Certains saints sont quelquefois canonisés après une centaine d’années, sinon plus, comme cette Jeanne Jugan, décédée en 1879 et canonisée dimanche 11 octobre 2009. Jeanne d’Arc fait moins bien : brûlée comme sorcière en 1431, elle n’est canonisée qu’en 1920. D’autres, au contraire, répondant sans doute à des objectifs stratégiques du moment, le sont en quelques années : Thérèse de Lisieux, décédée en 1897, est canonisée 28 ans plus tard en 1925 ; plus récemment, le fondateur de « l’Opus Dei », Escriva de Balaguer, a fait encore mieux ! Mort en 1975, il a été canonisé 27 ans plus tard, dès 2002. Mère Théresa, morte en 1997 et déjà béatifiée en 2003, est en passe de le battre !
Or, quelles différences entre ces saints et les stars ? Les premiers ne remplissent-ils pas dans la société ecclésiastique une fonction comparable à celles des secondes dans la société contemporaine dite de l’information ? L’utilisation des stars aujourd’hui est une imitation qui ressemble beaucoup à cette stratégie ecclésiastique d’influence originale, mais pour promouvoir, cette fois, un produit, une personne ou une idée.
Le leurre de l’argument d’autorité associé au réflexe d’identification
Hissés sur les autels d’un côté ou les tribunes des médias de masse de l’autre, saint et star sont employés pour déclencher le réflexe de soumission aveugle que toute autorité exige. Seulement ce n’est pas par la contrainte ordinaire qu’est attendue cette soumission, mais, en douceur, par la stimulation chez le fidèle ou le fan d’un autre réflexe, le réflexe infantile d’identification, sous l’empire d’un pouvoir de séduction : sidérés par le rayonnement dont le saint ou la star les éblouit, ils sont consumés du désir d’être au plus près de lui ou d’elle : l’imiter est pour eux une manière de s’approcher de l’objet de leur désir et de s’en croire l’intime.
Fidèle et fan sont emportés l’un et l’autre par la même pulsion, toucher de leurs mains leur idole ou sa représentation. C’est ainsi que, pour avoir été seulement effleuré des mains de millions de fidèles, a été érodé, comme s’il avait fondu, le pied de bronze de la statue de Saint-Pierre d’Arnolfo di Cambio, qu’il s’agisse de l’original dans la basilique Saint-Pierre de Rome ou qu’il s’agisse de sa copie dans l’Église Saint-Sulpice à Paris (Voir photo ci-dessous)
À défaut, fidèle et fan se disputent les objets qui ont pu appartenir à un saint ou à une star : ce sont des reliques sacrées dans les deux cas. Ici, ce peut-être seulement un confetti d’étoffe qui aurait touché le cadavre du saint ou seulement la châsse contenant ses os (Voir photo ci-dessous). Là, c’est l’empreinte dans la résine d’une main de Zidane qu’on achète ou sa petite culotte que Madonna sur scène fait miroiter et tournoyer avant de la lancer au-dessus d’une forêt de bras hérissés d’adorateurs (Voir photo ci-dessous). Dans cet état de réceptivité maximale, « le médium est le message », rejetant en périphérie de perception, chez le fidèle ou le fan, tout ce qui n’est pas le saint ou la star : ce qu’il ou elle recommande est accueilli avec enthousiasme et ferveur. Ils sont des prescripteurs idéaux.
Saint et star comme auxiliaires du leurre d’appel humanitaire
Un croyant jugera sacrilège ce rapprochement incongru qu’il qualifiera d’amalgame. La différence entre saint et star, objectera-t-il, réside dans les vertus promues du saint qui s’opposent aux vices ou du moins à la frivolité de la star. Sainte Jeanne Jugan est la fondatrice d’un ordre religieux, « les Petites Sœurs des Pauvres », dont la seule appellation résume le programme d’action. C’est exact. On rétorquera seulement que cette promotion d’un ordre caritatif, brandissant la pauvreté et l’assistance aux pauvres comme idéal, est une compensation amusante de la part d’un collège de prélats qui se prélassent dans un luxe inouï. Leur train de vie, depuis des siècles, ne cesse pas d’éblouir le monde. Et, dans un sens, c’est tant mieux ! Que seraient devenus tous ces artistes qui ont édifié et décoré les résidences et les temples de ces princes de l’Église, si ces derniers ne leur avaient pas passé commandes ? Que serait Rome aujourd’hui sans la munificence papale séculaire ? Quel appauvrissement du patrimoine culturel de l’humanité si ces prélats avaient fait vœu de pauvreté et s’y étaient tenus !
Mais c’est injuste envers les stars que de les cantonner dans leurs vices, fussent-ils seulement narcissisme ou fatuité. Elles ne servent pas seulement à vanter des produits de consommation courante. Nombre d’entre elles ont leurs bonnes œuvres. Elles font profiter de leur notoriété d’admirables campagnes humanitaires dont elles retirent d’ailleurs en retour une audience encore plus grande. Quelle est la star qui n’a pas son ouvroir, comme les dames patronnesses du 19ème siècle ? Bob Geldof a eu la famine en Éthiopie et Catherine Deneuve, l’Afrique verte dans les années 80, Bernard Kouchner et Patrick Bruel, les sacs de riz de Somalie, Lady Diana, les mines antipersonnelles, dans les années 90, et, depuis, Zidane, la lutte contre une grave maladie dont il peine à prononcer le nom quand il n’œuvre pas pour Ford, Dior, Leader Price ou Generali dont il assure le ridicule (1) (Voir photo ci-dessous).
Le leurre d’appel sexuel comme ligne de démarcation
Il reste, on l’admet volontiers, qu’entre saint et star, il existe une ligne de fracture jusqu’ici irréductible. Il n’est que de voir l’image diffusée de Sainte Jeanne Jugan à l’occasion de sa promotion. Une star capte le plus souvent l’attention par son apparence physique qui s’apparente à un leurre d’appel sexuel. Il suffit de rapprocher la nouvelle sainte d’Adriana Karembeu qui œuvre pour la Croix-Rouge (Voir photo ci-dessous) ! C’est peu de dire que cette sainte est étrangère à cette apparence. La raison en est simple. L’Église a fait du protocole érotique une perversion suprême appartenant à l’attirail des pompes de Satan. Il n’est d’usage sexuel que pour la procréation du peuple de Dieu, y compris en cas de viol d’une fillette de 9 ans, comme on l’a vu récemment au Brésil (2) .
La mise en scène du corps de Sainte Jeanne Jugan par le vêtement est la proclamation ostentatoire de cette mythologie implacable qui incarcère le corps féminin, l’enlaidit et l’asservit. Comment le supporter aujourd’hui ? Quelle différence entre le voile islamique, cet instrument d’asservissement de la femme, et cette tenue où n’est visible, pour l’usage des seuls yeux, nez et bouche, et même pas des oreilles, qu’un visage gainé de bandelettes et un corps prisonnier jusqu’au cou d’une cape austère qui en masque les formes ?
Qui peut donc s’identifier à pareil épouvantail, en dehors d’intégristes allumés ? Si la stratégie d’influence, par l’argument d’autorité du saint ou de la star, n’attire que les croyants déjà convaincus, ne manque-t-elle pas son objectif qui est de tenter de séduire au-delà du cercle étroit des fidèles et des fans ?
Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le but du tandem Zidane-Generali : le ridicule assuré ? », AGORAVOX, 28 février 2007.
(2) Paul Villach, « L’excommunication prononcée par l’archevêque brésilien et la communication trompeuse d’évêques français, pris en « fourchette » », AGORAVOX, 16 mars 2009.