Roland Dumas, comme un fauve au zoo, exhibé sur France 2
L’émission « On n’est pas couché » de Laurent Ruquier, samedi 23 avril, exhibait un spécimen de « la Mitterrandie ». France 2 offrait à M. Roland Dumas une publicité gratuite pour son dernier livre, « Coups et blessures ».
Un homme estimable corrompu par Mitterrand ?
L’individu a, certes, été blanchi et par les ans et par la justice dans « l’affaire Elf », obtenant, en janvier 2003, une relaxe en appel dans un procès où il était poursuivi pour « recel d’abus de biens sociaux ». Il reste que l’ancien ministre des affaires étrangères et ancien président du Conseil constitutionnel s’est fait sévèrement tancé par la cour qui, si les faits reprochés n’étaient pas pénalement punissables, n’en a pas moins jugé blâmable « (le) comportement de (l’intéressé pour ne s'être) pas éloigné de son entourage (sa maîtresse d’alors, Mme Deviers-Joncour) quand il a connu les faits qualifiés de délictueux par la cour ». Surtout, la cour de Cassation l’a définitivement condamné, le 10 mai 2007, pour complicité d’abus de confiance dans une autre affaire, celle de la succession du sculpteur Giacometti. On connaît personne plus recommandable.
Sans doute, M. Dumas peut-il se prévaloir d’une conduite digne d’estime dans sa jeunesse. À la suite de son père, un résistant exécuté par la Gestapo en 1944, il a été lui-même résistant et ensuite avocat militant anti-colonialiste, défendant, par exemple, le réseau de Francis Jeanson, dit des « porteurs de valises », au profit du FLN pendant la guerre d’Algérie.
Mais sa rencontre avec Mitterrand dont il devient l’avocat dans l’obscure « affaire de l’Observatoire » en 1959, paraît l’avoir transformé. Devenu un de ses proches du premier cercle, il a été mêlé à bien des turpitudes qu’a produites la Mitterrandie en 14 ans de présidence de la République. Son dernier coup d’éclat aura été, en janvier 1999, de venir au secours du Président Chirac alors assiégé de procédures, comme président d’un Conseil constitutionnel qui a livré de l’article 68 de la constitution une interprétation accordant au président de la République un statut d’immunité dérogatoire au droit commun. Un peu plus tard, il devait piteusement démissionner en 2000 de la présidence du Conseil Constitutionnel après sa mise en examen dans l’affaire Elf.
Certes, a-t-on dit, il a été relaxé, mais sa conduite a été stigmatisée par la cour d’appel comme indigne d’un homme ayant occupé de si hautes fonctions républicaines. Si même la femme de César ne doit pas être soupçonnée, alors César, lui-même, ne saurait l’être.
Une saillie de Mitterrand à propos de Bérégovoy
Manifestement, rien de tout cela n’empêche M. Dumas de venir parader sur un plateau de télévision et une chaîne du Service public, de l’inviter pour lui servir la soupe. Après tout, pourquoi pas ? Pour peu qu’on le regarde à l’écran comme on contemple les grands fauves enfermés dans un zoo, il devient instructif de voir de quel cuir est fait un pareil animal politique qui se prête volontiers en public aux numéros d’amoralisme auxquels il doit en partie sa carrière.
On laissera de côté l’exhibition complaisante et sordide du coureur, tombeur de dames de « la haute bourgeoisie » dont, auréolé du prestige du pouvoir, il se disputait parfois, à l’en croire, le cheptel avec son compère Mitterrand. On ne s’attardera pas davantage sur son hommage obscène rendu à la « charité chrétienne » de sa femme qui lui aurait beaucoup pardonné.
Une anecdote qu’il a évoquée, retient, en revanche, davantage l’attention, tant on la juge tragiquement révélatrice d’un type d’homme. Une rumeur courait sur la mort de Pierre Bérégovoy, ce Premier ministre socialiste qui a mis fin à ses jours, le 1er mai 1993, après la débâcle électorale de mars : il ne s’était pas suicidé, disait-on dans les dîners en ville, c’était Mitterrand qui l’aurait fait assassiner. Un jour qu’il reçoit le président chez lui en Dordogne, M. Dumas l’en informe. Imperturbable, Mitterrand lui aurait répondu en substance : ce n’est pas par Bérégovoy que je commencerais ! Le plateau des Zemmour, Nolleau, Ruquier et compagnie s’est évidemment tordu de rire. Il y avait de quoi vraiment.
