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Accueil du site > Tribune Libre > Sans inconscient, pas d’entreprise efficace

Sans inconscient, pas d’entreprise efficace

Diriger, ce n’est pas chercher à faire disparaître les inconscients, ni à tout rationaliser et simplifier : sans inconscients, l’entreprise ne peut pas être efficace. Penser que tout peut être rationalisé, c’est nier le réel et donc être soi-même irrationnel.

Étrange monde que le nôtre tel qu’il ressort des dernières découvertes des neurosciences : un individu efficace est d’abord un individu qui sait tirer parti de ses processus inconscients !
Surprenant ? Pas tant que cela si on réfléchit (consciemment !) un peu…

D’abord, l’essentiel de notre corps est piloté inconsciemment
Certes, c’est moi qui décide de déplacer mon bras ou me mettre à courir, mais pour la mise en œuvre de cette décision et la gestion de toutes les conséquences, je – en tant que personne consciente – n’y suis plus pour grand-chose ! Essayez donc consciemment d’envoyer l’impulsion électrique qui va contracter le muscle, d’accélérer votre cœur ou votre respiration ou de vous faire transpirer pour réguler la température…
Oui mais cela, c’est de l’intendance. Pour le reste, je – toujours en tant que personne consciente – suis aux commandes. Est-ce si sûr ?
Imaginons que, alors que je suis en train de courir le long de la Seine, je me mette à penser à cette mission compliquée que je mène actuellement, puis à la musique que diffuse mon iPod et enfin à ce bateau qui passe sur la Seine. Dans le même temps, je continue bien à courir sans y penser, et ce n’est pas si simple de courir le long de la Seine : le sol est composé de pavés et est inégal, l’eau toujours à proximité... Décidément, mes processus inconscients sont capables de gérer du complexe !
Maintenant compliquons un peu plus cette course avec l’arrivée brutale d’un chien qui court vers moi. Automatiquement, je modifie ma trajectoire pour l’éviter et un sentiment de peur irrationnelle s’empare de moi : flash brutal du souvenir de cet accident survenu dans ma petite enfance lorsqu’un chien m’avait agressé et que, sans l’intervention de mon père, ma vie aurait pu être en danger. Mais non, ce chien n’est pas dangereux : ce n’est pas vers moi qu’il court, mais vers cet enfant que je viens de dépasser. Tout ceci ne s’est passé qu’en une seconde : éviter inconsciemment le chien, identifier vers quoi il courait, conclure qu’il n’y avait aucun danger.
Que s’est-il passé ? Il y a eu d’abord deux processus inconscients qui se sont déroulés en parallèle :

- un processus ultra-rapide qui, sans identifier de quoi il s’agissait, a calculé la trajectoire, et a déclenché automatiquement un évitement ;

- un processus rapide qui a identifié que c’était un chien, rappelé toutes les informations pertinentes mises en mémoire et notamment le souvenir venant de mon enfance, et alerté ma conscience.
Ensuite j’ai traité consciemment le problème et me suis rendu compte que mon souvenir me trompait et que ce chien-là n’était pas dangereux. J’ai donc modifié l’interprétation initiale et bâti une nouvelle conforme à la réalité.
Voilà donc que, pour garantir ma survie, mes processus inconscients sont capables de « prendre des décisions » – modifier ma trajectoire –, traiter de l’information – construire une synthèse des informations relatives à une situation – et déclencher une alerte pour « m’obliger » à traiter consciemment la menace…

Sans inconscients, pas de survie ? Eh oui… mais pas d’intuition, non plus…
Retournons un moment le long de la Seine pendant ma course. Donc je pense à la mission que je mène actuellement et fais le tour rapidement de toutes les données en ma possession, des contraintes identifiées, des questions en suspens, des objectifs connus. Aucune solution n’émerge directement de cette analyse. J’ai la sensation de regarder ce problème, de tourner autour, d’essayer de dessiner des chemins possibles. Je cours après une idée, comme je cours le long des quais. Recherche de l’intuition. Puis, je pense à autre chose, et, notamment à ce chien qui surgit… Quarante-cinq minutes plus tard, ma course est sur le point de se terminer quand je repense à ma mission. Tiens, le sujet s’est comme décanté de lui-même : de premiers axes de solution s’imposent spontanément à moi. Reste à les creuser, les documenter, les hiérarchiser… Bizarre.
Que s’est-il passé ? J’ai d’abord posé consciemment le problème et constaté qu’aucune solution ne s’imposait, puis j’ai pensé à autre chose. Quand je dis « penser à autre chose », cela veut dire que mon système conscient s’est focalisé sur un autre sujet. Pendant ce temps, j’ai continué à réfléchir inconsciemment au problème posé : mon inconscient a été capable de travailler en parallèle sur l’ensemble des données réunies et de rechercher un grand nombre de solutions possibles. Cette recherche s’est passée sans que je m’en rende compte. Quand elle a abouti à l’identification de plusieurs axes envisageables, ces axes ont été proposés à ma conscience afin que je les analyse.
Gestion de mon corps, surveillance et alerte, analyse des problèmes… Vraiment, mon inconscient n’est pas stupide !

Mais c’est moi en tant que personne consciente qui décide. Bien sûr… quoique…
Remontons un peu avant la course. Imaginons que c’est un dimanche matin, je viens de me réveiller et n’ai rien de prévu : juste une journée vide devant moi. Le champ des possibles est vaste, et presque infini. Si je dois examiner toutes les options possibles, je vais être incapable de décider : la journée sera terminée avant que j’ai fini l’analyse. Ce n’est pas ce qui va se passer : l’idée d’aller courir va venir d’elle-même. Que veut dire « d’elle-même » ? Simplement que, là encore, un choix inconscient est établi et proposé. Ce choix est construit à partir de mon expérience passée, du souvenir des situations positives et négatives vécues, et de la situation présente. Lorsque cette proposition d’aller courir émerge, je peux bien sûr la refuser. Mais mon système inconscient a bien travaillé, sa proposition me plaît et je vais courir.
Mais alors à quoi sert ma conscience ? A innover, à faire face à des situations nouvelles, à anticiper.
Comment ? En ayant accès à la fois aux informations présentes – ce que je vis actuellement – et passées – ce que j’ai vécu, entendu ou pensé. En construisant des situations virtuelles, des concepts, c’est-à-dire des scénarios potentiels d’action. En les analysant et les hiérarchisant. En mettant en œuvre celui qu’elle a retenu.
La conscience a une grande force : elle n’est pas prisonnière de ses habitudes ; elle a une grande faiblesse : elle ne peut se centrer que sur un seul sujet à la fois. L’inconscient a une grande force : il peut traiter rapidement en parallèle un grand nombre de sujets ; il a une grande faiblesse : il ne peut que reproduire ce qu’il a déjà fait ou ce que l’on lui demande.
Finalement, conscient et inconscient sont inséparables et sont un peu le yin et yang de notre système vital.
Alors qu’est-ce qu’un individu « efficace » ? C’est un individu qui a compris que l’essentiel de son fonctionnement était inconscient, largement piloté par des émotions et construit sur des interprétations :

- il concentre son système conscient sur les situations nouvelles et laisse les systèmes inconscients piloter au maximum les processus acquis et assurer la veille et l’alerte ;

- il sait que son moteur émotionnel programmé dans ses gènes et enrichi par son expérience viendra alerter sa conscience quand cela sera nécessaire ;

- il s’assure que le réel vient bien nourrir dynamiquement toutes ses interprétations conscientes.

Et l’entreprise…
Reprenons rapidement les différents items.
Le pilotage. Comme pour un individu, une Direction générale peut certes décider de « se saisir de quelque chose » ou « se mettre à courir », mais ce n’est pas elle qui va réaliser l’action et la plupart des gestes précis à accomplir et toutes leurs conséquences lui resteront inconnues. Et ce d’autant plus que la taille sera grande.
La surveillance et les alertes. Que peut faire le management si l’entreprise n’est pas par elle-même en éveil ? Comment sera-t-il prévenu d’une initiative d’un concurrent, d’une évolution d’un marché ? Comment pourra être évité un obstacle si des réflexes de survie rapides n’interviennent pas ?
L’innovation et l’intuition. Plus l’entreprise est vaste, ses marchés nombreux et différents, ses produits ou services sophistiqués, moins la solution pourra venir de la « tête », même la mieux faite du monde. Si la Direction générale n’est jamais « surprise » par de nouvelles idées venant de son entreprise, elle risque de se voir surprendre par la concurrence !
La prise de décisions. A nouveau, le champ des possibles est presque infini. Comment imaginer que la Direction puisse décider sans un pré-tri effectué par les processus de l’entreprise ? Et ce sans son intervention, car sinon cela reviendrait à dire que la Direction examine tout. Et là c’est la mort par embolie cérébrale…

Donc l’entreprise efficace est bien, comme l’individu, une entreprise qui sait tirer parti de ses processus inconscients
D’où l’importance de la confrontation en interne comme en externe, car elle :

- assure l’ajustement entre tous les conscients/inconscients qui constituent l’entreprise : sans confrontation, l’entreprise ne pourra que constater ses dysfonctionnements et ne sera pas optimisée ;

- ne fait remonter vers le niveau supérieur que les alertes nécessaires et avec les informations qui permettent effectivement de les traiter : sans confrontation, la résolution des problèmes est aléatoire et la solution incertaine ;

- maintient vivant le « moteur émotionnel » de l’entreprise : sans confrontation, en absence de codage génétique de la survie, l’entreprise peut se couper du réel et mettre en péril sa pérennité.

Or, comme la confrontation n’est pas naturelle, comme nous allons spontanément vers l’évitement ou le conflit, c’est une des responsabilités majeures du management de développer cette culture.

Diriger, ce n’est pas chercher à faire disparaître les inconscients, ni à tout rationaliser et simplifier  : sans inconscients, l’entreprise ne peut pas être efficace. Penser que tout peut être rationalisé, c’est nier le réel et donc être soi-même irrationnel.
Diriger, c’est se servir de la complexité pour accroître l’efficacité, pour aider l’entreprise à survivre en se développant mieux et plus vite.
Diriger, c’est apprendre à « neuromanager » en tirant parti des inconscients de l’entreprise.


(voir aussi mon blog http://robertbranche.blogspot.com).

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9 réactions à cet article    


  • Vilain petit canard Vilain petit canard 26 septembre 2008 14:05

    Article sympa, qui serait même assez stimulant si les gens dans les entreprises s’entendaient aussi bien et avaient autant de connexions entre eelles que les neurones, ce qui n’est pas le cas. 


    • Robert Branche Robert Branche 26 septembre 2008 14:35

      Merci pour votre commentaire. C’est effectivement l’objectif de ma démarche : arriver à promouvoir cette approche.
      Si vous voulez en savoir plus aller voir mon site : http://robertbranche.blogspot.com/ et n’hésitez à me faire part de toutes vos réactions.


    • Vilain petit canard Vilain petit canard 29 septembre 2008 09:28

      J’irai faire un tour chez vous, juré. smiley


    • Allonneau Patrick allonneau 26 septembre 2008 16:15

      De quel inconscient parlez-vous : moteur ? (mémoire procédurale des apprentissages automatisés), cognitif ? (mémoires, perception, représentation) ou freudien ? . Votre niveau d’analyse est-il métaphorique (du corps), ou isomorphique (identité entre biologique et psychique ?). Vos niveaux d’analyse ne sont pas clairement définis d’où une certaine confusion entre le biologique, le neurologique le psychologique, le psychique et le socio-organisationnel. Ces niveaux sont épistémologiquement hétérogènes et ne peuvent pas être confondus sinon ils ne sont pas heuristiques. Ceci dit je partage votre démarche de prise en compte de la dimension psychique dans le management.


      • Robert Branche Robert Branche 26 septembre 2008 19:00

        Merci de votre commentaire qui va me permettre de préciser mon propos.
        1. Tout d’abord, je prend là le mot inconscient dans le sens développé notamment par Lionel Naccache dans "Le Nouvel Inconscient" (Naccache est un neurobiologiste français et son livre est un des plus interessants à lire sur ces sujets ...), à savoir simplement tout ce qui n’est pas piloté de façon consciente et volontaire. 
        2. J’utilise dans mon propos, tout ce qui est issu des neurosciences - et singulièrement l’inconscient - comme une clé pour revisiter le management, donc le niveau socio-organisationnel (même si parfois sur certaines parties de mon livre, je parle ponctuellement des niveaux individuels et donc dans ce cas psychologique). Mon imprécsion vient du raccourci dû à la longueur du commentaire : pas facile de résumer sans se trahir !
        Si vous en avez le temps, allez voir mon blog : vous y trouverez plus d’informations sur ma démarche. Et alors faites moi part de vos remarques : je suis à la recherche de toute remarque ou critique, car c’est la seule façon de progresser !


      • Kalki Kalki 26 septembre 2008 22:14

        Vous utilisez un certain nombre de sophisme ...

        Sinon je suis d’accord pour ce qui concerne l’intuition.

        J’irais meme plus loin, sans cette part d’intuition, cette part de décision inconsciente ...
        l’humanité serait équivalente a la machine.

        ( La décision inconscience, Est ce tout a fait irrationnelle ? Le cerveau enregistre des informations ’subtile’ inconsciente et prend une décision inconsciente. Pour certain cette décision inconsciente s’arrette au apparences, par exemple votre future histoire d’amour est fixée au premier regard, dans les premieres milliseconde, le jugement tombe).

        Il ne devient pas impensable pour certain de laisser les décisions aux ordinateurs, à l’intelligence logique/ ( que vous appellez rationnel) ...

        Cela serait le déclin du genre humain, et pour ca il faudrait se battre contre.

        Qui serait le dominant ou le dominé, si c’est la machine qui décide et non l’humain ?


        • Robert Branche Robert Branche 27 septembre 2008 09:04

          Vous avez tout à fait raison, c’est bien mon propos : sans inconscient, l’homme (ou la femme !) ne peut pas être efficace ; sans inconscient, notre système conscient n’aurait pas de temps disponible pour gérer l’imprévu ; sans inconscient, pas d’humanité !
          En fait nier l’inconscient c’est être irrationnel : le processus de décision mélange inconscient et conscient n’est pas irrationnel, au sens qu’il repose sur notre histoire, nos projets et notre vécu instantané. Ce n’est pas parce que je ne suis pas conscient que je suis irrationnel.
          Effectivement la force de l’homme face à la machine est la complexité des processus du cerveau et l’intrication entre conscient et inconscient.

          Mon propos est de se servir de tout ceci pour "repenser" le management des systèmes et montrer que les systèmes complexes (grandes entreprises, état..) reposent eux aussi sur cette intrication entre conscient et inconscient, une sorte de yin et de yang de la vie...


        • Allonneau Patrick allonneau 27 septembre 2008 15:15

          Je comprends votre pragmatisme toutefois la portée de votre démonstration ne gagnera pas à une démarche de confusion conceptuelle, de transposition de connaissances valables dans un domaine et non dans un autre avec le risque de tomber dans un éclectisme fourre-tout (attention à l’importation de concepts). J’ai pris connaissance de votre "neuro-management" et je n’ai pas trouvé de réponse à mon questionnement quant à la rigueur et à la précision des niveaux d’analyses. A votre biliographie citéé sur votre blog je vous conseille d’ajouter Dejours, Etchégoyen, de Gaulégac, Jannerod, Enriquez. Je pense aussi à "l’entreprise sur le divan" de Sicard et Maisonnoeuvre.


          • Robert Branche Robert Branche 27 septembre 2008 15:51

            Tout d’abord je ne cherche pas à faire une démonstration, mais plutôt à ouvrir un nouveau champ de réflexion ou au moins à compléter l’existant : je suis un praticien de l’entreprise, ai par mon métier eu accès à bon nombre d’approche de l’entreprise et je pense qu’il manque cette approche des processus inconscients, au sens de non conscients.
            Vous avez raison quant au risque de l’eclectisme fourre-tout : j’espère ne pas être tombé dedans (du moins j’ai essayé). Reste à voir avec la lecture de mon livre...
            Merci pour les propositions de compéments bibliographiques

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