Cette fois, en retirant sa candidature à la tête de l’ÉPAD, c’est au tour du fils, Jean Sarkozy, de leur retirer le tapis sur lequel ils se prosternaient depuis une quinzaine. Ils avaient pourtant fourbi leurs arguments pour justifier l’injustifiable, une nomination déguisée en élection pour placer à la tête de l’ÉPAD, un des quartiers d’affaires les plus importants d’Europe, un gamin de 23 ans, tout juste encore en 2ème année de droit, mais fils du président de la République.
I- L’ARGUMENTAIRE COURTISAN
Que n’ont-ils pas avancé pour tenter de nier l’évidence ? Leurs adversaires opposaient, en effet quatre objections imparables : 1- le nom et le népotisme, 2- l’âge et l’expérience, 3- le niveau d’études et les compétences, 4- enfin la légitimité. Foutaises ! répliquaient les courtisans. Ils s’étaient mis en quatre pour les rejeter faisant feu de tout bois au prix de leur propre dignité à coups d’amalgames, d’hypothèses autovalidantes, d’arguments d’autorité et de flagorneries.
1- Le Nom : l’ amalgame par insinuation
Le nom et l’accusation de népotisme ? La ministre de l’Économie, Mme Lagarde, était outrée : « (elle ne voulait) surtout pas faire obstacle à l’épanouissement de talents au bénéfice d’arguments (…) sur le nom d’une personne. ». M. Lefèbvre, porte-parole de l’UMP et M. Paillé, porte parole-adjoint, ne l’étaient pas moins : « (…) comme par hasard, s’est écrié le premier, comme Jean Sarkozy porte le même nom que le président de la République, on lui tombe dessus ». Quant au second, il a cité « Gilbert Mitterrand, le fils de François Mitterrand (qui) a été élu député de Gironde et Louis, le fils de Valéry Giscard d’Estaing, (qui) est aujourd’hui élu dans la circonscription que détenait son père ».
Outre que les abus des autres ne justifient pas les siens, il entrait dans la dénégation de l’influence du nom sur cette élection/nomination un amalgame habile tiré d’une insinuation par sous-entendu. Il est familier au président Sarkozy qui aime à répéter qu’en tant que président, il n’a pas plus de droits qu’un citoyen, mais qu’il n’en a pas moins ! À la proposition selon laquelle le nom de Sarkozy ne doit pas donner un avantage, était implicitement répondu que symétriquement il ne devait pas être non plus un handicap. Ainsi oser prétendre que le jeune homme était favorisé par son nom revenait par amalgame implicite à se voir reprocher de vouloir que son nom soit un obstacle. Joli tour de passe-passe ! Car est-ce le handicap ou le privilège qui est le plus à craindre quand on est fils du président de la République ?
2- L’âge : argument d’autorité et hypothèse autovalidante
Son âge de 23 ans et son inexpérience disqualifiaient-ils au moins le fils pour un poste de cette importance ? On veut rire ! La ministre de l’Économie, toujours elle, ne souhaitait pas pareillement, maniant la prétérition qui permet de dire ce qu’on prétend ne pas dire, « participer à une polémique qui ressemble un peu à une chasse au jeune et je ne voudrais surtout pas faire obstacle à l’épanouissement de talents au bénéfice d’arguments sur l’âge (…) ». Elle faisait allusion au proverbe cornélien tiré de « Le Cid » : « Mais aux âmes bien nées / La valeur n’attend pas le nombre des années ». C’est l’argument d’autorité. Seulement il est appliqué à Jean Sarkozy sans qu’il soit démontré qu’il soit une « âme bien née ». On reconnaît l’hypothèse autovalidante qui se présente comme une conclusion sans avoir été démontrée.