Le cynisme comme seule inspiration ?
1- Le comble est que cette saillie « humoristique » de Mitterrand, a tout l’air d’être fiable. Sans doute est-ce une information donnée ; mais elle est conforme à l’amoralisme connu des deux hommes, dont l’un est mort et l’autre, retiré désormais des affaires de l’État. Peu importe aujourd’hui qu’elle livre d’eux une image négative ! Si elle peut être nuisible à quelqu’un de respectable, elle ne l’est pas à un homme de pouvoir de leur acabit. M. Dumas sait d’expérience, comme Machiavel, qu’un certain degré de brutalité dans l’exercice du pouvoir, choque sans doute au premier abord, mais soumet le peuple veule à ses princes en le frappant d’hébétude. Il n’est que de voir la poilade de bon ton que cette saillie a déclenchée sur le plateau servile et dans la claque tout autour. On comprend mieux la déception qui a suivi si vite l’arrivée de la Gauche au pouvoir en 1981 avec Mitterrand à sa tête. On ne voit pas Pierre Mendès-France, sauf erreur, capable de pareille réflexion.
2- Ensuite, cette confidence privée tranche avec la pose publique indignée prise par Mitterrand aux obsèques de son ancien Premier Ministre le 4 mai 1993 : son hommage résonne du coup comme une imposture : « Toutes les explications du monde, a-t-il tonné, ne justifieront pas qu'on ait pu livrer aux chiens l'honneur d'un homme et finalement sa vie, au prix d'un double manquement de ses accusateurs aux lois fondamentales de notre République, celles qui protègent la dignité et la liberté de chacun d'entre nous. L'émotion, la tristesse, la douleur qui vont loin dans la conscience populaire depuis l'annonce de ce qui s'est passé samedi [...] lanceront-elles le signal à partir duquel de nouvelles façons de s'affronter — tout en se respectant — donneront un autre sens à la vie politique ? Je le souhaite, je le demande et je rends juges les Français du grave avertissement que porte en elle la mort voulue de Pierre Bérégovoy. »
Ces trémolos d’imprécateur n’étaient donc que leurres d’appel humanitaire. L’humour noir de la saillie de Mitterrand laisse, en effet, transparaître une relation conflictuelle avec son ancien premier ministre. Il est vrai qu’il venait de perdre les élections législatives, mais en était-il le seul responsable ?
3- Mieux, cette saillie, sortie du cœur, révèle un Mitterrand gangrené de cynisme. Il est de ces hommes de pouvoir qui rêvent de la mort de l’adversaire quand ils n’y prêtent pas la main. N’insinue-t-il pas par allusion qu’il aurait sa liste noire où même un de ses collaborateurs fidèles figurerait aussi mais pas parmi les premiers noms ?
4- On se demande enfin quel besoin R. Dumas a de faire connaître la noirceur de ses turpitudes à la fin de sa vie sur un plateau de télévision ? Il semble qu’il réponde à une furieuse envie d’extirper des cœurs qui lui survivront, tout espoir d’une société meilleure à laquelle le fauve qu’il est, a depuis longtemps renoncé pour satisfaire sans entrave ses pulsions. Après moi le déluge ! On songe à la toile de Delacroix, au Louvre, montrant Sardanapale en train de faire égorger au pied de son lit une à une ses maîtresses avant de se suicider. Manifestement on sentait R. Dumas jouir en esthète, samedi soir, de la jouissance malsaine de la claque qui l'entourait, au récit de ses turpitudes.
Interrogé sur ses préférences parmi les candidats à l’élection présidentielle, il a dit tout le mal qu’il pensait de Strauss-Kahn : il n’est pas socialiste, a-t-il tranché, mais libéral. En revanche, il voit en François Hollande qui a été un temps, son directeur de cabinet, un excellent candidat. Il n’est pas sûr qu’avoir le soutien public d’un homme de gauche aussi irréprochable que R. Dumas soit pour l’intéressé si enviable. Mais n’est-ce pas justement le but poursuivi dans la droite ligne tordue d’un leurre familier à un individu cynique de sa trempe : plomber Hollande par un soutien encombrant pour rendre service à Strauss-Kahn ? Paul Villach
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