Roberto Saviano à Bologne
Roberto Saviano, tout le monde le connait. Philosophe, écrivain, il est avant tout un homme engagé. A presque 40 ans, il vit sous escorte depuis 2006 pour avoir dénoncé des membres du « clan des casalesi ». Il vient de sortir un nouveau livre, « In mare non esiste taxi », en mer il n'y a pas de taxi, un ouvrage consacré à des photographies sur l'immigration. Il était, ce samedi, place Maggiore à Bologne, devant une immense foule.
Il envisage ce travail comme un dialogue, un témoignage sur la réalité des migrants contemporains. Ces gens, qui abordent l'Europe dans de précaires embarcation, entassés, sont à la merci d'une vague, qui pourrait d'un coup renverser le canot.
Difficile à raconter. Pourtant, il est aussi devenu nécessaire de dénoncer les mensonges, qui entourent ces situations. Et pour les démonter, rien de mieux que les témoignages.
Quand on parle d'immigration, on assume les conséquences de ses paroles, a-t-il dit. Actuellement, de tristes esprits, devant ceux qui dénoncent la détresse des autres, veulent leur clore le bec an affirmant, simplement, qu'ils sont payés pour cela ou qu'ils y trouvent un intéret personnel, Ou, accuse Roberto Saviano, on les accuse de « bonisme », cette horrible expression pour dégrader le concept sacré et complexe de bonté.
Il explique. Nous sommes faces à une marée de mensonges, de propagande. L'invasion n'existe pas. Les caisses de l'Etat ne sont pas ruinées par les migrations. Les migrations ne compromettent pas le travail. En revanche, il est facile d'utiliser le phénomène pour ne pas aborder les vrais problèmes.
C'est ignorance de dire : « Il n'y a pas de travail parce qu'on nous le vole ». Ou d'avancer : « Il y a des crimes de par les rues. Ce sont les migrants qui dealent ». En fait, on a trouvé un ennemi. On a « trouvé » la solution. Toute la rage est ainsi canalisée. Cette colère est complexe à interpréter. Et il est difficile d'y apporter des solutions. La voie de la facilité est tentante, surtout lorsqu'on ne veut pas reconnaitre les réalités, qu'on cherche principalement des voix gagnées facilement. Tout est construit pour démolir toute réflexion sur le sujet.
Saviano dénonce un mensonge éhonté : « Nous acceptons les immigrés. Nous ne voulons pas des clandestins ». Il explique et c'est incontestable : « On ne peut pas arriver légalement. Sinon, ces gens n'arriveraient pas sur des canots. Ils n'ont d'autre choix que de risquer leur vie. Une entreprise, qui voudrait engager des travailleurs saisonniers immigrés n'y arrive pas face à une situation très compliquée dans les démarches à accomplir ».
Les mensonges sont faciles : « Ils ne sont pas affamés. Ils ont un GSM ». N'est-il pas normal, quand ils arrivent, d'avoir la possibilité d'appeler quelqu'un ? » Nous sommes submergés par les discours mensongers. Actuellement, les boss de la mafia prétendent que la mafia représente une invention des journalistes. Quant à la drogue, il faut savoir que si les migrants l'apportent, elle se retrouve immédiatement aux mains des mafieux. Mais, on nous accuse de propagande ! Un mot d'une autre époque, dit Saviano.
Il se scandalise : « Rejeter les ONG revient à éliminer les témoins. Et on les criminalise ! Qui aide serait complice. De quoi ? ».
Il interroge : « Savez-vous ceci ? Quand des migrants arrivent de partout, en Lybie, la garde cotière les intercepte, les met en détention. Ils doivent payer pour se libérer ».
« Il est impensable de dialoguer avec qui ment. Nous ne pouvons avoir peur. Peur de s'opposer au système ? Parce qu'il est fort, armé de dossiers ? Nous devons nous unir et raconter, ça, c'est la force. Nous nous trouvons face à quelqu'un qui veut transformer le pays », assène-t-il.
Et de montrer une des photos, celle d'une petite Syrienne, qui s'est sauvée en s'agrippant à une autre personne, morte. En mer.
Le « sens de la justice » actuel apporte uniquement souffrance et douleur. Roberto Saviano ne se fie pas à la justice, mais à la bonté, car elle n'exige pas de comprendre quoi que ce soit. « Nous avons permis à quelqu'un de dégrader la bonté, d'instaurer le cynisme. Choisissons notre camp ! »
A suivre
Françoise Beck
« In mare non esiste taxi », éditions Contrasto. Avec les photographies de Martina Bacigalupo, Olmo Calvo, Lorenzo Meloni, Paolo Pellegrin, Alessandro Penso, Giulio Piscitelli, Moises Saman, Masimo Setini, Carlos Spottorno.
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