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Accueil du site > Tribune Libre > Rupture amoureuse et philosophie

Rupture amoureuse et philosophie

JPEG C’était en 2005, il y a dix ans. Une rupture. J’avais à cette époque écrit quelques pages dont j’ai extrait quelques passages susceptibles d’éveiller des résonances et susciter un modeste intérêt philosophique. Bien évidemment, aucune rupture ne ressemble à une autre parce que chaque relation est particulière. Après, on peut trouver des connivences. Puis élargir l’expérience pour la nourrir de philosophie et réciproquement. Soyez indulgent avec ce petit texte sans prétention offert en partage.

La mise en abîme du passé montre à l’évidence ce qui n’a pas fonctionné et surtout, que ni l’un ni l’autre n’a essayé de s’impliquer en faisant quelques concessions supplémentaires. Ce qu’on appelle y mettre du sien. Nous l’avons fait mais pas suffisamment. C’est ELLE qui m’a perdu et MOI qui l’ai perdue. On pose des actes comme disent les psychanalystes, ou on ne les pose pas, ou alors on les pose mais à côté de la plaque. Et puis merde ! Inutile de se torturer. Les torts sont partagés et peut-être qu’elle tenait moins à moi que moi à elle. Qui sait ? Et c’est pour cela que revoir le passé peut se révéler inquiétant car on se dit qu’on a fait une connerie, un peu à l’image d’un employé accumulant les fautes professionnelles et autres indélicatesses et qui un jour est mis à la porte parce que le patron en a assez de cette situation et qu’il a eu vent d’un remplaçant compétent.

On connaît deux modes d’auto évaluation, l’estimation négative et la positive, ou la haute et la basse comme pour le prix d’une œuvre d’Art. Il y a une fourchette d’évaluation. On y va ! Hypothèse basse. J’aurais dû faire quelques concessions, j’ai joué au con, j’ai perdu ce que j’avais de plus cher, nous aurions pu faire un agréable chemin ensemble. Je ne l’ai pas écoutée, pas répondu à ses attentes. Hypothèse haute. Nous avons fait le chemin nécessaire. Je ne lui apportais plus ce qu’elle souhaitait, alors qu’elle ne me supportait plus. Il fallait que ce collier nous attachant l’un à l’autre soit brisé. Traduit en terme de rapport d’entreprise, la situation est celle d’un employé bridé par son patron, avec des projets, et qui une fois libre de ses engagements passés monte sa petite entreprise… la mienne pour l’instant connaît la crise !

Un collier sert à unir mais aussi à se pendre. La pendaison étant à prendre dans un sens philosophique dont on peut à la limite tracer les contours à partir de l’Arcane du Pendu. Si on se réfère à l’ouvrage non signé de Valentin Tomberg, Méditations sur les 22 arcanes majeurs du Tarot (Aubiers), le pendu signifie la situation d’une personne attirée par la gravitation spirituelle. Etait-ce mon cas, ayant en tête son image idéalisée m’empêchant d’atterrir et de me dire, ELLE n’est plus faite pour moi ? Il faut sortir du pendu et viser le monde.

L’Arcane du Monde est présenté par Tomberg avec ce qu’il désigne comme étant un préambule musical. Deux citations, l’une des Proverbes, extraite de l’Ancien Testament et l’autre qui dit ceci ; La joie est plus profonde que la souffrance. La souffrance dit : passe. Mais toute joie veut l’éternité, la profonde éternité. On aura reconnu un fameux fragment de l’œuvre nietzschéenne curieusement accolée à un extrait de la Bible. Mais rien d’étonnant si l’on sait quel fut le dessein inaccompli de Nietzsche, celui de délivrer une Ecriture qui pour moi, constitue une étape avant l’avènement du Dernier Testament universel. Tomberg fut une figure de l’ésotérisme chrétien. Le puzzle entre le Monde et Dieu semble reconstitué. Arcane 21. Celui qu’il faut viser !

