Retraites : le combat contre Macron ne fait que commencer
Le Conseil constitutionnel a rendu son verdict ce vendredi 14 avril : la loi sur la réformes des retraites est déclarée conforme à la Constitution tant sur le fond qu'au niveau de la procédure. Le référendum d'initiative partagée est quant à lui rejeté, de même que les "cavaliers sociaux", ces quelques mesures sociales arrachées par l'opposition au Sénat, balayées pour inconformité sur la forme (celles-ci n'étant pas liées à la sécurité sociale et ne pouvant donc passer dans un texte adopté par l'utilisation du 49.3 : belle pirouette…). Le texte qui passe est donc plus violent encore que celui qui avait été présenté aux Sages. S'étonner serait faire preuve de naïveté. Nous l'avons dit dans notre précédent article : la validation était courue d'avance. Les constitutionnalistes le reconnaissent eux-mêmes, à l'instar de la juriste Anne-Charlène Bezzina qui déclarait à l'antenne de BFM TV : "On a attendu trop de choses de la part du Conseil constitutionnel."
À présent que les syndicats essaient de sortir par le haut pour ne pas perdre la face et que les faux opposants montrent leur visage en se débinant sous couvert de loyalisme, à l'instar de Louis Aliot qui appelle à s'opposer "par les urnes et non par la pression", une question se pose au peuple, seul concerné et seule victime de cette loi. Que faire maintenant que le processus législatif s'est achevé et que le Président s'apprête à promulguer une loi violente et inique ?
Il est essentiel de noter que la promulgation d'une loi ne signifie pas son application. Si la lutte législative et juridique s'est soldée par une défaite (moins du peuple que de ses "représentants"), l'étape sociale et politique ne fait que commencer.
Le précédent billet de notre collectif appelait à la grève générale. Cette dernière est de fait le meilleur moyen de faire plier l'exécutif. Par là, nous entendons un mouvement social regroupant les salariés du secteur privé et de la fonction publique, ainsi que les étudiants, les lycéens, les retraités et les chômeurs ; les réprouvés de toutes origines et de toutes catégories sociales, de la campagne aux banlieues ; une grève transpartisane où il n'y aurait d'étiquette autre que celui d'opposant à cette loi inique. Nous sommes convaincus qu'une telle vague sociale aurait la Macronie à l'usure au bout de quelques semaines à coup de blocages, de sit-ins et de manifestations constantes dans toutes les grandes villes de France. La chaîne de production et d'approvisionnement, et partant la vie économique du pays seraient durablement paralysées, de même que les rouages de l'administration, de l'éducation et de l'aménagement urbain. Le pouvoir serait bien contraint de céder.
Comme plusieurs lecteurs nous l'ont fait remarquer, cela relève actuellement de l'utopie. Nous en avons parfaitement conscience. Il n'y a nulle hypocrisie : nous croyons sincèrement à l'efficacité de la grève générale pour faire céder le pouvoir et nous la souhaitons de tout cœur. Mais si nous faisons notre "l'optimisme de cœur" de Gramsci, nous partageons aussi son "pessimisme de raison". Partant, l'honnêteté intellectuelle oblige à admettre qu'une grève générale ne se fera probablement pas en l'état actuel, faute d'un réveil général qui en est le prélude nécessaire. Gauche contre droite, conservateurs contre progressistes, Blancs contre minorités, hommes contre femmes, jeunes contre boomers, salariés contre fonctionnaires… Les clivages sont tels dans le pays – bien souvent inventés de toutes pièces par le pouvoir et les lobbys afin de mieux prospérer sur les divisions – qu'une union populaire gommant les particularités au service de l'intérêt général relève bien hélas de l'utopie.
Si le peuple n'est pas encore prêt à mettre de côté querelles et factions pour s'unir contre le seul adversaire commun – la Macronie et plus généralement ce système verrouillé par les élites où le peuple est comme un eunuque au milieu d'une orgie –, les citoyen(ne)s qui sont assez lucides doivent mener une stratégie d'actions ciblées et spectaculaires.
