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Accueil du site > Tribune Libre > Sable, pépites d’or ou rêves tombés à l’eau ?

Sable, pépites d’or ou rêves tombés à l’eau ?

 Que voit-on sur cette photo ? On dirait du sable et des graviers accumulés au fond d’un bassin vidé de son eau ? Ces dépôts paraissent pourtant bien brillants pour en être. S’agirait-il plutôt d’une cuve d’orpailleur où se décanteraient des pépites d’or ?

 La mise hors-contexte, qui est un de ses procédés constitutifs, permet, on le voit, de donner à une image un sens qu’elle n’a pas. Si on élargit le champ de vision, en revanche, on découvre que cet amoncellement en bord de bassin, n’est ni sable ni pépites mais ce que deux employés de nettoyage ont repoussé de leur balai (voir photo ci-dessous). On les a surpris, en juillet dernier, à Rome, un matin de bonne heure, dans la Fontaine Trevi. Ces sédiments sont en fait les pièces de monnaie qui y sont jetées chaque jour par milliers. Il faut donc régulièrement en débarrasser le bassin sous peine de l’en voir bientôt rempli. On devine que toutes ces petites pièces jaunes feraient le bonheur d’une campagne humanitaire bien connue en France. Wikipédia avance un montant faramineux de près d’un million d’Euros par an qui serait ainsi récolté et donné à des œuvres caritatives.

La Fontaine Trevi, ce chef d’œuvre baroque 

Seulement, la Fontaine Trevi n’est pas une tirelire ordinaire. Ce chef-d’œuvre baroque de Niccolo Salvi en forme d’arc de triomphe est adossé à un palais depuis 1735 (voir photo ci-dessous). De son arche décorée d’un cul-de-four sur colonnes, surgit Neptune surfant sur les flots, tiré par deux chevaux ailés marins que domptent des tritons. C’est l’arrivée du trop-plein d’un ancien aqueduc romain acheminant l’eau d’une source appelée « Aqua Virgo », l’eau de la Vierge, parce que, selon la légende, c’est une jeune fille qui l’aurait indiquée à des soldats.  

Comme il se doit, à la manière antique, les deux papes, qui ont fait construire ce monument, ont tenu à le faire savoir en le gravant dans la pierre dans une dédicace latine : « Clemens XII.Pont.Max. Aquam Virginem Copia et Salubritate Commendatam Cultu Magnifico Ornavit Anno Domini MDCCXXXV. Pontif.VI – Perfecit Benedictus XIV ». L’un, Clément XII, dans la sixième année de son pontificat, a orné cette Eau de la Vierge, réputée pour son abondance et ses vertus d’hygiène, d’un décor luxueux magnifique, en l’an du Seigneur 1635 ; et, l’autre, Benoît XIV, a achevé l’ouvrage.  

Mais, c’est sans doute la scène du film de Fellini, « La Dolce Vita », paru il y a cinquante ans, qui a accru la notoriété de la Fontaine Trevi. Sur l’Île Tibérine où il était installé cet été en plein air, un festival de Cinéma, « L’isola del Cinema », reprenait encore comme affiche publicitaire cette scène où Marcello Mastroianni et Anita Ekberg tout habillés s’étreignent dans la fontaine avec de l’eau jusqu’aux cuisses (voir photo ci-dessous). 

Un rituel ancestral pratiqué des Grecs et des Romains 

Le rituel qui consiste à jeter dans une fontaine des objets comme des pièces de monnaie, est très ancien. Les Grecs puis les Romains le pratiquaient assidûment. Le temple d’Héra II, à Paestum en Campanie, est ainsi bordé de puits votifs où ont été retrouvées des statuettes en céramique de l’épouse de Zeus ; elles ont permis d’identifier le temple, attribué à tort jusque-là à Neptune.  

À la Fontaine Trevi, l’usage est de former deux vœux : l’un est de revenir à Rome, l’autre est à la discrétion de chacun ; on croit savoir que l’union de deux êtres en est souvent l’objet. 

Sans doute est-ce par jeu que beaucoup sacrifient à l’exercice. C’est l’occasion de se faire photographier, dos tourné à la fontaine, au moment où la pièce s’échappe de la main lancée en l’air. Mais s’adonne-t-on vraiment à un rite votif par seul amusement ? N’entre-t-il pas dans l’acte un commencement de croyance au mythe, ou du moins un secret désir d’y croire, histoire de forcer pour une fois les barrières d’une rationalité qui ne voit dans tout rêve que chimère ? Est-on à la Fontaire Trevi si loin de ce toucher de pied dont fait les frais la statue de Saint-Pierre d’Arnolfo di Cambiao, usée à force d’être seulement effleurée par des millions de mains, dans la basilique Saint-Pierre de Rome, où l’on fait la queue pour prendre son tour (voir photos ci-dessous) ?  

La contemplation de cette masse de pièces jaunes dont les employés font des tas, mène tout droit au cœur de tous ces croyants malgré eux qui les ont jetées par-dessus leur épaule. Chacune d’elles a été palpée du pouce et de l’index et investie de désirs fous que leur propriétaire savaient irréalisables mais qu’ils n’en ont pas moins confiés en désespoir de cause à l’eau miraculeuse de la fontaine avec l’espoir têtu d’être démentis. Quant à savoir combien de vœux se réalisent, chacun en est seul juge en son for intérieur. On se garde le plus souvent de parler de ces rêves tombés à l’eau. Paul Villach 

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14 réactions à cet article    


  • geo63 16 septembre 2009 10:53

    Très bel article comme dab, mais la conclusion est bien sérieuse. Ma femme et moi avons jeté une pièce à la Fontaine Trévi par pur amusement, peut-être aussi en pensant à la Dolce Vita...


