Rwanda-1994 : Mobutu et sa pire décision pro-rwandaise
Le président Mobutu du Zaïre (actuelle RD Congo), prenait souvent des décisions dictées par ses sentiments personnels. Parmi ces sentiments, il y a un certain « amour » qu’il avait pour le Rwanda et les Rwandais en général. Un amour qu’il a payé cher lorsque les mêmes Rwandais de l’AFDL l’ont chassé comme un rat à Kinshasa en mai 1997, alors qu’il leur avait presque tout donné tout au long de son règne, sacrifiant même ses propres compatriotes et les intérêts vitaux du Congo. Depuis 1994, de nombreux Rwandais, qui ont étudié grâce aux bourses du gouvernement zaïrois, se sont transformés en pourfendeurs acharnés du Congo et du peuple congolais, aux côtés du régime de Kagame. Cette ingratitude rwandaise était perceptible depuis le début, mais Mobutu n’était pas un dictateur éclairé. Parmi ses décisions dictées par ses sentiments personnels, il y en a une qui peut être considérée comme la plus catastrophique : accueillir 1,5 million de réfugiés rwandais sur le sol zaïrois.
Mobutu savait pourtant que le Zaïre n'avait aucun moyen d'accueillir ces populations. Accueillir des populations n'est pas seulement un "acte de générosité", c'est un "acte de responsabilité". Accueillir signifie assumer. Et ça, Mobutu ne savait pas, aveuglé par ses sentiments personnels pour le Rwanda et les Rwandais.
La décision qu’il fallait prendre face au péril Kagame
En temps de guerre, un homme d’Etat ne prend pas des décisions pour plaire. Il prend des décisions que le péril sécuritaire impose, peu importent les sentiments : « aimer », « haïr », « plaire »... On reste froid et la main ne tremble pas ! La décision doit être uniquement dictée par le péril sécuritaire. Mais Mobutu aimait tellement le peuple rwandais. Parfois, jusqu’à l’absurde.
Après l’attentat du 6 avril 1994, Mobutu a risqué la vie des commandos zaïrois en les dépêchant au Rwanda pour récupérer le corps du président Habyarimana. En plein Kigali déchiré par des combats acharnés ! Mission réussie parce que le corps du président Habyarimana fut amené à Kinshasa, à plus de 1600 km de Kigali par les commandos zaïrois du SARM, puis à Gbadolite. Mission réussie, mais décision irresponsable ! Un amour irresponsable qu’il avait pour ce pays depuis la nomination au poste de chef de son cabinet d’un sujet rwandais du nom de Barthélémy Bisengimana, dès 1971. Amour qui, en avril 1994, va l’amener à ouvrir les frontières du Zaïre à 1,5 million de réfugiés rwandais alors que son pays, le Zaïre, était exsangue. Il l'a payé cher, et les Congolais derrière. Plus de six millions de morts au Congo depuis cette décision irresponsable. Si Mobutu n'était pas aveuglé par ces sentiments, voici la décision qu'il devait prendre en avril 1994 : Fermer la frontière avec le Rwanda et masser les troupes de l’armée zaïroise. Pourquoi ?
Parce que tous les renseignements recueillis par les services secrets zaïrois étaient sans ambages : depuis le début, le FPR de Kagame avait pour cible l'est du Zaïre et ses gisements miniers. Ces renseignements étaient connus et confirmés avant le 4 avril 1994, jour de la visite précipitée du président Juvénal Habyarimana à Gbadolite, pour exprimer sa détresse à son ami Mobutu, avant de périr deux jours plus tard dans l'attentat du 6 avril au-dessus de Kigali. La carte du parcours militaire du FPR, durant la conquête du Rwanda, a ensuite confirmé la stratégie d’un encerclement aux frontières de tous les autres pays, avec une seule ouverture principale : la frontière du Zaïre.
