Révolution ! Les pauvres vaincront !
J’en suis persuadée. Je l’ai compris en allant à Paris par Ryanair et en visitant le Louvre.
Quoi ? Quel rapport ? Ne soyez ni étonnés ni impatients. Il n’y a pas de petit acte qui ne débouche, pour un esprit curieux, sur des considérations morales et politiques. La révolution surréaliste nous a appris à siroter le quotidien dans sa poésie révolutionnaire. Et quand les vérités se dévoilent !
Oui, les pauvres vaincront ! Je l’ai senti ! On les entraîne à se battre !
Ainsi, décider de prendre un avion chez Ryanair grâce à un billet à 5 euros, est un de ces actes, en apparence anodins, qui s’apparentent au QCM le plus ardu. L’examen d’entrée à l’ENA n’est que fariboles à côté de l’attention qu’il va falloir déployer pour lire l’énoncé du problème et apporter les bonnes réponses.
Le jeu est le suivant : on te propose un billet d’avion à cinq euros, mais en le réservant, vas-tu réussir, pauvre que tu es, à garder cet avantage ???
D’un côté les pauvres qui croient qu’on veut leur faire du bien, qu’on les aime, qu’on participe à une nécessité de voyager formatrice. De l’autre, la puissance commerciale dévoyée, la Goupil compagnie, qui à travers toutes sortes de mesquineries, va leur tendre des pièges à chaque clic de souris !
Aïe !
Certes, nous somme sans cesse confrontés à ces diableries. A ces hot lines à trente quatre centimes la minute où un pauvre d’ailleurs a pour mission de mettre trois heures à nous répondre : « Oui, attandi, mossié Légra, ché votre panne il est qu’on la regarde… », ce qui nous fait tout de même apprendre une nouvelle langue, l’espéranto des hot lines, et aussi la patience, vertu cardinale, que le pauvre développe à longueur de temps. Or qui triomphe du mal à travers l’histoire ??? Les religions et les philosophies nous l’apprennent : les hommes patients ! Je n’en veux pour preuve que la fameuse histoire de Jéricho où tout le monde sait, merci Victor, qu’au septième tour les murailles tombèrent !
A mon avis, actuellement, historiquement, nous en sommes au sixième tour. Ca rigole encore beaucoup dans les tours qui sont encore debout, ca boit du champagne chez le propriétaire de Deep Water quand il touche sa prime d’assurance qui nettoierait dix Louisiane, mais pendant ce temps les pauvres s’entraînent et se chauffent, et ça va faire mal !!!
Donc Ryanair.
Cette compagnie existe depuis quelques années ce qui fait que la plupart des pauvres qui voyagent sur leurs ailes, se sont entrainés à leurs ruses et ont réussi à les vaincre.
Ainsi la fameuse ruse qui consistait à vous facturer automatiquement des frais d’assurance. Pour supprimer les dits frais d’assurance, il fallait activer un menu déroulant où il était demandé : quelle est votre nationalité ? Et là une liste de six mille nations dont on ne sait même pas où elles vivent et enfin, en bout de liste après le Wesoto, le Wouland et Le Wzechtarch un dernier pays : suppression des frais d’assurance !
Ah ! C’était bien joué ! Croyez qu’il en a fallu du temps et de la patience aux clients des billets pas cher pour arriver à découvrir le secret du fameux menu déroulant ! Mais du moins c’était fait. Il fallait trouver mieux !
D’où la fameuse réunion de « merchandising » chez Ryanair. (Traduction de « merchandising » : « comment plumer le client. ») J’ai l’enregistrement de cette réunion grâce au maître d’hôtel de Bettancourt qui a été engagé chez Ryanair pour sa connaissance des ruses diaboliques des malfrats de la Haute.
« -Bon. Il faut qu’on gagne plus d’argent ! Réfléchissons !
-Ah ! C’est sûr ! Nos hôtesses sont peu payées ! Il faut les augmenter !
-Qu’est ce que tu racontes, triple buse, crétin fondamental ! Il s’agit de satisfaire nos Hautesses, les actionnaires ! Alors ? »
Voilà comment fut trouvée une ruse qui s’appelle « check-in on line. »
Autrefois quand on imprimait son billet, on l’avait c’était fini. A présent, non. Il faut entrer dans un nouveau menu pour checker on line avec un numéro secret. Que c’est amusant !
