Réveils des peuples ou Renaissance ?
Nous sommes à la croisée des chemins : d'un côté la voie du doute et de l'autre la voie de la confiance. "Du bon usage du doute et de la confiance" aurait pu aussi être le titre de cet article qui a la prétention d'apporter un éclairage philosophique sur la situation actuelle en Europe et en France. Les philosophes ont compris depuis des millénaires que ces deux choses opposées - la confiance et le doute - sont des guides précieux pour déterminer notre conduite quotidienne ainsi qu'à l'heure des choix essentiels.
Le réveil des peuples peut être mauvais, c'est-à-dire davantage créateur de mauvaises conséquences que de bonnes choses. Ce que l'on appelle le "populisme" qui prétend tout réformer à peu de frais et dans le sens du poil de la bête (le Peuple) en est un exemple déplorable. Ce réveil-là est issu du doute, pas de la confiance.
L'endormissement des peuples par une confiance trompeuse ne vaut guère mieux. On le voit en France, où la politique dite du "en même temps" se réclamait de la confiance et commence à montrer ses limites et ses faiblesses. On le voit aussi au plan européen qui a échoué à mettre les états membres en accord sur un socle minimal de politique de gestion des migrants. Il est vrai que la question de l'immigration n'a pas été déléguée à l'Europe et qu'elle reste du ressort des états, mais qu'est-ce qui empêchait lesdits états d'élaborer un socle de règles de bases permettant sinon l'harmonie au moins le règlement des questions prioritaires ? En France, la politique de confiance de Macron est univoque, elle consiste à faire une confiance aveugle aux riches et au marché (au point de lâcher des milliards sans aucune garantie de contrepartie ou d'effet retour). Mais de l'autre côté, la même confiance n'est pas accordée aux chômeurs, aux corps intermédiaires, aux citoyens. Partant de là, la confiance envers le pouvoir politique en place ne pouvait que s'effriter, faute de réciprocité.
Le philosophe Socrate fut un des premiers, en tous cas le plus célèbre, à avoir fait du doute un mode de pensée et de guidage de sa conduite. Le fameux "je sais que je ne sais pas" résume cette démarche. Descartes essaiera de résoudre la question en procédant selon la méthode du doute radical mais tout en gardant un principe de doute raisonnable (la "morale par provision" ou la "navigation à l'estime". Il a exprimé le cogito qui, exposée au doute radical, est une formule qui ne souffre d'aucun doute.
Du bon usage du doute et de la confiance
Dans notre vie de tous les jours, ces deux aiguilles de notre boussole nous guident. La confiance nous permet de cerner ce qui dans notre environnement reste stable (nous sommes sûr en nous endormant que le jour reviendra et que notre existence ne sera pas bouleversée). Mais il faut aussi que tout ce qui procède de l'Autorité engendre de la stabilité pour assurer la confiance des citoyens, que ce soit en matière d'éducation (pas de réforme chaque matin) ou en matière de politique générale qui touche à notre vie économique et quotidienne. Les incertitudes, les remises en cause (même sous le nom vertueux de "réformes"), les hésitations et retours en arrière, favorisent le doute. La confiance est ce qui se crée lors du lien enfant-adulte. Elle se prolonge ensuite dans la relation élève-maître et citoyen-autorité.
Le doute n'est pas moins essentiel que la confiance. Sans lui point d'esprit critique. Quand l'Etat se prétend le détenteur de toute vérité, il tend à annihiler ce doute nécessaire.
Trouver le bon axe de direction dépend donc de l'observation de deux aiguilles de notre boussole : celle du doute et celle de la confiance. Le doute radical n'est pas approprié à l'action et à la vie courante, sans quoi il conduit au complotisme, à la paranoïa. Le "doute raisonnable" est préférable, tel qu'il s'exprime par exemple dans la formule "dans le doute, abstiens-toi".
Quand plus rien n'est fiable, il faut élaguer (principe de Guillaume d'Occam) mais élagage ne veut pas dire faire table rase de tout. Il convient d'appliquer la sagesse du jardinier qui sait où et quand couper les branches pour que la plante n'en repousse que mieux. C'est là les conditions d'une renaissance, renaissance préférable à la révolution qui tranche sans grand discernement.
Le discernement
Le discernement, voilà le mot. Voilà la chose qui nous permet de trancher entre le doute et la confiance.
Mais nombre de facteurs viennent parasiter notre conscience et nous empêchent d'user de notre discernement : la précipitation fait partie de ces facteurs. Elle est partout : dans la diffusion des nouvelles (risques d'erreurs et de fake news), dans la proclamation d'intentions (en politique où il faut exister et créer un évènement chaque jour), dans le jugement (le grand tribunal médiatique, la rumeur).