C'est une stratégie typique des armées tutsi utilisée tout au long de la conquête du Rwanda par le Front patriotique rwandais et, depuis, par l'AFDL, le RCD-Goma, le CNDP, le M23... : infiltrer les populations d’une ville, un village, un territoire ; les encercler ; puis attaquer en commettant le plus de massacres possibles pour faire fuir le maximum des populations vers une seule « porte de sortie ». Cette « porte de sortie » doit mener au prochain village, ville, territoire à conquérir. Les infiltrés mêlés aux réfugiés en détresse, accueillis comme des malheureux, auront préparé le terrain sans se faire suspecter. Des réfugiés ou déplacés de guerre... on ne les suspecte pas.
La seule décision militaire à prendre, lorsqu’une armée tutsi attaque, c’est bloquer les foules des populations et attendre que la bataille armée (ou les négociations) se déroulent loin des villes, villages, territoires. Goma, Bukavu et le reste du Kivu étaient les cibles de Kagame et son FPR. La moitié de l'armée de Mobutu aurait dû être massée le long de cette frontière. C'était une décision inhumaine, mais c'est la seule décision qu'il fallait prendre. Mobutu, comme chef d’Etat et chef des armées, fut vraiment catastrophique et impardonnable en 1994 !... Peut-être trop malade avec sa fameuse prostate.
Dans ce cas, un chef démissionne ! Sinon, c’est 6 millions de morts derrière !
Que se serait-il passé si Mobutu avait fermé les 217 km de la frontière avec le Rwanda ?
Les populations rwandaises qui fuyaient devaient se masser dans les zones frontalières autour de Gisenyi, Ruhengeri et Cyangugu. Les hommes en âge de combattre auraient été mobilisés pour attendre les hommes de Kagame. L’armée zaïroise aurait formé une ligne infranchissable à la frontière autour des villes de Goma, Bukavu et Uvira. Kagame n’avait pas les moyens de tuer tous les Rwandais qui fuyaient son avancée si ces derniers s’étaient arrêtés pour lui faire face dans des « batailles de survie ». Hélas, Mobutu a ouvert les bras, au lieu de pousser les Rwandais à se battre pour leur survie. Un quart de siècle après, les Rwandais sont en détresse, les Congolais aussi.
Aujourd’hui, les hommes de Kagame ont transformé le Congo et le Rwanda en abattoirs à ciel ouvert. Chaque matin, un Rwandais ou un Congolais se réveille avec l’idée qu’il sera peut-être tué dans la journée par les hommes de Kagame, les hommes de son allié Kabila ou leurs innombrables milices qui écument l’est du Congo. L’actualité du Congo est un flot d’images macabres. Depuis l’arrivée de Kagame et son allié Kabila au pouvoir, les tueries, assassinats et massacres renvoient des images horribles dans les réseaux sociaux chaque semaine. Cette vie de mort en permanence et de souffrances innommables, c’est l’héritage que l’amour de Mobutu pour le Rwanda aura légué aux deux peuples de la région des Grands Lacs. Un homme d’Etat anticipe les évènements. Mobutu n’en fut pas un en 1994. Il devait fermer cette frontière et obliger les Rwandais à régler leurs problèmes à l’intérieur de leur pays. Ce qui est vrai est que Mobutu, sur la question rwandaise, est impardonnable sur l’ensemble de ses 32 ans de règne.
Les nostalgiques de Mobutu doivent comprendre qu’il a commis un tort irréparable à la nation congolaise en ouvrant la frontière du Zaïre en 1994. Nombreux d’entre eux sont d’ailleurs en exil, ce qui devrait suffire à leur faire comprendre à quel point cette décision fut catastrophique. Certains anciens mobutistes ont déjà fait leur mea culpa au peuple congolais. Mais le mal est fait.
Boniface Musavuli
Analyste politique, auteur des ouvrages :
- Les Génocides des Congolais – De Léopold II à Paul Kagame,
- Les Massacres de Beni – Kabila, le Rwanda et les faux islamistes.
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