Sanctions contre le Venezuela : les Etats-Unis en plein paradoxe
Dimanche 20 mai, le Venezuela reconduisait à sa tête Nicolas Maduro. Réélu pour sept ans avec 67,7 % des suffrages, le successeur d’Hugo Chavez jouit, auprès de ses compatriotes, d’une popularité inversement proportionnelle à celle dont il bénéficie sur le plan international.
A l’annonce des résultats, les chancelleries des quatre coins du monde n’ont pas tardé à manifester leur désapprobation. Les États-Unis, surtout, menacent de frapper le pays de nouvelles sanctions. Une réaction d’orgueil dont l’effet pourrait bien être, paradoxalement, de renforcer le régime Maduro, et son indépendance vis-à-vis de Washington.
L’Amérique latine, “arrière-cour” des Etats-Unis ?
Début mars, Rex Tillerson se lance dans une grande tournée latino-américaine. L’homme n’est pas chanteur à succès mais, à l’époque, encore secrétaire d’État américain pour quelques semaines. Sa mission, en parcourant notamment le Pérou, l’Argentine, le Mexique et la Colombie : reprendre la main sur le sous-continent, encore échaudé par les déclarations de Donald Trump qualifiant de “shithole countries” tous les pays situés, en gros, sous le 30e parallèle Nord, et par l’obstination du nouvel homme fort de Washington à vouloir construire un mur entre son pays et le Mexique.
La liste des pays visités par Rex Tillerson ne doit rien au hasard. Libéraux, la plupart font partie du groupe de Lima, fédéré autour d’un objectif commun : soutenir l’opposition au Venezuela, c’est à dire, en d’autres termes, précipiter le départ du président Maduro. Les Etats-Unis entendent bien être le pivot autour duquel s’articulera ce groupe. Rex Tillerson ne cache d’ailleurs pas cette ambition impérialiste, puisqu’il profite d’un discours à Mexico pour invoquer la doctrine Monroe, la jugeant “aussi pertinente aujourd’hui que le jour où elle a été formulée”.
Ce jour, c’est le 2 décembre 1823. Le président James Monroe prononce devant le congrès un discours qui fera date : il orientera la politique étrangère des États-Unis pendant un siècle. Condamnant l’ingérence de l’Europe en Amérique latine, les États-Unis se réservent une influence presque exclusive sur le sous-continent. Si cette influence s’est émoussée durant le XXe siècle, le vieil atavisme américain a ces dernières années refait surface, Washington considérant de nouveau l’Amérique latine comme son arrière-cour. Et acceptant mal qu’on lui tienne tête.
Est-ce en prévision de l’échec annoncé de l’objectif que s’est fixé le groupe de Lima que Rex Tillerson a été remercié de ses fonctions en mars 2018, un mois après sa tournée sud-américaine ? Difficile à dire. Le plébiscite dont Maduro a fait l’objet ce 20 mai confirme en tout cas que Caracas n’a pas l’intention de céder aux pressions visant à influencer sa politique intérieure. Une situation que la Maison Blanche digère mal.
Catastrophe humanitaire
Le désamour de Washington pour Caracas ne date pas d’hier. Depuis l’élection d’Hugo Chavez, en 1998, les Etats-Unis n’ont eu de cesse d’accentuer la pression sur le Venezuela, pays sorti, avec la mise en place de la “Révolution bolivarienne”, de leur sphère d’influence. A l’approche de l’élection présidentielle, ces sanctions se sont alourdies, l’administration Trump cherchant à affaiblir le pays dans la perspective de la victoire de Maduro, comme pour le punir par anticipation de ne pas saisir l’occasion de se rapprocher d’elle.
Le 25 août dernier, le locataire de la Maison Blanche signait ainsi un décret visant à restreindre l’accès du régime aux capitaux étrangers, dont il a cruellement besoin. Pour justifier cette décision, Trump affirmait ne pas vouloir assister à “l’effondrement” du Venezuela sans réagir. Très bien, mais, dans ce cas, pourquoi contribuer à cet effondrement, en frappant directement Caracas au portefeuille ?
On a beaucoup écrit sur l'hypocrisie des sanctions, qui prétendent toucher les dignitaires d’un régime mais, dans les faits, affectent en premier lieu la population. Le Venezuela n’échappe pas à la règle. 95 % des revenus d’exportation du pays proviennent du pétrole vendu par PDVSA, compagnie dont l’Etat est propriétaire. Empêcher le gouvernement d’avoir accès à ces dollars c’est, mécaniquement, lui bloquer le financement des importations de nourriture et de médicaments. Et exposer les Vénézuéliens à une crise d’envergure. Une aberration humanitaire, mais pas seulement.
Contre-productif
Les sanctions sur le pays pourraient aussi avoir pour effet d’inciter le régime de Maduro à se tourner vers d’autres partenaires. En procédant ainsi, les États-Unis encouragent en effet le Venezuela à resserrer ses liens déjà étroits avec la Russie et, surtout, avec la Chine, qui n’est autre que son plus important créancier, Pékin ayant accordé plus de 60 milliards de dollars de prêts à Caracas au cours de la dernière décennie. Washington ne s’y prendrait pas autrement si elle voulait que le Venezuela sorte durablement de son giron…
Enfin, et peut être surtout, ces sanctions devraient conforter la mainmise de Maduro sur le pays. Professeur à Science Po’, Bertrand Badie analyse pour Le Monde la portée de cet outil diplomatique appliqué à des pays en difficulté : “Dans un contexte de pauvreté, allié en plus à l'autoritarisme, la sanction est aisément récupérée par le gouvernement visé, qui dénonce les acteurs répressifs comme des sources illégitimes du malheur de leur peuple.” Autrement dit, Maduro a tout intérêt à jouer sur la corde nationaliste de ses compatriotes, en désignant un ennemi commun, et en leur demandant de faire front contre lui. Son score à la présidentielle semble confirmer l’efficacité de cette stratégie – même s’il convient, bien entendu, de ne pas oublier la forte abstention.
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