Pour aider notre discernement, il faut recourir à un usage sain de nos deux aiguilles : le Doute et la Confiance.
L'équation de Lindbergh
Il s'agit de résumer ici la pensée que j'essaie de développer par un exemple concret. Le plus simple exemple serait celui de la voiture :
1- Nous avons le moteur et l'énergie : c'est l'ensemble des forces qui nous font agir, à savoir les besoins, le désir, la volonté. J'y ajoute la peur quand elle donne des ailes et non quand elle paralyse. La peur est distincte de la crainte car la crainte inhibe.
2 - Nous avons le guidage : notre GPS, c'est notre boussole, le discernement. Son aiguille est animée par la force de deux pôles qui s'opposent : le Doute et la Confiance.
3- Enfin, nous avons la conduite. Elle repose essentiellement sur la connaissance que le conducteur a de lui-même. Il faut apprendre la conduite et s'exercer pour se connaître et bien piloter.
Le troisième point, c'est la connaissance. La deuxième, c'est le savoir. La connaissance est personnelle, intime même, elle n'est pas transmissible. Le savoir est un ensemble de techniques élaborées et transmissibles. Enfin, il ne faut pas laisser nos ressources (désir, peur, volonté) nous imposer leurs choix.
"Connais-toi toi-même" est le précepte qui s'applique à la connaissance intime de soi (point 2). "Rien de trop" s'applique au savoir car mieux vaut une tête bien faite qu'une tête bien pleine. Rabelais a démontré par la caricature (Gargantua, Pantagruel) les dangers et la bêtise qu'engendre la méconnaissance de ce second précepte de Delphes.
J'ai appelé cette sous-rubrique l'équation de Lindberg parce que j'ai à l'esprit surtout l'image de Lindbergh traversant l'Atlantique à bord de son "Spirit of Saint-Louis" (un avion conçu rapidement et spécialement pour cette traversée). ll lui faut gérer les trois parties que nous avons indiquées : gestion du carburant, conduite, guidage. Lindbergh avait privilégié la réserve importante du carburant et s'était délesté d'un maximum de choses y compris du parachute ! C'était son choix. Son choix de guida fut aussi étonnant : le réservoir énorme de carburant lui bouchait la vue et il avait fait construire un périscope pour toute forme de guidage car, n'ayant pas non plus embarqué une radio, il s'orientait à la seule vue à travers cet instrument du paysage et du ciel étoilé.
Je trouve que cette image de Lindbergh résume nos entreprises les plus délicates et périlleuses. Nous sommes amenés à jauger constamment selon l'environnement qui instille en nous tantôt de la confiance tantôt le doute. Nous avons ces deux boussoles et il nous faut aussi nous connaître nous-même : c'est la connaissance de soi acquise par une longue expérience. Quant à l'énergie, il nous faut nous assurer en avoir suffisamment pour aller au bout de notre projet. Savez-vous ce que fit Lindbergh ? Il n'emporta que trois sandwiches et ne mangea le premier qu'en survolant l'Islande ! Un choix très risqué car il risquait de faiblir. Faute d'avoir emporté suffisamment d'énergie, il décida de supprimer tout confort et opta pour un fauteuil des plus rustiques et des plus inconfortables. Ainsi, il ne risquait pas de s'endormir.
On peut arriver à un but par divers moyens et l'opération de Lindbergh aurait pu fonctionner sur la base de choix très différents. Mais, ce qui ne doit jamais manquer pour espérer réussir, c'est le doute critique et la confiance ainsi que la bonne gestion de ses ressources (qui veut voyager loin ménage sa monture) et de la connaissance que l'on a de soi-même.
Ces règles de sagesse ne semblent pas avoir été respectées en politique française où la précipitation et l'éparpillement semblent être la règle qui domine, où la confiance est dispensée de façon très inégale, où les ressources sont gâchées (y compris le capital électoral).
Nous avons besoin d'une renaissance positive et florissante de l'humanisme et de la Nation - au sens noble de ce terme. Nons pas besoin de "réenchantement" comme le disent les militants de gauche car ce terme, quand je l'entends, semble dire qu'il faut redonner le moral aux personnels politiques et aux militants. Or, il s'agit d'aller bien au-delà. La renaissance passe immanquablement par un retour à la sobriété, à un discernement plus sain, à la sobriété, aux élagages nécessaires pour favoriser la repousse qu'il faut, à la prise en compte de façon sérieuse des enjeux et des dangers qui nous menacent, tant environnementaux que sociaux.
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