Rupture
Fortuitement, à l’aube de la plus importante crise économique dans l’histoire du capitalisme, le « World Economic Forum » publie, sur sa plateforme « COVID Action Platform », sa dernière étude sur l’avenir du monde du travail « The Future of Jobs Report. », et on peut d’ores et déjà se préparer à un avenir « disruptif ».
D’entrée de jeu les experts du WEF annoncent que « d’ici 2025, les capacités cognitives des algorithmes suffiront pour effectuer la moitié des tâches nécessaires pour le fonctionnement de l’économie. » Il y aura donc de la compétition dans l’air.
Ce qui frappe le lecteur qui parcourt les 163 pages de cette étude, n’est pas tant le constat, évident, que l’automatisation du travail par la technologie éliminera le travail, mais le sentiment qu’celle-ci deviendrait, presque fatalement, une fin en soi.
Au plus tard depuis la publication du livre « bullshit-jobs » de l’anthropologue américain, David Graeber (1961-2020), le monde sait qu’à l’heure actuelle la moitié des activités économiques ne produisent strictement rien et servent uniquement à maintenir le système.
Cela fait cinquante ans que le fondateur du WEF, Klaus Schwab, s’essaye, à la quadrature du cercle, l’alliance contre nature entre socialisme et capitalisme, du moins depuis la publication, en 1971, de son ouvrage « Gouvernance d’entreprise moderne en génie mécanique », en incarnant parfaitement ce courant économique qu’on appelait dans son Allemagne natale d’après-guerre, l’économie sociale de marché, personnifié par le Ministre fédéral de l’économie et Chancelier de l’époque, Ludwig Erhard (1897-1977).
Après avoir élaboré son propre concept d’une « économie responsable », « Stakeholder management approach », il créa, encore pendant l’année de la publication de son œuvre, l’organisation qui s’appelle depuis 1987, le « World Economic Forum ».
Son idée altruiste de la gestion d’entreprise, considérant les intérêts de toutes les parties prenantes d’une activité économique (stakeholders), actionnaires, employés, clients, mais également la communauté, ne peut que se heurter à la logique intrinsèque du capitalisme, la compétition pour le meilleur rendement financier possible.
Il faut dire que jusqu’au milieu des année 1970, cette « vision » d’un « capitalisme social » fonctionnait à merveille, pour la simple raison que, pendant un lapse de temps, l’intérêt du capital convergeaient avec celui du travail. Une demande pléthorique (des capitaux) rencontra une offre limitée, (main d’œuvre qualifiée, indispensable pour la reconstruction).
Ce bref « miracle » est merveilleusement démystifié par le « militant de l’éducation populaire » français, Franck Lepage dans ce qu’il appelle la « théorie de l’excès de culture ».
A l’issue de la guerre, le système éducatif français, mais on pourrait aisément appliquer le phénomène aux autres pays touchés par la guerre, était très élitaire, avec une faible proportion d’académiciens. En réaction à la forte demande en main d’œuvre qualifiée de l’économie, le système éducatif réagissait par un mouvement de « démocratisation » de l’accès aux études.
Seulement, au fur et à mesure que la reconstruction progressait, de pair avec le développement de nouvelles technologies, la demande en main d’œuvre qualifiée, commençait fatalement à stagner, puis à diminuer, ce qui eut pour conséquence la dépréciation de la valeur des diplômes et une surqualification de la main d’œuvre sur le marché du travail. C’est le cruel jeu de l’offre et de la demande.
Nous sommes donc en 2020 et le « World Economic Forum » nous annonce que « les capacités cognitives des algorithmes suffiront pour effectuer la moitié des tâches nécessaires pour le fonctionnement de l’économie. »
Le doute s’installe dès l’année 2012, à l’occasion du meeting annuel à Davos, lorsque le Président posa, pour la première fois, la question de « Gretchen » sur « les limites du capitalisme », un questionnement « inapproprié » jugèrent de nombreux participants qui mirent cette gaffe sur le compte de « son âge avancé ». Toujours est-il, l’invitation de l’économiste américain, Prix Nobel de l’économie, Joseph Stiglitz (The price of inequality) n’eut pas l’impact souhaité.
Huit ans plus tard, le 21 septembre dernier, Klaus Schwab récidive dans une interview, accordée au quotidien allemand « Die Zeit », en déclarant « la fin du néolibéralisme ». On mesure le déchirement intérieur de l’économiste et on ne peut s’empêcher de penser au poète Johann Wolfgang von Goethe qui lui aussi avait « Zwei Seelen, ach, in seiner Brust ».
Après quarante ans de néolibéralisme les experts du WEF n’ont pas peur d’écrire que « dans ce nouveau contexte (?) (COVID) le nombre de nouveaux postes crées sera inférieur au nombre de postes détruits par l’automation (?) ce qui impactera de manière cruelle les travailleurs défavorisés, raison pour laquelle il faut absolument améliorer la protection sociale et encourager la formation. » ce qui ne manque pas de sel.
C’est donc sans doute avec une certaine amertume que l’initiateur de la « plateforme des échanges fructueux » doit se rendre à l’évidence que ses membres et gardiens du temple (1) n’ont finalement qu’une idée dans la tête, le rendement sur le capital investi.
(1) Conseil de Fondation « World Economic Forum »
Mukesh D. Ambani, président et directeur exécutif du groupe de pétrochimie indien « Reliance Industries »
Peter Brabeck-Lethmate, ancien président et directeur exécutif du groupe agro-alimentaire suisse « Nestlé »
Mark Carney, ancien gouverneur de la Banque centrale canadienne ainsi que de la Banque centrale britannique, « Bank of England »
Chrystia Freeland, Vice-première ministre du Canada
Kristalina Georgieva, directrice générale du « Fonds monétaire international » FMI
Al Gore, ancien Vice-président des Etats-Unis
José Àngel Gurría, Secrétaire général de l’Organisation de coopération et de développement économiques OCDE
Paula Ingabire, Ministre rwandaise des technologies de l’information, de communication et de l’innovation
Jack Ma Fondateur, président et directeur exécutif du site internet chinois de commerce électronique « Alibaba Group »
Peter Maurer, président du « Comité international de la Croix-Rouge »
Patrice Motsepe, fondateur et directeur exécutif du groupe minier sud-africain « African Rainbow Minerals », fortune personnelle 2,1 milliards USD (Forbes)
Mark Schneider, directeur exécutif du groupe agro-alimentaire suisse Nestlé
Tharman Shanmugaratnam, Ministre des finances, Singapour
Feike Sijbesma, président et directeur exécutif du groupe néerlandais « Dutch State Mines » (nutrition, produits pharmaceutiques)
Min Zhu Min, conseiller spécial auprès du Directeur général du « Fonds monétaire international » FMI, ancien Vice-gouverneur de la « Banque populaire de Chine »
Mark Benioff, président et directeur exécutif de la société californienne « Salesforce », précurseur du « cloud-computing »
Thomas Buberl, directeur exécutif du groupe d’assurance français, « AXA »
Laurence Douglas Fink, président et directeur exécutif de la société américaine de gestion d’actifs « BlackRock » (7'000 milliards USD sous gestion fin 2019)
Orit Gadiesh, présidente du cabinet de conseil en stratégie et management « Bain & Company », Boston
Fabiola Gianotti, directrice générale de l’Organisation européenne pour la recherche nucléaire CERN
Hermann Gref, président du groupe bancaire russe « Sberbank », ancien Ministre du développement économique et du Commerce de la « Fédération de Russie »
André Hofmann, vice-président du groupe pharmaceutique suisse « Roche »
Christine Lagarde, présidente de la « Banque centrale européenne » BCE
Yo-Yo Ma, violoncelliste américain
Luis Alberto Moreno, ancien président de la « Banque interaméricaine de développement » IDB (2020)
H.M. Rania Al Abdullah, épouse du roi Abdallah II de Jordanie
David Mark Rubinstein, co-fondateur et co-président du groupe de gestion d’actifs financiers « The Carlyle Group », entre autres président de la prestigieuse institution de recherche scientifique « Smithsonian Institution » ainsi que du « think tank » « Council on Foreign Relations », fortune personnelle 3,2 milliards USD (Forbes)
Klaus Schwab, fondateur et président du « World Economic Forum »
Jim Hagemann Snabe, président du groupe allemand « Siemens » et de l’armateur danois « Maersk »
Heizo Takenaka, ancien Ministre japonais des affaires intérieures et des communications
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