Retraites et justice sociale
Un titre un peu plus long aurait été "retraites, justice sociale et
langue française". En effet je suis un peu surpris par l’utilisation
inappropriée de certaines expressions dans le débat sur les retraites.
Par exemple le gouvernement jure par ses grands dieux qu’il se bat pour
sauver le régime par répartition. Or de répartition il y en a somme
toute très peu.
Un titre un peu plus long aurait été "retraites, justice sociale et langue française". En effet je suis un peu surpris par l’utilisation inappropriée de certaines expressions dans le débat sur les retraites. Par exemple le gouvernement jure par ses grands dieux qu’il se bat pour sauver le régime par répartition. Or de répartition il y en a somme toute très peu. Regardez comment sont calculées les pensions : pour chaque individu on prend les vingt dernières années de salaire et on lui attribue une pension indexée sur les meilleurs mois. Cela signifie que le plus souvent, celui qui aura reçu plus pendant sa vie active continuera a recevoir plus de d’Etat à la retraite, celui qui se sera levé tôt tout les matins pour être exploité au SMIC toute sa carrière recevra une retraite de misère.
Alors bien sûr il faut tenir compte du plafond de la sécurité sociale, au delà du quel les cotisations sont effectivement réparties entre tous les pensionnés. Mais il s’agit alors d’un saupoudrage de répartition, pas d’un système par répartition. On peut même remarquer que le système actuel n’est pas si lointain du système par capitalisation tant décrié : après tout, au saupoudrage près, plus on cotise, plus on reçoit ensuite. Il est donc particulièrement surprenant que l’Etat qui gère les caisses publiques de retraites amplifie les inégalités sociales en donnant plus à ceux qui avaient déjà plus, et moins à ceux qui avaient déjà moins.
Cependant il ne faudrait pas croire que nous sommes déjà dans système par capitalisation. En effet, si nous sommes très loin d’un système par répartition il est cependant indéniable qu’il s’agit d’un système de solidartié intergénérationnelle. Oui, les jeunes et moins jeunes cotisants payent maintenant pour les retaités d’aujourd’hui. Et quand ces actifs deviendront à leur tour retraités, ils profiteront à leur tour de la solidarité de leurs successeurs. Je ne suis pas un expert en économie, mais ce système me parait particulièrement sain : pour quelque chose qui est nécessaire (les retraites) on prend l’argent là où il est au moment où il y est.
D’ailleurs on comprend alors toute la légitimité des mouvement de jeunes face à cette problématique : en effet, en dépit de toute la propagande gouvernementale relayée abondamment par les médias de masse, s’il y en a qui sont particulièrement bien placés pour pousser un coup de gueule, ce sont les jeunes. Après tout, ce sont eux qui sont les plus près de donner dans leur vie active, et les plus loin de profiter, lors de la retraite. Je suis d’ailleurs assez médusé de voir que nombreux sont ceux qui préfèrent méditer sur la mort que penser à leur retraite, en se disant que, après tout, au moins la mort on est sûr qu’elle va arriver.
Trêve de plaisanterie, parlons de justice sociale.
Parlons un peu d’histoire, d’injustice sociale, et de démocratie.
D’histoire tout d’abord bien qu’il s’agisse d’histoire proche, puisque le système des retraites, comme d’autres systèmes de solidarité nationale (penser à la SECU) sont issus du programme du Conseil National de la Résistance. Qu’il y ait eu programme est une chose, qu’il ait été réalisé en est une autre puisqu’il aura fallu des circonstances exceptionnelles pour que le patronat et les financiers acceptent de cotiser pour la solidarité nationale. Ne leur jetons pas la pierre, car après tout on peut comprendre que pour être sûr de sauver leur activité et leurs emplois certains se soient laissés aller à la collaboration avec l’ennemi ; mais évidemment, à la libération ce n’est pas eux qui avaient la meilleure place autour d’une table de négociation.
Donc l’histoire nous a légué un système de solidarité intergénérationnelle et c’est bien. Mais la seule manière d’en être digne, c’est de l’améliorer. Le mieux est l’ennemi du bien, certains diront. Oui, mais de la même manière la justice sociale est l’ennemie de l’injustice sociale. Et les jeunes, s’ils défilent, c’est qu’ils veulent plus de justice sociale. Alors remettons-en un couche : le système des pensions de retraites actuels est absolument injuste : celui qui reçoit plus dans sa vie active du fait des inégalités sociales, recevra plus à la retraite ce qui accentue les inégalités sociales. Non seulement il reçoit plus, mais en plus, il a besoin de moins. En effet le système injuste lui a donné assez pour se faire un patrimoine donc à priori il aura eu assez pour devenir propriétaire, et il n’a plus à payer de loyer au moment de la retraite.