    • Paul Villach Paul Villach 16 septembre 2009 11:40

      @ Geo 63

      Vous avez raison ! On apporte à la Fontaine Trévi ce que l’on porte en soi. Paul Villach


    • Fergus Fergus 16 septembre 2009 12:58

      Voilà une vision qui devrait faire rêver les nostalgiques orpailleurs de la Jordanne (la rivière qui arrose Aurillac), ceux que l’on appelait naguère les « Pesco Luno » (pêcheurs de Lune). Encore qu’il se dise que quelques-un reprennent la bâtée de loin en loin, au cas où...

      Article sympathique sur une fontaine et une pratique mythiques. Quoique personnellement je n’aie jamais jeté la moindre pièce dans le bassin. Et je trouve de surcroît cette fontaine affreuse. Mais l’ambiance y est sympathique lorsque les projecteurs lui donnent des teintes chaudes dans la nuit romaine.


      • Paul Villach Paul Villach 16 septembre 2009 13:34

        @ Fergus

        Comment pouvez-vous trouver affreuse une fontaine si grandiose dans sa fanstamagorie baroque ? Paul Villach


      • Fergus Fergus 16 septembre 2009 14:11

        J’ai beau faire, je n’arrive pas à apprécier la statuaire de marbre, c’est quasiment physique. J’aime énormement en revanche les statues de granite ou de bronze (tel le superbe Persée de Cellini).


      • Paul Villach Paul Villach 16 septembre 2009 16:04

        @ Fergus

        Ne me dites pas que les statues du Bernin vous laissent de marbre ! « Apollon et Daphnée » à la Villa Borghese, « L’extase de Sainte Thérèse » dans l’église de Santa Maria della Vittoria à Rome.
        Et Canova donc , « Amour et Psychée » au Louvre...

        Et puis connaissez-vous « la Vénus Callpyge » qui se mire dans un plan d’eau disparu au Musée archéologique de Naples ? Paul Villach


      • Fergus Fergus 16 septembre 2009 16:38

        Désolé, Paul, mais les sculptures du Bernin, contrairement à son architecture, me laissent effectivement... de marbre. Mais je ne demande qu’à me soigner. Cela dit, et au risque de choquer quelques sensibilités, je suis infiniment plus touché par les attitudes et les visages des personnages de granite figurant sur les calvaires bretons des enclos paroissiaux du 17e siècle (Guimiliau ou Saint-Thégonnec).


      • Paul Villach Paul Villach 16 septembre 2009 17:13

        Fergus

        Moi qui suis breton, vous me réfrigérez...Le grain grossier du granit se prête mal à l’imitation de la chair... PV


      • Fergus Fergus 16 septembre 2009 17:56

        Oui, mais ces sculptures ont une âme. Et allez admirer le magnifique jubé du Folgoët, entièrement réalisé dans ce granite de kersanton, vous constaterez à quel point la finesse du grain est étonnante.

        Naturellement, difficile de comparer tout cela à l’oeuvre sculptée du Bernin, splendide et justement reconnue par les amateurs d’art. Splendide, mais désespérément froide à mes yeux, y compris dans les représentations de personnages douloureux.


      • french_car 16 septembre 2009 15:13

        Ca démarre mal, on parle de mise hors contexte, on s’attend à un petit coup d’intériconicité, foin de leurre d’appel sexuel, pas de père Beau surgissant au coin d’une phrase, ni d’administration-voyou, juste un texte de bonne facture et un effet de surprise issu d’un angle de vue qui ne nous est pas familier.
        J’attends les Cinqueterre, le Palio de Siena, Firenze, Venezia - j’ai vu passer la Piazza Navona et la Piazza d’Espagna (avec son McDo au pied de l’escalier) sans déplaisir.
        Bon allez je vous plusse pour un fois smiley


        • moebius 16 septembre 2009 22:05
          « Sable, pépites d’or ou rêves tombés à l’eau ? »
           Merveilleux titre comme on aimerait en lire plus souvent.(je vous promet, talentueux auteur de lire la suite ultérieurement).
           Tout est dans ce « tombé à l’eau » ou sourd comme la nostalgie d’un ailleurs qui glougloute.
           Glou glou fait le réve qui se noie sous nos yeux.
           Mais je vous le demande un peu, que fait le surveillant de baignade pendant que le réve se noie la devant nous ?
          Que fait ’il oui, que fait ’il lui là, lui, le celui qui, là devant ici maintenant est grassement payé avec l’argent du contribuable pour sauver nos réves qui s’enfoncent inexorablement dans l’abyme. Le réve se noie et lui se tirlipote le clavier et cela fait glou glou et il s’en fout. 
           glou glou et glou et glou

          • moebius 16 septembre 2009 22:07

            je plusse pour le titre, il est trop beau comme il fait glou glou


            • moebius 16 septembre 2009 22:17

               associer l’eau qui coule et qui fait glou glou, ces pépites qui scintille, ces poissons d’or ces poissons chantant glou glou qui réve toniquement dans la lumiére du matin, dans cette eau de la fontaine ou glou glou elle se baignait glou glou toute nue et luissante comme la vérité qui sort de l’onde triomphalement sous un ciel bleu azur


              • moebius 16 septembre 2009 22:18

                je ne m’en lasserais jamais, méme mort et enterré

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