Voilà, tout est dit sur ce volet. Rien de bien surprenant que cette rencontre avec Nietzsche. C’était dans le contexte de l’hypothèse haute. Kierkegaard une autre hypothèse et Schopenhauer une hypothèse basse. Le message que délivre cette écriture de Moi (référence à Schleiermacher) m’a envoyé directement à la case Monde, et donc royaume philosophal. La demeure philosophale en partage. Le sens du royaume. Exorcisme de la sphère. Nietzsche et Heidegger en vue. Sloterdijk semble avoir fait une peinture du royaume de l’immanence et des flux. Je vois aussi le nihilisme contemporain avancer, avec le désert politique, la morosité, le désenchantement, vieux démon européen, humanité déchue par sa faute, fausses croyances, faux prophètes, ésotérisme de bazar, Bush inquiétant en antéchrist nietzschéen. Le royaume philosophal comme parachèvement du Dernier Testament. Avènement…

Je ne sais pas quel a été le point le plus déterminant dans cette séparation, je parle de notre histoire récente. Sur le fond, le ressort pour parler comme Montesquieu, je pense avoir quelques pistes livrant les indices d’une relation complexe et enrichissante, transformante, du moins pour moi. Tout est question de chemin, de voie, de convictions, de ce à quoi l’on croit, des créations que l’on veut faire valoir au monde, dans la société, et que l’on se propose de produire. Oui, certes, le libéralisme et l’économie. Je ne renie pas du tout ce volet qui fonctionne comme il peut. Le reste, c’est un domaine qui doit être protégé de la jungle. Et il l’est mais ne fonctionne plus très bien. C’est la culture et la recherche. C’est cette voie que j’ai suivie. Pas facile.

Il serait temps comme je l’avais déjà suggéré de faire disparaître ELLE de ce journal. Tout a été dit, elle n’y a plus rien à y faire. Pour ce qui est de sa disparition de mes pensées, c’est tout autre chose. Mon amie du grand froid canadien dit que la perte d’un amour laisse une trace de morosité pour toujours. Je ne saurais dire si c’est exact. Je me souviens d’une autre femme aimée, la liaison dura un peu plus d’un an. Elle a rompu pour des raisons parfaitement légitimes. Au début j’étais en colère, et puis je l’ai oubliée et c’est ELLE qui prit une place dans mon cœur. Mais tout s’était dégradé, de plus en plus. Ce qui est curieux, c’est qu’au début j’étais pesant, puis, il y eut une période où je reprenais sérénité et confiance. Pourtant, cela ne s’est pas traduit par un rapprochement.

Considérations pneumatologiques. La séparation est un moment de déréliction. On voit alors l’étendue du vide et on mesure le souffle qui nous portait. On comprend alors quelle était la part de l’autre dans notre propre vouloir-vivre. Pour certains, la perte de l’autre est une chute brutale quand on réalise que l’on a été animé par une énergie dont on était pas le dépositaire (un détail me revient. Elle avait une tendance à compter sur l’énergie des autres). Mais pour d’autres, la séparation fait presque figure de renaissance. Comme si l’autre avait étouffé le souffle.

L’expérience d’une séparation analysée avec une loupe de phénoménologue permet de façonner des liens de proximité avec des textes de la période post-hégélienne, autrement dit des pensées où l’expérience d’un homme domine la logique.

On s’intéressera à trois types de philosophie pour envisager la suite de l’existence. Comment retrouver l’amour et la foi. En assumant notre conscience de pécheur puis en comptant sur Dieu en espérant être gracié. Voilà un motif extrait de Kierkegaard. Ou bien on accepte l’échec en se félicitant d’avoir fait le chemin, même si le jeu a échoué. Résignation finale. Là on est dans un pessimisme à la Schopenhauer. Enfin, en acceptant la souffrance on tient bon, on se prend à aimer le destin, le chemin, et c’est Nietzsche que l’on prend comme guide du routard métaphysique.

