Rien à foot de la pornographie cannoise

L’existence des gens est forcément hétérogène mais quelques tendances se font jour et si les années 1990 étaient celles de la fatigue d’être soi, de la dépression et du prozac, quelques indications laissent penser que les sociétés occidentales, notamment la France, sont affectées par une anxiété généralisée entraînant une consommation importante de benzodiazépines. Il faut dire que les nouvelles du monde ne sont pas rassurantes et qu’hélas, le premier pôle structurant de la vie, c’est le fric, le travail et l’économie. Du coup, la crainte de perdre pied devient tangible et s’intensifie avec les mauvaises nouvelles économiques qui n’ont cessé de se succéder, depuis la chute de Lehman Brothers et la crainte systémique avec la bourse en chute libre, jusqu’aux épisodes très récent du mélodrachme européen qui se joue avec la Grèce, l’euro, les dettes, l’austérité et quelques pays du Sud pas vraiment en bonne forme économique. A chaque fois, on nous prévient que tout s’écroule mais régulièrement, des sommets et des réunions sont organisées, certaines étant présentées comme de la dernière chance. Nul ne sait ce qui se décide exactement mais tout va bien après chaque sommet, jusqu’à ce que ça aille mal et qu’on décide d’une réunion. La dernière en date vient d’avoir lieu à 27 mais cette réunion a été présentée comme informelle, ce qui permet de temporiser en attendant la prochaine réunion qui elle, sera tout ce qu’il y a de plus officiel et formel. Pendant ce temps, le monde entier est suspendu au prochain vote d’à peine quelque dix millions d’électeurs, dans un pays représentant même pas le centième du PIB mondial, la Grèce. Et les inquiétudes se poursuivent.
Dans un tel contexte, le clampin moyen a besoin d’évasion, de rêve et il regarde les paillettes de Cannes et cette cérémonie qui elle, n’est pas formelle mais très protocolaire, la montée des marches du palais. Un sourire de Brad Pitt semble aussi efficace qu’un comprimé de xanax. Tout ce cirque semble grotesque mais le festival sur la croisette est devenu une tradition cathodique bien plus importante aux yeux des fidèles du grand écran que la messe de minuit pour les pratiquants de religion catholique. Et pour les pipoles, rien d’un chemin de croix mais plutôt un chemin de joie. Les nuits cannoises pour s’enivrer, les journées à regarder des types taper dans des balles chacun derrière un filet séparant deux carrés de terre battue. Un détour par le très couru grand prix de Monaco et puis, les dernières choses à régler avant le départ pour les destinations prisées, saint Trop, Marbella, la Sardaigne, le yacht… L’Ukraine ne sera certainement pas une destination de choix pour les pipoles mais un lieu incontournable pour des journalistes payés afin de faire rêver le bon peuple avec des types qui tapent dans une balle bien plus grosse qu’à Roland Garros, sur un terrain bien plus grand qui n’est pas orange mais vert. Le but de ce jeu est d’envoyer le ballon dans des cages de deux mètres sur neuf. Pour effectuer ce job, les joueurs sont payés entre 2 et 20 millions d’euros, soit autant qu’un PDG ou qu’une star défilant à Cannes. Le rêve a un prix, l’évasion aussi. Le propre de l’homme occidentalisé est d’être insatisfait de son existence même s’il a les moyens pour mener une vie intéressante. Il n’est pas assez intelligent sans doute. Alors il regarde les stars, les joueurs et il vote souvent à droite.
