Rêve de ville en campagne
Si nos banlieusards trouvent à brûler gymnases et crèches, bus et écoles, c’est que malgré tout, certains de ces services sont encore présents dans leur quartier, il n’en va pas de même dans le monde rural qui meurt, qui meurt de cette vie qui abandonne le terrain, petite caserne, poste, banque, bar, même, tout ferme.
Telle est la vie du jeune campagnard, milieu modeste ou moyen, logé à l’enseigne de la différence provinciale.
Le jeune rural qui entre en école primaire, quelquefois en maternelle, suit une scolarité, la plupart du temps en classe à niveaux multiples, avec de la chance dans son village, le plus souvent dans un village éloigné où il se rend par bus scolaire, depuis un arrêt de fortune ouvert à tous les risques routiers et météorologiques.
Le jeune rural, suivant ce parcours chaotique, atteint l’âge du collège, armé des meilleures intentions jusqu’aux premiers jours de rentrée.
Ici commence, à 11 ans, sa vie d’homme responsable.
Le collège est en ville, le bus n’attend pas, l’horaire est matinal, le sac est lourd et l’arrêt lointain, quelquefois il pleut.
Vie de bric et de broc, il tente de trouver quelques activités annexes, sportives ou culturelles, le choix limité le dirige irrémédiablement vers le football ou la bibliothèque municipale dont la fraîcheur livresque est en compétition avec l’âge de la bibliothécaire.
Il est vite déçu, le bus le ramène dans son village à 18 h 30, la bibliothèque est fermée depuis belle lurette, il attendra le mercredi après-midi peut-être.
Cet après midi-là, il le consacre à son football hebdomadaire sur un terrain herbeux mal nivelé où les chevilles font office de ressort. Fin d’entraînement, dégoulinant de sueur, les douches n’existent pas sur ces petits "stades", il court chercher son livre prometteur, la bibliothécaire est malade, pas de lecture aujourd’hui.
Les années passent, le personnel de collège aussi, il ne se souvient plus très bien combien de prof de français il eut en sixième, l’une a accouché, l’autre nommée pour trois semaines, puis un mois d’abstinence, on ne trouvait pas de remplaçant, quelle chance se disait-il.
Il est en troisième, le brevet en fin d’année, passage obligé pour prendre le bus des grands, une heure plus tôt. Le censeur, cette année-là, est une femme qui remet, pour la énième fois, en cause le règlement, cette année pas de téléphone portable, la cabine ne marche jamais, si tu loupes ton bus tu meurs.
Il a laissé tombé le football, maintenant qu’il y a internet à la maison, il préfère passer son mercredi après-midi à discuter avec des amis lointains et lire sur son PC des passages de quelques livres absents au village.
Le brevet, il l’a eu, enfin le lycée lui ouvre grand les portes.
6 h 30, il fait nuit, cet été on a mis un lampadaire près de l’arrêt, il faut dire que deux petites filles ont été tuées, non loin de là, à la descente de bus un soir de pluie.
Le vieux car, fumant son diesel puant, arrive, le novice s’engouffre, curieux. Une heure pour vingt kilomètres c’est long, mais au bout l’appel de la culture attire ces gamins déjà trop vieux.
Notre néo-lycéen pénètre enfin dans son nouveau domaine.
Que de monde dans cette immensité bétonnée, « 1 800 élèves » lui dit un grand qui passe. Il court, monte, descend, pas de plan, on ne lui a pas appris le lycée comme on ne lui a pas appris la ville.
Ces premiers mois sont une course effrénée, cours, librairie, cantine, cours, administration, cours, bus, et enfin le canapé, la télé, déjà le 20 heures.
Et ce soir il a des devoirs, des devoirs à n’en plus finir, et ses amis sur internet attendront.
Les mois passent, il n’a plus une minute à lui, où est le temps du football, de la bibliothèque, des balades trop rares en vélo dans la campagne désertée ?
Le bac est là, révisions, les amis habitent loin, trop loin, on se téléphone beaucoup, on se donne rendez-vous à plusieurs, il en manque toujours un ou deux.
La convocation est arrivée ce matin.
Horreur, les épreuves se passent dans un lycée de la grande ville à 45 km de là, comment y aller, papa ou maman seront mis à contribution, ou le voisin au chômage depuis tant d’années.
C’est le jour, 5 heures du matin, debout, lavé, habillé, déjeuner, il n’a rien oublié, dernière vérification, un coup de klaxon, le voisin s’impatiente.
La vieille 504 crachouille et démarre, la nationale file, les platanes saluent le passage de l’antiquité, et la ville apparaît, des millions de voitures viennent coincer la guimbarde et la bloquer, embouteillage, l’heure tourne.
Enfin l’arrivée, la course, la peur, la suée, les papiers volent, les stylos glissent, vertige d’une journée de folie, c’est l’heure de rendre copie.
Retour morne, la mère d’un ami se prête au transport en commun.
Les nuits suivantes sont longues, seuls l’ordinateur et le téléphone subissent de mous assauts, quelques nouvelles, mais rien ne se passe.
Puis un matin, l’homme en voiture jaune dépose cette lettre tant attendue, tant redoutée.
Il l’a !…
Vite la fête, téléphone, voiture, vélo, pieds, tout est bon pour retrouver les amis, faire la fête, un but, une fin dans cet espace sans vie.
Il le sait, il en a pris conscience au cours de ces longues années, il n’ira pas à science-po, ni dans un illustre IUT, les grandes écoles ferment leurs portes à ces paysans mal dégrossis, sortis de lycées d’on ne sait où.
Seule la fac le prendra, ultime espoir de voir un jour son costume neuf lustrer les chaises d’une administration provinciale, ou d’une banque secondaire.
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