Et si tu ne trouves pas le numéro secret ? Tu paies 40 euros de plus ! Oh ! La !
Le pauvre se frotte les mains. Il est tout excité ! Il va réfléchir ! On l’entraîne pour la Révolution !
A mon avis, ils ont dû se mettre à plusieurs pour trouver comment cacher le numéro secret .Il est évident qu’il ne devait pas être dans le paragraphe : « Comment checker on line ? » Imaginez la facilité : Il devait être caché à un endroit où on ne le remarque pas . Là, rien à dire, c’est très bien fait.
Il est écrit en gros sous la rubrique : « Voici votre numéro de réservation ». Comme on sait que ce genre de numéro n’est là que pour mémoire, on s’en fiche un peu. Erreur. C’est lui qu’il faudra mettre dans un menu déroulant qui vous demande votre email. Le tout en anglais, bien sûr ! Déjà le pauvre qui ne connaît pas l’anglais, il est mort. Il va payer 40 euros. Ceux qui le connaissent mais ont des problèmes de vue, même résultat. Ceux qui boivent trop de café et s’énervent vite, même chose. Et ça en fait tout ça des sous !
Mais la préparation du voyage Ryanair ne fait que commencer. Car des bruits courent : « Ils sont draconiens en ce qui concerne les bagages à main ! » Il faut mesurer et peser sa valise dix fois pour voir si elle est dans les normes sinon c’est 20 euros de plus car elle part en soute ! (On en est donc à 60.) Et ce d’autant plus que depuis peu, le moindre sac, achat, appareil photo doit être dans le bagage !
Fini le temps où les pauvres voyageurs trichaient en mettant des objets lourds dans leur sac à main. Là, tintin ! Même les cadeaux que l’on achète dans les boutiques Ryanair doivent être dans les bagages à main. ( A mon avis cette disposition « même les sacs cadeaux » ne va pas durer longtemps ou ça va être une révolution, encore une, dans les boutiques Ryanair.)
Le but de ces restrictions draconiennes est, on le sait, de brûler moins d’essence. Mais pourquoi ne pas exiger des passagers qu’ils montent en avion la vessie et l’estomac vides, scanners à l’appui ? Sinon on leur fait payer trente euros pour la vessie, trente euros pour l’estomac de plus ! Il faudrait être à jeun depuis six heures au moment de prendre l’avion. Ce qui forcerait à acheter de l’eau et des saucisses irlandaises pendant le vol ! Car pendant le vol, les saucisses et l’eau sont dans l’avion. Donc si on les fait passer dans le ventre des clients, ça ne change pas le poids de l’ensemble mais ca fait rentrer des sous chez Ryanair !
Lorsque j’ai eu fini ma valisette, la fameuse valise qui correspond aux normes Ryanair et que je l’ai pesée, il s’est passé quelque chose d’exceptionnel pour être noté : elle pesait dix kilos pile ! Incroyable ! Imaginez cela : entassez ce que vous voulez dans une valise et pesez-la. Elle pèsera dix kilos, deux ou trois grammes ou neuf kilos trois cent vingt cinq grammes ou ce que vous voulez, mais, du premier coup, dix kilos pile, c’est insensé ! Selon les règles de la plus élémentaire probabilité il y a une chance sur des milliards pour que cela arrive. Et je suis là à m’esbaudir de ce résultat, à me dire que je suis vraiment trop forte, qu’il faut que je prenne un billet de loterie tant j’ai de bol lorsque zut ! Zut de zut ! Que vois-je sur une chaise : mon sac à main bourré comme un estomac de goret et qui doit lui aussi entrer dans la valise ! Dieu de Dieu !!!
On comprend pourquoi tous les voyageurs qui arrivent dans les aéroports Ryanair à cinq heures du matin, heure des avions à 5 euros, ont les mines de GI’s de « Full métal Jacket ». Une ambiance de terreur plombe l’aéroport. On n’a plus peur que l’avion s’écrase. On a peur de commettre la faute fatale qui vous fait voyager en soute pour trois cents euros.