En jouant aussi du réflexe de l’âgisme, M. Devedjian a renchéri sur cet argument d’autorité : il est allé chercher une autre autorité inattendue, Georges Brassens (2 ) : « (…) il ne faut pas mépriser les gens sur le critère d’âge, a-t-il observé ; ce n’est pas parce qu’on a 23 ans qu’on est moins intelligent que les gens plus âgés, Brassens a déjà expliqué cela depuis longtemps. » « Le temps ne fait rien à l’affaire, chante-t-il en effet, quand on est con, on est con ! » Mais le moyen d’établir le diagnostic ? Faut-il se référer au principe de Lino dans « Les Tontons flingueurs » : « Les cons, ça ose tout ! C’est même à ça qu’on les reconnaît » ? Est-ce un critère qui s’applique ici ?
3- Le niveau d’études : amalgame, hypothèse autovalidante et farce
Le niveau d’études et ses compétences étaient-ils davantage rédhibitoires ? On plaisante ! M. Paillé, porte-parole adjoint de l’UMP, a demandé de ne pas confondre diplômes et talent en politique : « (la politique, a-t-il soutenu, est) sans doute le domaine dans lequel on reconnaît les talents indépendamment des règles habituelles que sont les diplômes ». Et de citer le bel exemple de René Monory, devenu ministre de l’Économie et même de l’Éducation nationale, avec pour tout diplôme « le certificat d’études ».
N’est-ce pas un nouvel amalgame qui confond règle et exception ? Et qu’est-ce qui prouve que Jean Sarkozy relève de l’exception comme René Monory ? Nouvelle hypothèse autovalidante ! Emporté par son élan déraisonnable, M. Paillé n’a d’ailleurs pas su freiner à temps et a versé dans le décor de la farce, appliquant de façon burlesque une règle fort peu appropriée à M. Jean Sarkozy : « La vie politique, a-t-il rappelé, est peuplée de gens qui sont arrivés très jeunes, très tôt sans véritablement être super diplômés et c’est une chance parce que cela permet l’ascenseur social » ! M. Jean Sarkozy en attente de l’ascenseur social, vraiment ?
4- La légitimité électorale : un amalgame
La légitimité de la candidature de Jean Sarkozy ne faisait enfin aucun doute. C’était l’argument de M. X. Bertrand, secrétaire général de l’UMP, et surtout de M. Lefèbvre qui voyait même « une triple légitimité » pour présider l’ÉPAD : M. Sarkozy était conseiller général, tirant ainsi sa première légitimité des élections ; ensuite il était président du groupe UMP au conseil général des Hauts-de-Seine ; et enfin, il avait été choisi par ce groupe pour être candidat à la présidence de l’ÉPAD.
On relève un nouvel amalgame. Car c’est oublier que la légitimité électorale peut être amoindrie par l’emprise partisane ou clientéliste dans certaines circonscriptions : on y vote pas pour une personne mais pour son appartenance partisane ou clientéliste. Le nom de Sarkozy à Neuilly est un sésame. M. Arnaud Montebourg a balayé l’argument, sur Canal +, le 18 octobre, d’une image comique à la hauteur de la farce qui se jouait : « Une chèvre pourrait être élue à Neuilly avec l’investiture UMP. »
5- La flagornerie sans limite
Mais la palme de la flagornerie revient au vice-président UMP du conseil général des Hauts-de-Seine, M. Thierry Solère, qui a rejeté en vrac toutes ces objections d’un revers de main par l’argument d’autorité de l’hérédité qui avait cours sous la monarchie : « Jean est le fils d’un génie politique, il n’est pas étonnant qu’il soit précoce (sic !) » (13 octobre 2009). Tel père, tel fils, dit, en effet, le proverbe ! Peu importe que, cette fois, les lois de la génétique soient ignorées ! Elles sont, en effet, capricieuses en redistribuant les gênes au hasard, sinon il y a longtemps qu’on aurait parqué les Prix Nobel dans des haras, comme étalons reproducteurs ! Inversement – et c’est un bonheur pour eux ! – le crétinisme de celui qui soutient pareille ânerie ne peut être imputé à ses parents !