Alors que celui qui s’est levé tôt toute sa vie pour un petit salaire, qui a accomplit un travail physique, éprouvant, répétitif, eh bien celui là non seulement il a besoin de plus pour payer son loyer et ses charges même à la retraite, mais en plus, il reçoit moins. Je passe sur les périodes de chômage, les difficiles périodes de chômage, oui, parfaitement, les difficiles périodes de chômage, sauf pour quelques profiteurs qui ne sont pas aussi nombreux que l’on voudrait nous le faire croire. Cependant il ne faudrait pas croire que l’auteur de ces lignes préconise un système à la soviétique où chacun recevrait la même pension de retraite.
En effet, quoiqu’on en dise, donner la même chose à chacun, ce n’est pas juste. Tout simplement parce que nous sommes tous différents, donc nous avons tous des besoins différents. Je reviendrai sur cette notion, mais convenons en attendant que si le système communiste a du réprimer si fortement le droit d’expression et installer un régime quasi-totalitaire, c’était bien pour maintenir un système injuste. Si le principe "donner la même chose à chacun" avait été juste, qui se serait levé pour se plaindre ? Quel aurait été le besoin de bailloner les empêcheurs de tourner en rond ?
Non, qui est juste, ce n’est pas de donner la même chose à chacun, mais c’est de donner à chacun selon ses besoins. Mais me direz vous, comment évaluer les besoins d’un individu ? Le manque de dialogue social dans notre pays nous éloigne un peu trop souvent de cette question, mais cela ne nous dispense pas d’y répondre. Tout d’abord, si nous l’analysons proprement, cette question comporte une partie facile et une partie très compliquée. La partie facile, qui ne l’est pas tant, mais je ne voulais pas vous effrayer, est celle qui traite des besoins inconditionnels, ou indépendant des individus, certains les appellent fondamentaux. Tout homme a besoin d’un air respirable, d’une eau potable pour ne pas dire pure, d’une nourriture saine, d’un logement décent, d’un accès aux soins médicaux. Evidemment, beaucoup d’entre nous voudrons élargir cette liste, et cela mérite discussion.
Mais cette discussion aura lieu une bonne fois pour toute, ou au moins pour un temps significatif, et l’on peut s’appuyer sur des textes qui existent déjà, notament la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. Mais les choses se compliquent diablement quant-il s’agit de dire quels sont les besoins qui sont propres à un individu. En effet, là il ne peut pas y avoir de vérité intrinsèque, car nous sommes tous différents et d’autre part ce qui est vrai aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Donc nous ne pouvons pas nous appuyer sur une quelconque idéologie rassurante sur le sujet, mais qui aura tôt fait de engluer dans ses contradictions.
La seule solution il me semble, c’est la démocratie. Seul un être humain peut dire avec une assez bonne approximation quels sont les besoins d’un autre être humain. Je ne demanderai pas au même, car en fonction de son tempérament l’être humain aura souvent tendance soit à exagérer ses propres besoins, soit à les minimiser, voire même les oublier.
D’ailleurs en y réfléchissant bien je ne demanderai pas à une seule personne d’évaluer les besoins d’autrui, car pour des affaires aussi sérieuses l’avis de plusieurs me semble nécessaire. De plusieurs, oui, mais de qui ?
On peut payer des fonctionnaires pour cela ; mais ce genre d’idée, aussitôt énoncée, mérite d’être oubliée. A moins bien entendu d’être un inconditionnel de la bureaucratie ou d’apprécier les dérives totalisantes des systèmes étatiques modernes je pense que l’honnête homme préfèrera s’en remettre aux forces vives de la nation, c’est-à-dire aux citoyens tirés aux sort dans la région du retraité. On peut imaginer le retraité passant tous les ans deux heures devant une commission éphémère de quatre citoyens volontaires, à qui il parlera de sa vie quotidienne, et peut-être de ses désirs cachés, comme enfin faire ce voyage auquel il pense depuis longtemps.
Ensuite la commission discute, débat, et rend son avis sur la pension mensuelle qu’il faudra attribuer cette année au retraité. Ce mode de fonctionnement, aussi révolutionnaire qu’il puisse paraître, ne l’est pas du tout parce que les jurés d’assises sont déjà tirés au sort sur les listes électorales et ils pourraient bientôt être rejoints par les jurés (ou les juges) en correctionnelle. D’autre part, ce sujet des retraites provoque une telle agitation chez les citoyens qu’il serait dommage de ne pas mettre à profit toute cette débauche d’énergie et ce sens aigu de la justice pour la mise en place d’un vrai système par répartition.
Alors cela pose aussi la question du projet de société, car évidemment un vrai système par répartition est un peu contradictoire avec une société dont le seul moteur reconnu est l’appât du gain. Mais il ne faut pas attendre 2012 pour en parler, car d’expérience, on parle rarement de projet de société pendant les élections. Allez savoir pourquoi.
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