Sans brosse à dents. Parce que ça aussi, c’est la dernière. Si on voyage sans bagage pour la soute, on ne peut pas avoir de brosse à dents ! Car la brosse à dents peut devenir une arme ( ?) Qui voudrait finir poignardé à la brosse à dents dans un avion Ryanair ! Ca doit faire un mal de chien ! Depuis quand les brosses à dents sont-elles interdites ? Que s’est-il passé ? Al Qaïda a-t-il sodomisé un commandant de bord avec une brosse à dents ??? On imagine…On cherche… L’imagination des pauvres se développe. Merci à nos maîtres commerçants de faire naître en nous des images à la Dali !
Depuis les attentats quand on voyage on a l’impression de partir pour Guantanamo. Même sur nos passeports, on a de sales tronches.
Là aussi, le temps n’est plus où l’on souriait gaiement sur des photos couleur ! Comme on était heureux de voyager ! Comme ça se voyait ! A présent, ils nous interdisent de dire cheese et de prendre un air transporté. Il faut regarder l’objectif sans aucun objectif. Le regard vide, inexpressif. Tout le monde n’est pas Greta Garbo qui dans la scène finale de « La reine Christine » appliquait les consignes de Mamoulian qui lui disait « Ne pense à rien ». Nous, quand nous ne pense à rien dans une cabine de photomaton la bien nommée, « la photo du maton », nous ressemblons à des évadés d’Alcatraz, à de pauvres femmes qui se retrouvent au poste après avoir volé un steak pour leurs gosses, ou, au mieux, à des prostituées prises à faire des pipes à Hugh Grant dans un taxi.
Pourquoi ne pas sourire sur une photo ? Est-ce que cela leur facilite la tâche, à la police des frontières, s’ils n’ont sous les yeux que des photos de gangsters tarés ? Le sourire n’est-il pas le propre de l’homme ? Enfin…
Heureusement que les pauvres que nous sommes savent tirer parti de tout en riant et se dilatent la rate, en regardant leur trombine à l’Aéroport. Non mais quelle tête !
J’ai quand même réussi à réserver mon billet à cinq euros mais comme j’ai payé trente euros de chèque parking pour laisser ma voiture, plus trente euros de car pour aller de Beauvais à Porte Maillot, ils ont quand même réussi à me piquer soixante euros de plus. Mais bon. J’ai lutté vaillamment comme la petite chèvre de M. Seguin. J’ai fait travailler mes neurones. Je suis une pauvre aguerrie. Je sais « checker on line » avec numéro secret ! Je sais voyager avec une valise de dix kilos !
Je suis donc à Paris.
Mieux encore au Louvre. Deuxième partie. Confirmation de la première : les pauvres vaincus vaincront ! Ils ont vaincu ! C’est fait !
Je ne suis pas une fanatique des musées. Je m’y ennuie vite. Mon attention joue les papillons. Ce que je déteste par-dessus tout c’est la foule des touristes qui flashe d’une salle à l’autre sans même regarder.
Mais ce jour-là, mes perceptions changent.
Une idée m’agite le sang : le Louvre est le plus beau musée du monde. La richesse de son fonds mais surtout la splendeur des lieux sont inimitables.. Construisez tous les musées que vous voulez vous n’aurez jamais la magnificence de ce palais et surtout les admirables arrangements qui l’ont transformé. L’immense verrière où s’épanouissent des statues antiques saisit au cœur par l’espace, sa disposition en gradins. L’espace est un maître mot dans les nouvelles parties. Ce n’est pas l’entassement des tableaux dans les anciennes galeries, plus banales.
Et soudain dans cet espace vient l’amour de la beauté. Le coeur bat.
C’est le temple de la puissance du peuple offert au peuple. Dans les anciens palais du Roi, le peuple court s’abandonnant aux mains des maîtres, à leur pensée, à leur talent.
Les peuples du monde sont puissants. Ce sont eux les artistes. Les grands artistes, les grands maîtres viennent du peuple. Vinci est le fils bâtard d’un notaire et d’une servante. L’art est la langue du peuple. Il n’est pas conception aristocratique réservé à une aristocratie mais au contraire sang du peuple fait pour nourrir le peuple et lui donner le goût de son sang.