Chez le pessimiste (Schopenhauer ou Houellebecq), il n’y a pas de foi dans la représentation qu’il se fait d’un monde qui en dernier ressort, l’a déçu. Le Croyant théiste (Kierkegaard) a la foi parce qu’un Dieu extérieur à la représentation est censé insuffler sa grâce après les moments esthétiques et éthiques. Le croyant vitaliste (Nietzsche) est déçu par les hommes mais ne désespère pas car il a confiance en son propre royaume, autrement dit, sa volonté se fait représentation et sa représentation se fait volonté, il veut la joie, la profonde éternité, imaginant que le déclic miraculeux du monde présocratique pourrait refaire surface.

Ces trois philosophes, et surtout les deux derniers, ont pour caractéristique d’avoir philosophé la vie et vécu la philosophie. Un élément vient percer la sphère de l’existence. Chez Kierkegaard, l’éclair se produit comme s’il y avait une différence de potentiel entre Dieu et l’homme. Chez Nietzsche, l’homme crée la différence de potentiel en se surnaturalisant (survitalisant).

Que les puristes me pardonnent d’avoir présenté ces trois philosophes d’une manière lapidaire. Il est question en fait d’une séparation vécue comme source de proximité avec des philosophies. Il reste Sloterdijk et son ouvrage Bulles. Cela concerne le savoir de sa sphère. Savoir où on est aurait été le leitmotiv de la modernité existentialiste. Le où suis-je ? Ayant pris plus d’importance que le qui suis-je ? Où et comment habite-t-on ? Dans quelle sphère a-t-ELLE vécu et moi également. Si l’habit le fait pas le moine, l’habitat pourrait dévoiler la personne. Il existe je crois des philosophies sur la demeure, sur la manière d’habiter. Chez Sloterdijk, l’enjeu semble de belle envergure, ontologique…

L’introduction de Bulles est passionnante dans la mesure où sont posées des questions cruciales avec un décentrement signifiant. Justement, selon ce penseur, dans le monde post-moderne il y aurait un refus du savoir ontologique portant sur le lieu que l’on habite. Je pressens une belle piste d’envol. Et dans une certaine mesure, n’il y aurait-il pas aussi un savoir de la destination dont nous serions les dépositaires ? Le où va-ton ? Et ne serait-ce pas là une tête de pont pour un questionnement philosophique. Ici aussi, ELLE a pris une voie et MOI une autre. Alors je ne sais pas s’il faut revenir une fois de plus sur le passé. Ce n’est pas de tout repos. Mais s’il y a une ouverture philosophique, why not. Je laisse la question en délibéré. BD, 31 janvier 2005

Printemps 2015 : Kierkegaard, Schopenhauer et Nietzsche. Je n’opposerai pas ces trois philosophes qui se semblent assez complémentaire pour aborder le sens de l’existence. Parfois, je me sens Schopenhauer et d’autres fois Nietzsche mais j’ai plus de connivences avec Kierkegaard. Plus près de nous, un autre philosophe qui intègre le divin dans l’existence mais dans une voie assez différente de Kierkegaard. C’est Rosenzweig et son étoile de la rédemption.

Au final, n’il y a-t-il point quelque chose qui relie tous ces philosophes ? Je crois que oui. Ils sont difficiles à placer sur une grille de mots croisés ou de scrabble.


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9 réactions à cet article    


  • Le p’tit Charles 18 mars 2015 13:24

    Dans l’amour, il n’y a que la conquête et la rupture qui soient intéressantes ; le reste, c’est du remplissage.
    [ Maurice Donnay ]


    • Soor soor 19 mars 2015 15:13

      @Le p’tit Charles ... c’est de l’addiction qu’ il s’agit ici mais il est vrai kon pourrait les confondre...


    • Laconique Laconique 18 mars 2015 17:55

      Je citerais plutôt Cioran : « Un amour qui s’en va est une si riche épreuve philosophique que, d’un coiffeur, elle fait un émule de Socrate. » Quoique Socrate, à ma connaissance, ne s’est jamais laissé aller à philosopher à propos d’un objet aussi trivial qu’une femme.


