Revenir à la laïcité
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Le mot laïcité est un piège. Nous en avons fait un piège. Involontairement tout de même.
La laïcité était un attribut de l’État et seulement de l’État. C'est là la définition d'un champ de compétence, dont il aurait mieux valu ne jamais sortir.
Avec une loi qui commandait à certains citoyens un comportement laïque, la loi sur les signes religieux à l'école, dites souvent loi sur le voile, la laïcité a trahi son être. Nous avons inversé le sens de la laïcité : elle était une capacité-obligation de l’État à régler son action sans recours à une religion, une capacité-obligation à réguler les relations entre les religions d'une part et d'autre part entre l’État et les religions, une capacité-obligation coulant de l’État vers la société et les citoyens ; elle est devenue la source d'un pouvoir de l’État sur le citoyen, elle a inventé une laïcité du citoyen que celui-ci est prié de montrer tout le temps et partout, elle a inversé son sens. La laïcité est devenue le principe d'une injonction faite au citoyen de pratiquer sa religion dans l'entre-soi et d'afficher dans l'espace public un athéisme.
À partir du moment où la laïcité devenait une raison pour envoyer aux citoyens des « commandements » concernant sa conduite, elle se mettait au niveau des religions qu'elle devait réguler. C'est une question d'observation et de logique dans la définition des mots et dans l'existence et le fonctionnement des choses. Quand l’État se met à se servir du mot « laïcité » pour piloter les citoyens sur leur façon de s'habiller, quand l’État se met à distinguer des vêtements permis et d'autres non, la laïcité devient l'équivalent d'une religion (que les élèves portent un foulard pour raison religieuse devient « haram » dans la laïcité-inversée). A mon sens, on ne peut pas avoir d'avis là-dessus. Si la laïcité est la source de lois concernant les citoyens et non plus un arbitrage des groupes et des mouvements de la société par l’État, la laïcité devient l'équivalent d'une religion (comme une religion, si vous préférez). La laïcité devient concurrente des religions, sans bien s'en rendre compte, sans mettre assez de moyens, du coup, ni en quantité, ni surtout en qualité. Régis Debray valide cette mise en égalité des religions et de la laïcité en admettant qu'une certaine religion menace la laïcité. C'est comme si un coup de dé abolissait le hasard.
Régis Debray répond que la laïcité n'est pas une religion, puisqu'elle ne fait pas chanter, ne fait pas espérer... mais il trouve qu'elle est sacrée, qu'être contre est un sacrilège... il exprime un avis, une opinion, bien qu'il soit dans une émission de France-Culture comme philosophe. Il est dans un à-peu-près logique, il détaille les traits des religions et comme la laïcité inversée du citoyen n'a pas tous les traits des religions, il croit pouvoir en déduire qu'elle n'en est pas une.
Cela me permet de préciser mon analyse et de redire que cette laïcité-du-citoyen place la laïcité en équivalence et concurrence avec les religions, en son fonctionnement social. C'est une mauvaise religion, faible en son centre (son credo) et faible en son action (ses rites d'appartencance, son prosélytisme). Voilà comment les paroles de Régis Debray reprennent sens, c'est-à-dire parlent de ce qui se passe vraiment.
L'entêtement dans l'erreur se poursuit : Régis Debray a écrit un livre sur « que faire en telle ou telle situation ». Un catéchisme du citoyen laïque, en quelque sorte. Dicter le comportement laïque dans des moments de la vie où cette laïcité-inversée est en difficulté (mal visible, mal respectée). Un livre pratique sur des « cas pratiques ». Il atteint le sublime ! Il décortique les actes, les intentions... à un niveau de casuistique jésuite. On a intérêt à avoir le livre dans sa poche et à être prêt à le dégainer promptement. Peut-être faudrait-il faire un téléphone gratuit d'urgence ? Les horaires différents pour les hommes et les femmes ne font pas problèmes s'ils sont motivés par la gêne que les hommes causent aux femmes. Au passage, il acte de la négativité des hommes envers les hommes, amalgamant tous les hommes et les stigmatisant tous. Surtout, Régis Debray donne naïvement le mode d'emploi de la laïcité (inversée) à ceux qui n'en veulent pas : il suffit de dissimuler ses intentions religieuses sous une condamnation globale des hommes, qui, elle, ne ferait pas problème !
Élisabeth Badinter défend aussi cette laïcité inversée et s'en prend à la gauche qui ne le ferait pas, par crainte de se faire traiter d'islamophobe. Ce qui réaffirme le caractère religieux de cette laïcité inversée. Comme tous les croyants (les idéologues), elle voit dans le manque de force (en intensité et en nombre de points d'application de cette force) l'échec de son point de vue.
Alain Juppé a mis dans son programme la négociation d'un pacte avec l'Islam de France (comme un concordat ?) et la création d'un délit d'entrave à la laïcité dans les services publics. Là aussi, la laïcité du citoyen est actée.
Régis Debray se flatte d'avoir été dans les premiers au sein de la commission Stasi à vouloir une loi sur les signes religieux à l'école, dont il estime qu'elle fonctionne bien (il n'y a ni affaires, au sens médiatique, ni procès) alors que son effet n'est pas seulement et surtout dans ce qui découle de son sens littéral. Son effet est de créer une laïcité du citoyen, hors de propos, inversion de la laïcité-arbitrage de l’État, cette anti-laïcité qui continue à se nommer laïcité, jouant aussi un rôle fondamental au niveau mondial, plaçant la France en tête des pays cibles pour les djihadistes.
Il est toujours possible de retrouver le sens de notre histoire et de revenir à la laïcité historique, attribut de l’État et seulement de l’État. Cela pacifierait considérablement les relations sociales en France. Cela clarifierait nos débats, en les replaçant dans le fil de notre longue tradition (de notre histoire).
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