médecin » : « à votre âge, il faut faire travailler le cerveau » - « Du bénévolat ? Oui, oui ! Très important, on deviendrait égoïste sans ça » - « Je recherche une ONG qui aurait besoin de mes compétences. Je sens que je pourrais beaucoup apporter. J’étais si tonique, si performant ! » - « Oui, la boîte a eu de gros problèmes. Ils ont failli être rachetés. Je les avais prévenus. Enfin, ce n’est plus mon affaire… Et vous, la santé, ça va mieux ? »


Moyenne des avis sur cet article :  4.17/5   (29 votes)




Réagissez à l'article

8 réactions à cet article    


  • foufouille foufouille 1er août 2008 15:11

    mais non. juste le STO a mi-temps jusqu’a 75a


  • el bourrico 1er août 2008 14:35

    C’est clair, ceux qui ont du pognon se paieront une assurance ou une rente, les autres, ben ils iront coucher dehors avec 300 euros par mois.
    Je vois pas mal de gens qui considèrent simplement qu’ils n’auront pas de retraite, j’en fais partie.

    Après ça on se demande pourquoi les gens sont morose.


    • rocla (haddock) rocla (haddock) 1er août 2008 18:09

      aide-toi , le ciel t’ aidera  !


    • JoëlP JoëlP 1er août 2008 15:23

      Très sympa cet article. Bien écrit, il donne un panorama du monde de la retraite. Un portrait bien brossé pour ce tonnelier, pour ces alcoolos en puissance gagnés par la vide sidérale de leur nouvelle vie sans le travail ou encore pour ces revenus-de-tout qui sirotent leur ennui au bord de la piscine. On y apprend des mots nouveaux (ou on les retrouvent) comme cette gorouée (tripotée) de petit gorets menaçants dans le jardin du tonnelier.

      Continuez d’écrire, c’est une bonne manière de passer le temps et qui vous va bien.


      • rocla (haddock) rocla (haddock) 1er août 2008 16:29

        Bonjour Dotor ,

        Comme d’ hab , un régal de vous lire .

        L" équilibre n’ existe pas , nous sommes seulement des équilibristes ...

        Pareil que dans la vie active , des très bons moments suivis de moins bons etc...

        Cordialement .


        • Fergus fergus 1er août 2008 18:00

          La retraite, prise au sens religieux du terme, c’est aussi la prise de recul avec le quotidien, l’introspection, le questionnement dans la sérénité d’un havre de paix, loin du tumulte et de la trépidance de la vie active. Bref, la retraite pourrait être le début de la sagesse, le moment où l’on prend conscience de la vanité des choses, où l’on cesse d’être un collaborateur pour devenir une personne, le moment où chacun peut librement dire non à un emmerdeur et oui à un gamin ou à un ami sans encourir le risque d’être bridé dans sa carrière. Il est décidément bon de commencer sa retraite par une... retraite. Et point n’est besoin d’être croyant pour cela ! 


          • Frabri 1er août 2008 23:26

            A la retraite il y a aussi la citoyenneté active, la politique, le militantisme, Il y a des retraités qui deviennent conseillés municipaux, maires, plus utiles a leur communes, a la société que lorsqu’il avaient un travail qu’il n’avaient pas forcément choisi .


            • Bof 2 août 2008 16:28

              Merci pour votre vue d’ensemble. Cela me semble être un très bon travail de synthése qui devrait être envoyé à chaque ministre et dans chaque ministère après la présidence.

              Mais, pourquoi donc est-elle OBLIGATOIRE ? Pourquoi faire crever les Français de cette façon ? qu’avons nous donc fait de mal ? il suffit de regarder la courbe de mortalité avec l’âge des retraites . Ne pas oublier de vérifier les décés avec leur profession qui indique bien l’âge de mise en retraite et donc du décés consécutif directement..

              Rendu OBLIGATOIRE comme par arrière goût d’esclavagisme . AH...’"les pourris ils ne veulent pas travailler pour moi et moi tout seul...et bien vengeons nous’" ...."RETRAITE OBLIGATOIRE POUR TOUT LE MONDE" ;

              Certains dont je suis en creve de voir arriver cet âge...."’"qu’ils crevent ces cons."’" Voila pour ma part "ma" vue de ce que pensent nos administratifs minables....Alors, quand ils me parlent de leur sort...l’état va devoir faire des économies...etc...et mon service ne sert plus à rien depuislongtemps ...etc...et bien simplifions l’administration de la France et foutons les de suite au chomage puisqu’ils ne veulent rien foutre. Les desastres qu’ils ont fait dans le sort des Français ne les touche pas beaucoup semble-t-il alors, pour eux, ce serait grave ? Ah, oui...c’est leur sort !!! : et....ça devrait tout changer.

              Je retiens quand même que des très grandes découvertes ont été faites par des Hommes en pleine force et capacité de leur cerveau mais à plus de 70 ans....et encore actuellement dans les deux laboratoires pharmaceutiques Français qui ont échappé à la honteuse et lamentable nationalisation à crédit....et nos administratifs n’ont pas honte semble-t-il.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès