Révolution avortée en Libye ?
Lorsque les peuples arabes de Tunisie et d’Egypte commencèrent, au mois de décembre passé, à manifester, pacifiquement d’abord, puis à se rebeller carrément contre leurs pouvoirs politiques respectifs, en Algérie, nous suivions avec grand intérêt, par l’intermédiaire des différents supports médiatiques (presse écrite, télévisions satellitaires et Internet), ces évènements et nous souhaitions ardemment, nous souhaitions du fond du cœur la chute de ces régimes autoritaires. Et ce, d‘autant plus que nous, algériens, nous avions été spolié de notre révolution d’octobre 1988.
Rappelez-vous, c’était la première révolution d’un peuple arabe : une année avant la chute du mur de Berlin, la dislocation de l’URSS et les révolutions colorées des pays de l’Est. Malheureusement celle-ci n’avait accouché que d’une démocratie de façade (multipartisme à la noix de coco et multiplication de titres de la presse sans la liberté qui va avec) suivie par la suite d’une décennie rouge au cours de laquelle un terrorisme abject, inqualifiable, a emporté des milliers d’algériens. Puis, c’était le retour à la case de départ. La lutte anti terroriste exigeât que les libertés, toutes les libertés, individuelles et collectives, soient mises entre parenthèse, en quarantaine pour m’exprimer en tant que médecin. Lorsqu’en 1992, il y eut l’arrêt du processus électoral qui avait permis au FIS, le parti islamiste, de rafler la mise puis la promulgation, quelque temps après, par le conseil constitutionnel, de l’état de siège, tout le monde avait compris, en Algérie, que tout était fichu, que la démocratie n’était qu’une chimère. Même l’homme de la rue avait compris que la démocratie au sens hellénique du terme ne pouvait, du jour au lendemain, s’enraciner chez nous. Et l’on disait alors « ça sera pour une autre fois ». Ceci pour faire contre mauvaise fortune bon cœur. Dans vingt ans peut-être !
Ça fait déjà plus de vingt ans !
Le temps passe vite ! Pourtant, Dieu seul Sait combien nous avons souffert durant ces vingt dernières années. Seuls, peut-être, ceux qui ont la mémoire courte ou ceux qui ont fui le pays, ceux qui s’étaient exilés dès les premières escarmouches ne s’en souviennent pas. N’est-il donc pas temps de remettre ça ? Pacifiquement évidemment. N’est-il pas temps de réclamer à cor et à cris cette démocratie pour laquelle, il y a vingt ans, des centaines de jeunes ont été fauché à la fleur de l’âge ? La conjoncture actuelle avec le soulèvement simultané de toutes les « masses arabes » n’est-elle pas de nature à favoriser l’émergence d’une véritable démocratie sous notre ciel avant que l’Occident ne nous l’impose, à notre tour, avec ses avions de combat de type Tornado et Rafale et ses missiles Tomahawk ? Il est, à notre sens, préférable que le changement tant souhaité provienne de l’intérieur c’est-à-dire de nos partis politiques et de notre société civile qui semble de plus en plus active ces derniers temps que d’être imposé de l’extérieur et cela pour des raisons évidentes : l’Occident veut-il vraiment du bien aux « masses arabe » ? Je m’interroge car je crains que ça ne soit pas le cas et que l’intervention des coalisés en Libye, par exemple, ne soit pas animée que par et pour des raisons humanitaires. C’est un leurre que de croire que l’Occident intervient en Irak, en Afghanistan et aujourd’hui en Libye rien que pour le fait de venir en aide à des populations opprimées par leurs tyrans locaux. Ceci n’est pas de moi, je ne fais que reprendre cette citation d’un ancien homme politique occidental très avisé et qui a fait ses preuves sur le terrain : « les pays n’ont pas d’amis mais des intérêts à défendre ». Ainsi donc il serait naïf de croire que le SEUL mobile qui fait qu’actuellement la coalition occidentale, sous couvert de la résolution 1973 du conseil de sécurité de l’ONU, est d’établir une zone d’exclusion aérienne en Libye pour protéger les insurgés libyens d’un massacre à grande échelle par l’armée de Kadhafi. Dans toute cette agitation, dans la mobilisation de toute cette armada, il doit forcément y avoir d’autres buts inavoués dont le plus important est sans conteste le pétrole. En effet, selon Pierre Hillard du site Internet Mecanopolis, « Londres et Washington veulent s’assurer le contrôle complet des hydrocarbures en provenance des pays Sud-méditerranéens et du Proche-Orient ». (1) Dans cet article, Pierre Hillard ne dit pas que la France est aussi animée par le désir de pomper à satiété le pétrole libyen à moindres frais. Par omission ou intentionnellement ?