II- L’ANNONCE PAR JEAN SARKOZY DU RETRAIT DE SA CANDIDATURE
Des allégations sans preuve
Sur France 2, vendredi 23 octobre, l’intéressé, Jean Sarkozy, a-t-il au moins présenté des arguments plus convaincants pour annoncer son retrait de candidature ? Qu’on en juge !
- Il a parlé d’ « une campagne de désinformation orchestrée de manière professionnelle ». Qu’a-t-il donc été dit d’inexact sur son nom, son âge, ses diplômes et sa légitimité ? Il peut se plaindre, en revanche, des extravagances de ses courtisans.
- Le népotisme ? « Il y a eu beaucoup d’excès, s’est-il plaint, beaucoup de caricatures, beaucoup d’outrances et puis du vrai aussi. » Qui vise-t-il ? On reconnaît encore plus ses courtisans que ses détracteurs. Le malheureux, à court d’arguments, reste dans le vague et vise à jeter le doute par la confusion intellectuelle.
Un retrait contraint déguisé en décision libre
Toute son intervention, en fait, a visé à faire croire qu’il prenait une décision en toute liberté et qu’il ne se résignait pas à un retrait de candidature, contraint et forcé sous le scandale qui faisait rire le monde entier. Quel argument a-t-il avancé ? : « [...] Je ne veux pas d’une victoire qui porte le poids d’un tel soupçon [...] de favoritisme, de passe-droit ». Voilà qui l’honore ! Mais c’est un peu tard ! Que n’a-t-il eu le soupçon de ce possible soupçon avant le mouvement de protestation que sa candidature a déclenché ? Sa noble raison justifie moins désormais une décision prétendue libre qu’elle ne valide une retraite précipitée non voulue en rase campagne. Il a fallu cette bronca nationale pour qu’il en prenne conscience !
Quant au rôle joué par le président de la République dans son retrait, c’est le dernier mot de la farce : « Est-ce que j’en ai parlé avec le président de la République ? demande-t-il. Non. Avec mon père ? Oui. [...] C’est une décision que j’ai prise seul, que j’assume seul. » Cette dichotomie de l’être, si tant est qu’elle existe chez le président, relèverait du domaine de la psychopathologie. On se gardera bien de s’y aventurer. On ne frappe pas un jeune homme à terre. Inutile de s’apesantir non plus sur d’autres allégations assénées comme des lois générales. Un mot seulement sur l’une d’elles : « On ne fait jamais une erreur, a dit ce jeune homme dans la fougue de son immaturité, quand on est candidat à une élection ». Hélas, si ! On en commet une quand on n’a pas les qualités requises !
Mais les courtisans ont crié cette fois à la sagesse, à la maturité ! Forcément, pour eux, le monde est simple : les princes ont toujours raison. Quelle bassesse !
Comment des hommes et des femmes sensés peuvent-ils à ce point perdre le sens des réalités comme celui des mots ? On dit, depuis Lord Acton, que « le pouvoir corrompt et le pouvoir corrompt absolument ». On vient d’en voir les effets jusques et y compris sur le bon sens dont Descartes, en ouverture du « Discours de la méthode » disait qu’il était « la chose du monde la mieux partagée ». C’est à croire que les courtisans ont été oubliés dans le partage. Paul Villach
(1) Paul Villach, « Le Figaro », le Président Sarkozy tourne en ridicule ses propres courtisans », AGORAVOX, 16 octobre 2009.
(2)
G. Brassens, chanson «
Le temps ne fait rien à l’affaire » («
Quand on est con, on est con/ Qu’on ait vingt ans, qu’on soit grand-père, / Quand on est con, on est con/ Entre vous plus de controverses / Cons caducs ou cons débutants / Petits cons d d’la dernière averse / Vieux cons des neiges d’antan (bis) »)