Cette rêverie intellectuelle entre paillettes et stades de foot invite à une réflexion qu’on voudra légère, comme la chaude brise qui vient d’envahir le pays. Le spectacle donné par les célébrités à Cannes mérite d’être qualifié d’indécent, avec ces revenus démesurés et ces léchages médiatiques de journalistes ensorcelés par quelques figures dont le métier consiste à jouer devant des caméras. Des stars capricieuses et narcissiques, bavardant sur le plateau de Canal avec des journalistes connivents et complaisant, le tout assorti de séquences vulgaires, de déhanchements faussement provocateurs, de glorification et d’autocélébration, des gens qui s’écoutent parler et des musiciens venus servir de la daube dégoulinante. L’insignifiance érigée au niveau d’un cosmos divin. La pornographie en marche. Merci anal plus, la chaîne décryptée pour sa nonchalante promotion du vulgaire qui évite le naufrage pornographique grâce à ses guignols, seul vertige médiatique à sauver. Pendant ce temps, des enfants n’iront pas en vacances, d’autres meurent sous les bombes, les travailleurs sont licenciés, les mal logés expulsés, les étudiants québécois frappés par la police, emprisonnés, et ce monde qui tangue et souffre et cette indécence cannoise. Voilà, je m’y colle, je joue les indignés. Mais les icônes qui anesthésient les âmes sont sacrées et nul n’osera entarter les Pitt et autres clowns de septième lard. On n’attaque pas les idoles mais on préfère lancer à la meute populace quelques remarques sur le jean d’une ministre ou les tenues d’une première dame. On ira traquer les ministres dans leurs déplacements pour calmer l’émotion populiste en attestant une bonne conduite, une Cécile Duflot dans le métro, un Manuel Valls qui respecte les limitations de vitesse et j’en passe mais cette vulgaire traque du normal m’indigne car la quête de l’indécence et de la faute envers un pouvoir ressemble à une chasse à l’homme alors que nul n’ira critiquer ces footeux surpayés ou bien ces parasites cannois venus pour les feux de la rampe, vendre leur camelote et se goinfrer de luxe. La presse correcte a l’indignation sélective. Désolé, cette réflexion fleure bon le bistrot philosophique mais derrière ces évidences morales pour ne pas dire moralistes, c’est une certaine conception de la société qui se dessine. Avec ses gens dévots de tant de sots, vouant un culte à ce spectacle cul-cul et nullissime. Combien gagne Ariane Massenet pour poser ces questions nunuches et Jean-Michel Apathie pour se regarder le nombril en jouant les Zorro fustigeant la dette ? Alors que pendant ce temps, la recherche fondamentale manque de cerveaux, ne paye pas bien ses chercheurs et risque de subir encore des coups et s’instrumentaliser au service de l’industrie et de la croissance, tout ça pour générer ce profit qui alimente ce spectacle pornographique et insignifiant qui endort les masses avec une efficace bien supérieure à celle des curés d’antan et leur catéchisme de bénitier.
Ces quelques tableaux montrent que le monde ne se porte pas très bien et que le spectacle rassasie des citoyens transformés en porcs capables de bouffer n’importe quelle merde culturelle en s’acquittant du denier du culturel lorsqu’il franchit les salles obscures, prend son abonnement à Canal foot ou achète des DVD. Le créateur suprême se dirait volontiers, qu’on en finisse avec ce monde ! Et qu’un royaume plus intelligent, subtil et divinement humain advienne ! Ces paroles pieuses que je formule sont d’une grande bêtise. Comme peut l’être mon invitation à boycotter les films, les stades, les concerts, tout en refusant d’acheter CD et DVD. Ce n’est pas en incitant les gens à une résistance culturelle doublée d’une frugalité consumériste qu’on les amènera sur la voie de la vérité. C’est l’inverse. Le sage sait où aller et quoi acheter. La sagesse a quitté le monde. Mais l’a-t-elle vraiment habité ? Je ne sais pas, les choses essentielles sont cachées, comme dans un roman de James Ellroy et ma foi, cette pornographie cannoises et ces notables derrière tout ce système y compris toutes les mafias européennes ne sont pas pires que l’Amérique de L.A. mise en musique avec ses sonorités lancinantes par les Doors. L.A. woman, la quête de la femme rédemptrice, américa…américa…américa… ? Jim Morrison de connivence avec James Ellroy ? Pourquoi pas, une interrogation bien plus intéressante que la pornographie cannoise mise en scène par Anal plus et l’euro de foot.
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