La grande manifestation du 3 mai, proposée par Sophie Binet et validée par l'Intersyndicale, est de ce point de vue une bonne chose car elle est de nature à mobiliser plusieurs millions de personnes et à montrer à la Macronie que la détermination des opposants n'a pas faibli. Cependant, répéter le schéma de façon hebdomadaire serait inutile, voire contre-productif, car la mobilisation faiblirait naturellement au fil des semaines et cet étiolement pourrait renvoyer le message erroné d'une résignation de notre part. C'est la grande faute des Gilets Jaunes : les six à sept premières semaines avaient mobilisé le peuple et fait craindre un climat insurrectionnel au pouvoir, mais à partir de janvier 2019, la détermination des Gilets Jaunes à manifester chaque samedi, alors même que leur nombre déclinait de semaine en semaine, a paradoxalement contribué à les marginaliser et ainsi à renforcer le pouvoir. Une grande manif transpartisane et interprofessionnelle par mois, c'est utile pour montrer que l'on est toujours là ; plus, c'est jouer contre nos propres intérêts.
Les blocages de rouages essentiels à la vie économique, culturelle ou administrative du pays, sont beaucoup plus spectaculaires et susceptibles de mettre le pouvoir au pied du mur en le contraignant soit à se durcir au risque d'apparaître tyrannique, soit à reculer quitte à y perdre sa fierté. Nous avons vu en janvier dernier à quel point la grève de quelques raffineries créait de la panique au sommet du pouvoir : des salariés astreints au service avaient été menottés à leur domicile et emmenés manu militari sur leur lieu de travail pour éviter une paralysie du pays. Les secteurs du pétrole, du nucléaire, de l'électricité, des transports publics, de l'approvisionnement et de l'industrie sont au sens légal des OIV (Opérateurs d'Importance Vitale) selon le Code de la Défense, ce qui autorise à encadrer leur droit de grève plus durement que celui d'autres salariés. Cela, en théorie. Mais en pratique, s'ils peuvent arrêter une trentaine de grévistes dans cinq raffineries, ils ne peuvent en emprisonner des milliers dans tous ces secteurs vitaux. Plutôt qu'un simulacre de grève générale voué à s'essouffler faute de soutien massif chez le peuple, il serait préférable que ces secteurs se mettent en grève chacun leur tour de façon à laisser pourrir la situation pour le régime, de faire en sorte qu'il est toujours un conflit social sur le dos.
Le monde de l'éducation peut aussi jouer un rôle déterminant. Un blocage universitaire s'étalant sur plusieurs semaines et empêchant le déroulement de partiels a plus de résonance que les gentilles manifestations hebdomadaires bien encadrées par la police. Une grève conjointe des élèves et des professeurs dans les lycées aurait la même vertu. Il est à noter que lorsque des élèves bloquent leurs établissements, ils agissent souvent dans un esprit adolescent de révolte… contre leurs enseignants et leur direction, qui font figure d'autorités. Cette vision immature conduit à se tromper de combat, voire à ajouter un nouveau clivage à ceux déjà existants. Comme en mai 68, enseignants et élèves doivent mener des actions conjointes. La jeunesse, tout aussi victime de cette loi que les seniors, a un rôle de premier plan dans l'opposition à cette loi ; sur un plan purement stratégique, elle est même la mieux placée pour mener des actions régulières (manifestations, sit-ins, blocages). Si le CPE a été abandonné par la droite en 2006, c'est avant tout parce que les défilés étant composés en grande majorité de étudiants et de lycéens, toute la classe politique redoutait un scénario Malik Oussekine. Si répressif qu'il soit, le gouvernement regimbe toujours à trop maltraiter la jeunesse, moins par compassion que par crainte d'un drame susceptible d'enflammer l'opinion publique. Il serait toutefois bien cynique d'envoyer la jeunesse comme bouclier humain face aux prétoriens du régime. Pour cette raison, l'ensemble du monde éducatif et universitaire, des personnels d'entretien aux directeurs, doit être à ses côtés, tant moralement que physiquement.