Et soudain ces touristes qui crapahutent et que j’ai toujours regardés avec mépris, je les sens fraternels. Eux aussi, comme moi, partagent ce lieu d’exception ces rencontres fascinantes qui font rêver. Ces statues qu’ils ont vues maintes fois en reproduction et qui sont soudain vraies. Cette victoire de Samothrace qui aimante les visiteurs au sommet d’une volée de marches dans la puissance de son élan. Ils sont dans le temple véritable des divinités. N’allez pas chercher les dieux ailleurs.
Je pense à tout ce qu’il a fallu de temps pour que la nature compose ces marbres, ces métaux, ces porphyres, ces jaspes, combien de milliards d’années venus d’on ne sait quel ciel ! Combien de siècles pour construire ce palais, combien de génies sur toutes les parties de notre monde, créant et mourant, abandonnant la trace de leur génie qui est le nôtre à notre convoitise.
Et dans ce palais, la marche triomphante du peuple qui peut entrer gratuit !
Oui, les pauvres entrent gratuitement au Louvre !
Je pense à Mitterrand, tellement critiqué avec sa pyramide, et soudain l’évidence de ce vaisseau venu d’une autre planète, au milieu de la cour carrée.
Ceci me confirme dans une idée qui flotte dans ma tête. Que nous sommes attachés à l’art car l’art est la seule vérité, la seule réalité de ce monde. Le monde est une œuvre. Une installation ouverte au temps et à sa multitude. Nous sommes théâtraux car nous vivons sur le théâtre de son histoire. Nous sommes musiciens car nous communiquons avec le secret de ses ondes. Peintres de nos cœurs car nous sommes inondés de ses couleurs. Nous sommes tous des anges et des saints. Nous vivons dans la vapeur de l’impossible. Nous buvons du regard les métamorphoses de l’Eternel. Rien ne nous musèle ou ne nous couche.
En entrant dans la salle de Mona Lisa, je découvre le mystère absolu. Pourquoi ce tableau est-il, par sa notoriété, au-dessus de tous les autres ? Pourquoi cette œuvre et pas une autre ? Deux cents personnes ont des comportements absurdes se pressant devant une toile aux proportions modestes qui disparaît derrière les reflets de vitres protectrices. Ils la flashent leurs appareils dressés au sommet de leurs têtes aveugles.
Ce tableau a la densité d’un monolithe venu d’ailleurs. Pourquoi ?
On a du demander à Mona Lisa de ne pas sourire devant l’objectif et elle, parce qu’elle est la beauté qui défie toutes les règles, elle a désobéi, souriant du coin de l’œil, apportant pour toujours, au peuple des pauvres qui créent les dieux de l’Art, sa radieuse et douce insolence.
Voilà pourquoi elle est tant aimée.
Mona Lisa est Dieu.
Dieu n’est pas le créateur du monde mais son mystère.
Nous, nous sommes ses créateurs. Il va falloir nous y faire. Nous, les ombres et les racines des artistes.
Nous sommes le peuple de l’Art. Nous sommes immenses. Rien ne nous abattra !
Il ya de lourds projets autour de nous en ce moment. Des gargouilles prêtes à laisser tomber des huiles bouillantes sur nos vies. Mais notre pauvreté, entraînée tous les jours par de merveilleux bienfaiteurs, merci Ryanair, est elle aussi une œuvre d’art qui n’est pas à un prodige près.
Le soir en rentrant, j’ai pris un taxi. C’était un turc disert avec qui j’ai parlé football, complots et politique. Il ne connaissait pas Agoravox. Je lui ai noté les coordonnées de ce journal libre. Ma pub a été efficace. Un lecteur de plus. Musulman mais pas islamiste. Bonne pioche.
J’avais pris un avion. J’avais visité le plus beau musée du monde. Je vivais sur la planète Art. J’étais une œuvre d’art. Nous étions des œuvres d’art. Nous voulions que notre monde reste un chef d’œuvre.
La guerre allait commencer.
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