Et alors que vient faire la France là-dedans, elle qui était très pressée d’en découdre avec Kadhafi me diriez-vous ? La réponse est claire. La France a toujours estimé ou du moins cru que le Maghreb arabe (dont fait partie la Libye aussi) est son pré carré, sa chasse gardée. D’où d’ailleurs la tentative de Nicolas Sarkozy de fédérer les pays du Sud de la méditerranée et de l’Europe dans un projet qui lui tenait tant à cœur : l’UPM dont on a beaucoup parlé. Ce projet est resté cependant presque inabouti, au stade des intentions, qu’elles soient bonnes ou mauvaises peu importe, du fait de plusieurs réserves émises par certains pays de la rive Sud qui ne voyaient en cela qu’une russe politique de la part de son promoteur (Nicolas Sarkozy) pour, d’une part normaliser les relations des pays arabes avec Israël sans que ce dernier ne soit tenu par l’obligation de permettre la création d’un état palestinien viable dans des frontières sûres, et d’autre part exclure définitivement la Turquie d’une éventuelle adhésion à l’Union Européenne . Or, en cette fin de 2010, l’Histoire, côté rive sud de la Méditerranée, s’est emballée et a balayé les deux Présidents (tunisien et égyptien) sur lesquels Nicolas Sarkozy avait fondé tous ses espoirs pour la concrétisation de son projet, boiteux dès le départ faut-il le répéter. S’étant rendu compte qu’elle a lamentablement échoué lors de la révolution tunisienne en proposant au régime de Ben Ali son expertise en matière de maintien de l’ordre public alors que les manifestants tunisiens attendaient plutôt une compréhension et un soutien moral de la part de la patrie des droits de l’Homme, la France tente aujourd’hui de prendre le train de l’Histoire en marche à Benghazi. Voila ce que dit à ce propos le journaliste de la droite libérale italienne Franco Bechis dans un article paru sur Réseau Voltaire : « la révolte de Benghazi aurait été préparée depuis novembre 2010 par les services secrets français ». (2) Par ailleurs, la précipitation de la France à intervenir en Libye ne peut s’expliquer que par le principe qui dit « le premier arrivé, le premier servi ». Rappelez-vous, en 2003, en Irak, après la chute de Saddam Hussein, la France n’a pas été invitée à la table des convives. Sa politique étrangère d’alors était bien représentée par un Dominique de Villepin qui était au summum de sa gloire et qui s’était très bien illustré par son discours tout de lyrisme fait lors de la réunion du conseil de sécurité de l’ONU qui devait entériner la politique du fait accompli c’est-à-dire l’intervention militaire en Irak. Ce discours, il faut en convenir, est l’un des meilleurs discours qui nous a été donné d’entendre. Il était contre l’intervention militaire en Irak. Il était antimilitariste pour utiliser le langage des progressistes, des anarchistes et des altermondialistes. Il allait complètement à l’encontre des thèses des néo cons américains et des va-t-en guerre de tous poils. En un mot, c’était du Gaullisme pur jus sans De Gaulle.
« Le Réseau Voltaire précise que Paris a rapidement associé Londres à son projet de renversement du colonel Kadhafi (force expéditionnaire franco-britannique). Ce plan a été modifié dans le contexte des révolutions arabes et pris en main par Washington qui a imposé ses propres objectifs (contre-révolution dans le monde arabe et débarquement de l’Africom sur le continent noir). La coalition actuelle est donc la résultante de ces ambitions distinctes, ce qui explique ses contradictions internes ». Ben oui, le gendarme du monde, les USA pour ne pas les nommer, veille au grain : aucune goutte de pétrole ne doit partir ni à gauche ni à droite. Voilà pourquoi la France de Sarkozy est vite remise à l’ordre et l’intervention militaire en Libye est confiée à l’OTAN. Car qui dit OTAN dit USA.
A suivre.
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