Rêveries bamakoises et triste réalité malienne
Le Mali, parfois j’y pense et puis j’oublie et je ne sais pas si c’est l’action conjuguée d’une andropause pernicieuse accompagnée de bouffées de nostalgie et les malheurs à répétition qui l’accablent qui font ressurgir dans ma mémoire oublieuse les souvenirs des 20 années passées dans ce pays sahélien au sol aride.
Le dimanche à Bamako, comme le chantent Amadou et Mariam, c’est le jour des mariages, et bien que je ne veuille pas contrarier les deux anciens pensionnaires de l’Institut des Jeunes Aveugles de Bamako le mien eut lieu un vendredi en 1969, année pleine de promesses érotiques d’après un autre duo chantant, franco-britannique, celui là.
Belle affaire, me direz vous, il va nous produire une pâle copie du sketch’’ Banalités’’ de jean Carmet, le talent en moins et vous n’aurez pas tort mais c’est nécessaire pour planter le décor et expliquer mon ‘’tropisme’’malien.
S’agissait-il au moins d’un beau mariage en grande pompe ? Sonnez binious et résonnez djembés, même pas. Non, un mariage d’une sobriété encore plus dépouillée que le jeu de scène de Michel Sardou. Circulez, y a rien à boire.
Donc, pas de bitures, pas de gavottes, pas de Koras, pas de copains, pas de voisins, pas de bazins, ni badauds, ni griots, non, juste un frère, une belle sœur et dieu merci, un marié et une mariée qui avaient eu la politesse d’être au rendez vous.
Après ce jour qui ne fut mémorable que pour les deux principaux protagonistes s’ensuivirent environ 6500 autres. Que reste-t-il de mes souvenirs, de Bamako, du Mali 30 ans après ? Je vous les livre en vrac.
L’odeur âcre des pistes latéritiques, les ‘’gendarmes couchés’’, spécialité Bamakoise, dont certains sont si ventrus que les franchir à 20 kms heure constitue un risque majeur pour des génitoires mal accrochés, la circulation anarchique, les ‘’nids de poules’ rongeant le bitume, plutôt calibrés pour accueillir des œufs d’autruche,
Le désordre coloré des marchés, la chaleur accablante quand on descend de l’avion sur le tarmac de l’aéroport en pleine saison chaude et la présence étonnante de quelques hippopotames sous le pont des martyrs (ex badalabougou) eux aussi attirés par les lumières de la ville en saison des pluies ..
Sans oublier le ‘’Point G’’, qui n’est pas l’espoir d’une rencontre libidineuse mais plus prosaïquement le lieu où pouvaient se soigner les désordres organiques affectant généralement les Toubabs sous les tropiques, puisqu’il s’agit d’un des deux hôpitaux de Bamako situé sur la colline éponyme.
Mais encore, les petits talibés mendiant dans les rues, boites de conserve à la main en guise de sébiles afin de ramener au Maître coranique, de quoi subvenir aux besoins primaires, les milliers de bruyantes roussettes accrochées la tête en bas dans les caicédrats, ‘les baara nyini’’, chercheurs de travail, prêts à se louer dès le moindre appel, et la cohorte des ’’ bana-bana’’ et tabliers, petits vendeurs de cigarettes, préservatifs, kleenex, objets en plastique etc.. .
Et aussi la magie du pays dogon, Bandiagara et ses falaises, Mopti carrefour commercial et ethnique, Ségou et ses constructions coloniales, Djenné sur son ile et sa magnifique mosquée en banco, et je ne sais rien ou si peu, de Tombouctou la mystérieuse, et de Gao capitale de l’empire Songhaï sans oublier ce qui constitue peut-être la principale richesse de ce pays sahélien souvent affecté par la sécheresse, le Niger que les maliens nomment Djoliba.
Le Mali, ce n’est pas qu’une carte postale, c’est aussi et surtout des hommes et des femmes, Moussa le fervent musulman qui confiait ses maigres économies aux Pères Blancs, Dramane le Sarakolé souriant coureur de jupons devenu Wahabia, victime consentante ? du prosélytisme saoudien dans les années 90, Mama la nounou aimante recherchée en vain plus tard dans sa Guinée-Conakry natale, Etienne le cuistot catholique, Yaya le blanchisseur-bricoleur et tant d'autres..
J’ai une pensée toute particulière pour MaÏga le karatéka Songhaï venu de Gao à l’énergie prodigieuse, vaincu semble-t-il par une crise cardiaque, les autopsies étaient rares au Mali à l’époque, et Guila le culturiste aux pectoraux d’acier terrassé par un cancer primitif du foie. Tous les deux en pleine trentaine apparemment florissante.
Si j’ai quitté définitivement Bamako depuis 25 ans, il m’arrive encore d’y faire de fréquentes incursions la nuit et j’y rencontre souvent des visages connus, et joviaux, ils me reconnaissent spontanément et me saluent.
Même le lépreux qui mendiait à la porte du local des boites postales me sourit, et m’appelle ‘’jakouma tigi’’ (le maître du chat) en souvenir du temps où le dimanche après avoir relevé notre courrier nous allions nous promener ma femme et moi en brousse avec pupuce notre ‘’greffier malien’’. Je vous avais prévenu, j’ai eu une vie palpitante même si je le concède ça ne vaut pas les tribulations de ‘’Tintin au Congo’’.
Freud prétendait que les rêves étaient en quelque sorte des gardiens du sommeil, qu’ils nous aidaient à rester plongés dans le repos, mais aussi paradoxalement qu’ils pouvaient être facteurs de création.
J’ai tendance à valider cette thèse car avec sans doute la complicité de cette triste actualité malienne ponctuées de raids des katibas et de putschs militaires à répétition, ces rèves prégnants m’ont donné l’envie d’écrire cet article dont certains éléments figuraient déjà dans un billet datant de près de dix ans.
Je lis que malgré les soubresauts récents, on mène une vie normale à Bamako et que l’on y célèbre, résilience oblige, autant de mariages qu’auparavant, que les Fonés et Djélis animateurs de ces cérémonies ne chôment pas, que les tamas et les dununs résonnent toujours.
Pendant ce temps, les militaires maliens semblent plus préoccupés par les luttes de pouvoir que par le combat contre la pauvreté et les djihadistes. Au Mali, comme dans d’autres pays hélas la régression démocratique est en marche.
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