Enfin, un de nos lecteurs a parlé fort judicieusement d' "harceler" le pouvoir et ses représentants. Nous en avions déjà fait état dans notre tout premier article. Il est tout à fait possible de leur rendre le quinquennat actuel intenable, tout en restant dans les clous de la légalité. Les huées essuyées par le Président au Stade de France, le 24 mars dernier, ainsi que celles reçues par la Première ministre lors de la visite d'un supermarché ce vendredi sont de bons exemples, mais cela ne doit être qu'un avant-goût. Il est nécessaire que des citoyens contestataires s'incrustent lors de chaque déplacement du Président, de ses ministres et même des députés macroniens afin de faire entendre leur mécontentement, à coups de huées, de banderoles ou de farine. De telles actions auraient le mérite de mettre le pouvoir dos au mur : sévir durement, sous l'œil des caméras, serait désastreux pour l'image de l'exécutif ; se laisser prendre à partie sans réagir enverrait un message de délitement et d'impuissance. L'image serait en tous les cas abîmée et les contestataires gagnants, à moindres frais (tout au plus quelques heurs en garde à vue). Peut-être, l'un d'eux pourrait-il se laisser aller à une réaction épidermique (du genre "Casse-toi pauvre c*n") face à des invectives trop fortes, ce qui écornerait encore plus l'image de ce gouvernement et de la Macronie. À terme, ces responsables en viendraient à craindre d'aller à la rencontre des Français et s'enfermeraient davantage dans leur tour d'ivoire, ce qui achèverait de balayer les derniers restes de leur popularité. S'ils ont le pouvoir politique sur nous, nous avons celui de jouer avec leurs nerfs. Usons-en avec intelligence.
Chacun peut, à sa petite échelle, être un grain de sable dans la machine, jusqu'à ce que celle-ci s'enraye. Pour les plus frileux ou les plus casaniers d'entre nous, internet peut aussi être un terrain d'expression ; et non des moindres, les batailles politiques se jouant aussi, de plus en plus, sur l'image et à travers les réseaux sociaux. Il est tout à fait possible d'apostropher le Président, ses ministre et les autres figures de la Macronie sur les réseaux sociaux, voire d'inonder chacun de leurs tweets de commentaires protestataires (tout en veillant à rester dans la légalité). Leurs community managers peuvent bien retirer ces commentaires ou bloquer leurs auteurs s'ils sont quelques uns. Mais il est impossible de le faire assez rapidement avec des millions d'internautes. Pour ceux qui ont une bonne plume, il est également possible d'écrire des lettres ou des courriels aux parlementaires macronistes de nos circonscriptions afin de leur témoigner notre mécontentement. Dès lors que celles-ci ne comportent aucun propos haineux, injurieux, menaçant ou diffamatoire, on peut leur écrire à la fréquence que l'on veut. C'est notre droit de citoyens.
Comme nous l'avons dit en préambule, la grève générale est la meilleure option possible pour faire céder le pouvoir et l'amener à s'asseoir à la table des négociations à notre avantage. Mais celle-ci est encore trop prématurée, le peuple n'étant pas encore prêt à un tel effort d'énergie, de temps et de moyens. Il faut considérer la grève générale comme un idéal, un point de mire, mais avoir le réalisme de constater son actuelle impossibilité pratique. À défaut de pouvoir fédérer toutes les Français de toutes classes sociales et de tous courants contre la Macronie, nous pouvons à tout le moins organiser des actions ciblées, dures, spectaculaires et qui plus est légales contre le Gouvernement et ses parlementaires godillots.
Bien peu de gens, même dans les milieux de gauche, connaissent La Semaine sanglante, cette très belle chanson révolutionnaire écrite au lendemain de la répression de la Commune. Après avoir décrit dans ses couplets toutes les exactions des Versaillais et du nouveau régime, voici ce que dit son refrain : "Oui mais, ça branle dans le manche / Les mauvais jours finiront / Et gare à la revanche ! / Quand tous les pauvres s'y mettront." Eh bien, qu'attendons-nous ?
34 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON