Sarkozy contre... Sarkozy
Le 21 avril, le peuple français s’est exprimé. Pleinement et clairement. La France est de droite, gueule de bois ou ivresse de la victoire, c’est une évidence. Dans une campagne où la diabolisation du candidat UMP a été inversement proportionnelle à l’argumentation développée par ses adversaires, Nicolas Sarkozy se place tout en haut de la fourchette que les sondages lui accordaient et loin devant ses poursuivants.
Au soir du scrutin, les adversaires de Nicolas Sarkozy paraissaient aussi ouvertement vindicatifs que manifestement dépités. Au PS, passé le premier mouvement de soulagement, on s’est assez vite aperçu que la cause était entendue. Sarkozy a rapidement délivré son message, reçu fort et clair par ses supporters comme par ses adversaires. Le Parti socialiste a mis du temps avant de pondre le sien. C’était plus délicat, plus laborieux. Bayrou a dit merci et pas beaucoup plus.
A la télé, Sarkozy a envoyé la garde royale. Pas un membre de la famille n’a manqué au poste. En face, les ténors du PS ont timidement pointé leur nez ainsi que quelques soutiers de l’UDF inconnus du grand public. Ils ont bafouillé leur joie. Certains ont appelé un front « Anti -Sarko » élargi à voter pour Mme Royal au second tour. Mais comment cette manœuvre qui n’a pas fonctionné au premier tour réussirait-elle au second ? D’autres ont fait remarquer que 69% des Français n’avaient pas voté pour Sarkozy. De mémoire d’élections, je n’avais jamais entendu un argument aussi pathétique. Ils hésitaient visiblement entre jouer le jeu de Ségolène Royal pour le second tour ou le leur pour l’après 6 mai.
Car les éléphants du PS ne pardonneront rien à leur cornac. Ni d’être une femme dans un milieu d’hommes, pas plus d’avoir resquillé son investiture, encore moins d’avoir pris, pendant la campagne, ses distances avec l’orthodoxie du discours socialiste et l’appareil du parti. Bientôt on ne verra plus que des seconds couteaux et autres revenants du PS pour soutenir sincèrement Mme Royal et l’aider à négocier une sortie « honorable ».
Bayrou, lui, a perdu. Sa défaite est plus qu’honorable mais c’est une défaite. A présent, il est bloqué, pris au piège du ni-ni dans un second tour droite-gauche où il ne peut donner d’autre consigne... qu’un rendez vous pour les législatives. Fort de ses 19%, il garde l’illusion de pouvoir construire son nouveau parti, la sociale (mais pas trop faute de soutien à gauche) démocratie. Si on y regarde de plus près, il a tout perdu.
D’une part son parti, l’UDF, a explosé. Certains leaders d’opinion avaient rejoint Nicolas Sarkozy bien avant le 21 avril (Robien, Santini, Veil, Giscard), les autres députés UDF (très discrets pendant la campagne, y compris au soir du 21 avril) rejoindront en nombre le leader de l’UMP, ne serait-ce que pour conserver leur siège.
D’autre part, ses électeurs le fuiront tout simplement parce qu’il ne fait plus partie des bulletins qu’on pourra glisser dans l’urne le 6 mai 2007.
Saura-t-il reconstituer un troupeau à temps pour les législatives ? Rien n’est moins sûr. Quel ténor de la gauche modérée tel Dominique Strauss-Kahn lâcherait aujourd’hui le PS pour le nouveau parti alternatif du perdant François Bayrou ? Aucun.
Dans la marine, on dit qu’il ne faut jamais lâcher la main droite avant d’assurer une prise sûre de la main gauche (le contraire est également valable)... Bayrou l’a fait. Il a lâché la proie UMP pour l’ombre centriste. Le parti fort pour le parti faible. Calcul courageux, déjà tenté avant lui par la social-démocratie italienne et tout aussi perdant.
Ne nous y trompons pas, ce n’est pas Bayrou lui-même que la droite et la gauche courtisent. A-t-on courtisé Jospin en 2002 ou après ? Les cibles sont les députés UDF et les voix centristes pour la droite, les seules voix pour la gauche. Cela fait une énorme différence. Demandez aux Fabius, Mélanchon, Besancenot et autres Buffet ce qu’ils en pensent de Bayrou et de son idée d’allier le centre et la gauche modérée.
Stendhal, parlant de M. de Croisenois, écrivait : "Il ne sera toute sa vie qu’un duc à demi ultra, à demi libéral, un être indécis parlant quand il faut agir, toujours éloigné des extrêmes, et par conséquent se trouvant le second partout". Bayrou, lui, est troisième. Il dira beaucoup de phrases pendant quinze jours... De moins en moins ensuite... A peine quelques bribes en juillet... Et plus rien ensuite pendant cinq ans. Dans un système bipolaire, le Parti socialiste ne lui laissera certainement pas le loisir d’incarner l’opposition en cas de victoire de la droite. Et Sarkozy pas plus, au cas où la gauche l’emporterait.
Avec près de 19% des voix exprimées et 85% de participation, il représente une force significative et crée un nouveau centre de gravité de l’électorat centriste. La gauche sera bien obligée de prendre en compte ces réalités. Elle peut le faire avec l’homme François Bayrou ou plus vraisemblablement avec ses seules idées, comme Sarkozy l’a fait avec celles de Le Pen. Si le chemin politique de François Bayrou n’est pas barré à vie, il sera certainement plus pénible.
Nicolas Sarkozy peut savourer. Dans un rôle de favori, il a su confirmer. Il dispose de tous les soutiens nécessaires pour le second tour. La liste est aussi impressionnante qu’hétéroclite. De Jacques Chirac lui-même à Bernard Tapie, en passant par tous les ténors de l’UMP et de l’UDF qu’il serait trop long de nommer ici, jusqu’à Dominique de Villepin et l’icône Simone Veil sortie de sa réserve au soir du premier tour pour massacrer son ancien directeur de campagne François Bayrou en deux phrases assassines. La force de Nicolas Sarkozy aura été de construire une telle machine de guerre et de la ranger derrière lui comme un seul homme ou presque. Force est de constater que les Hollande, Lang, Guigou, Drey, Montebourg, Begag et Dupont-Aignan pèsent assez peu en face.
Une élection n’est certes jamais jouée d’avance. Le débat d’idées qui n’a pas eu lieu avant le 21 avril émergera peut-être entre les deux tours. Souhaitons-le ! Le front « anti-Sarko » est toujours fort, majoritaire en paroles à défaut de l’être en voix. Mais ce que d’aucuns présentent déjà comme un référendum pour ou contre Sarkozy est en soi un aveu d’impuissance. Et ne laisse au fond qu’un seul candidat en lice pour un second tour Sarkozy contre... Sarkozy.
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