      • kalachnikov lermontov 18 mars 2015 21:01

        @ Laconique

        J’ai pourtant entendu dire que ce n’est pas sans raison que Socrate faisait le clochard.

        http://fr.wikipedia.org/wiki/Xanthippe_%28femme%29


      • Soor soor 19 mars 2015 15:15

        @Laconique
        En effet, une femme est un objet assez trivial, ce n’est qu’ en tant que Sujet qu’elle Devient...


      • alinea alinea 18 mars 2015 20:40

        Je ne me prends pas pour Socrate loin de là, mais je ne me suis jamais laissé aller à philosopher sur quelque chose d’aussi trivial qu’un homme !
        Diantre, un homme !
        Qu’est ce ?
        Un enfant gâté qui s’appuie et n’y pense plus, tellement cela va de soi.
        Un quêteur de miroir et qui se mire et qui séduit pour que l’image lui plaise.
        Un pragmatique qui a besoin d’une moitié pragmatique pour lui.
        Un génie des alpages qui n’aime pas le creux des moments solitaires sans inspiration.
        Un double hère qui trouve que notre culture passive est très confortable pour lui ; boulot, ambition réussite, et giron dorlotant.
        En tout cas, un conformiste qui croit que deux tient la vie !
        Sinon, quoi ? Un bout de chemin ensemble, un bout de l’autre en moi, tout ce qu’il m’a appris ; si on est libre et que l’on ne s’acoquine pas sur quelque névrose complémentaire, irréductible et indispensable à « l’un », le lien social peut se dénouer sans casser le fond d’un lien unique tandis qu’on peut y avoir tout pris et être prêt pour une autre étape !
        Il n’y a rupture que parce qu’on nous a raconté l’amour éternel !!


        • Le p’tit Charles 19 mars 2015 08:30

          @alinea+++++

          Humour...« Dépourvue d’âme, la femme est dans l’incapacité de s’élever vers Dieu. En revanche elle est en général pourvue d’un escabeau qui lui permet de s’élever vers le plafond pour faire les carreaux. C’est tout ce qu’on lui demande.  »
          Pierre Desproges...


        • Passante Passante 19 mars 2015 11:04

          toute philosophie est question de rupture amoureuse.

          la création n’est que de l’éveil
          l’éveil à deux est chose aussi difficle à naviguer qu’une mission interplanétaire,
          mais c’est une exigence, rien n’est dans la création hors du deux.

          mais oui l’amour fait monde, il nie l’autre politique, il en finit avec le brouhaha.
          puis ça se ramène insidieux, gentiment ça émonde,
          premiers délais, premiers oublis, on allait où ? on faisait quoi comment ?

          comment y arriver sans le malentendu.
          pourquoi le sommeil d’adam.


          • Soor soor 19 mars 2015 15:08

            Ah, merci pour le choix du sujet. Pourtant je me demande si vous ne parlez pas plus de l’oubli que de la séparation... m’est avis que ce sont deux choses complètement différentes, voire mutuellement exclusives.
            Tout amour est éternel, c ’est incontournable, Tout comme le Passe... rien n’est plus présent ... rien de tel pour prévoir le futur...ce qui nous relance sur la vraie question de ’Éternité... et voila pourquoi nous ne pouvons assumer l ’un sans tenter de comprendre l autre... Je dirais donc l’Un dans L’Autre.

            C’est marrant, parce que parmi tout ce qu’ on a pu lire sur le sujet ... je me rappelle toujours du Slam de Grand Corps Malade qui évoque sa tête, son coeur et ses couilles ... qu’ il ne réussit pas a mettre d’accord... a mon sens c’est le probleme de l homme ( et par homme je veux dire aussi femme) . Philosopher et donc se focaliser sur sa tête, lui donner la voix, devient très pratique pour suppléer au problèmes des autres « centres »... pour rétablir l’équilibre manquant. Sinon, il m ’est difficile d imaginer deux en amour, parce que je pense qu il y en nous des hommes et des femmes qui devront apprendre le Un avant Tout... mais ça c’est un autre sujet.

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