Sarkozy : du pouvoir d’achat au devoir d’achat
Sarkozy devait être le président du pouvoir d’achat. Il devait nous faire aimer le travail, ce qui allait créer un cercle vertueux de création de richesse. Las … de désillusions en crises financières à rebondissements, nous sommes passés du volontarisme à l’incantation pour finalement aboutir à une désillusion féroce. Que va devoir imaginer notre président pour relancer la consommation ?
1 – Et d’abord, pourquoi relancer la consommation ?
Les différents encarts fournis avec la déclaration d’impôts, et notamment celui sur le budget 2010, sont passionnants. On y apprend notamment la répartition des recettes fiscales, et notamment la part de la TVA. Ainsi, 126,5 Milliards d’€uros viennent de la TVA sur 270,5 Milliards d’€uros de recette fiscales, soit un peu moins de 50%.
On sait que chaque impôt a un effet pervers, mais celui-là est particulièrement injuste pour les ménages aux revenus les plus faibles. En effet, plus un ménage a des revenus faibles, plus sa part d’épargne est faible, et de facto, proportionnellement à son revenu, il va acquitter plus de TVA qu’un ménage à revenus élevés.
Au-delà de cette arithmétique économique de base, on comprend bien l’intérêt de l’état à « pousser » la consommation pour à la fois remplir les caisses de l’état, mais aussi pour entraîner la machine économique.
Reprenons la conclusion du discours de Mme Christine Lagarde, ministre de l’économie, prononcé le 10 Juillet 2009 à l’assemblée nationale « Travaillez plus, et vous multiplierez l’emploi. Dépensez plus, et vous participerez à la croissance. Gagnez plus, et vous augmenterez le pouvoir d’achat !”.
Comme tout cela est magique !
Car c’est bien d’une baguette magique dont les millions de chômeurs, sans compter les emplois partiels forcés, devront se doter pour travailler plus !
Et une fois qu’ils auront bien usé leur baguette magique pour essayer de trouver un emploi, il leur faudra encore en user pour dépenser l’argent qu’ils n’ont pas !
Pour l’emploi (nécessaire pour avoir de l’argent pour la plupart d’entre nous malheureusement), nous avons un autre as de l’incantation, il s’agit bien sûr de l’inénarrable Alain Minc !
Lui voit le problème d’un certain point de vue. Pour ceux qui ont un emploi, il ne faut surtout pas demander d’augmentation (et donc risquer d’augmenter son pouvoir d’achat). Surtout pas !
« Mais parce que un coup de pousse aux salaires, c’est moins de profits pour les entreprises, c’est moins d’investissement et c’est plus de chômage. Quand on n’a pas compris ça, on n’a rien compris à l’économie ! Rappelez-vous cette phrase d’Helmut Schmidt. Vous devez vous la répéter matin, midi et soir … » . (A. Minc interrogé par S. Moati)
On notera tout d’abord le recours au bon vieux théorème de Schmidt, si cher aux libéraux. En effet, avant de faire des cuisines, il semblerait que la famille Schmidt s’est intéressée à l’économie. Le jour où ce bon vieux Helmut, chancelier de son état, a prononcé cette phrase, il ne subodorait sans doute pas qu’il resterait à la postérité, et deviendrait le mentor de générations de petits libéraux. Citons le plus précisément : « Les profits d’aujourd’hui, font les investissements de demain et les emplois d’après demain »
Cette idée qui semble simple a été le fondement du système néolibéral des années 80, et c’est surtout encore aujourd’hui le fil directeur de la politique économique, instituant une opposition fondamentale entre salaires et emploi, suscitant la déformation du partage de la valeur ajoutée au profit du capital et légitimant la montée des inégalités sociales et patrimoniales.
Pour nombre d’économistes, de Bernard Maris à Frédéric Lordon, en passant par Jacques Généreux, pour ne citer que les plus connus, ce théorème est non seulement faux, mais directement responsable de la crise actuelle.
En compressant les salaires, la marge des entreprises a considérablement augmenté, et a été ventilée vers les actionnaires, effectuant de ce fait un transfert massif de la rémunération du travail vers le capital, au lieu d’alimenter l’investissement productif. La France a accumulé ainsi un retard significatif dans nombre de domaines, du fait de la plus grande rentabilité des capitaux placés sur des marchés purement financiers. Le deuxième effet pervers fut l’endettement progressif des ménages français.
Les conditions des crises actuelles étaient donc réunies : endettement et spéculation.
On notera d’ailleurs qu’Alain Minc, par le côté répétitif de l’ordre d’incantation qu’il profère n’est plus dans l’objectif, mais bien dans le religieux. Peut-être que si on le répète suffisamment de fois, cela va commencer à fonctionner ?
2 – Petit aparté pour le plaisir : A qui profite le crime ?
(Merci à JLT)
Tout système profite à quelques-uns (appelons-les les profiteurs), et en lèse d’autres. Ne jugeons pas trop sévèrement le système libéral. Il ne serait pas mauvais en soi s’il était régulé, ce qui est loin d’être le cas.
Donc, à qui profite le système aujourd’hui ? Dans un système ploutocratique comme celui dans lequel on baigne, il se trouve qu’une minorité de personnes ont le pouvoir. Amusant de constater que ceux qui en profitent sont ceux qui ont le pouvoir … et réciproquement !
Dans un système purement libéral, la pression sur les salaires (du fait de la concurrence chinoise) ferait grossièrement converger les salaires et les prix entres les différents pays. Et alors ? Au lieu de payer 20 Euros le kilo de fraises des bois, on le paierait 1 car notre salaire aurait été diminué par 10 pour s’aligner sur les chinois (je schématise bien sûr). Et alors ? Le cours de la fraise des bois et des distributeurs serait planté de 90%. Et alors ? Finalement, on serait dans la situation initiale à peu de choses près. Si les salaires étaient divisés, en même temps que l’immobilier, les voitures, le reste suivrait, donc les résultats d’entreprise. Ainsi, à part les profiteurs d’aujourd’hui, il n’y aurait pas de perdant à terme. Le problème reste donc la gestion de la transition, et il est clair que ceux qui ont le pouvoir aujourd’hui ont alors à perdre sur les deux tableaux, politique et économique. Ainsi, ils ont inventé le crédit massif pour perpétuer leurs privilèges...
Nous avons la chance aujourd’hui d’assister au début de l’effondrement de ce système, mais les vrais perdants sont ceux qui se battent aujourd’hui pour être proportionnellement plus riches que les autres...
3 – Si on le voulait vraiment, comment relancer la consommation ?
Cet aparté sur les profiteurs étant derrière nous, revenons à la consommation !
Et si les formules répétées jusqu’à plus soif n’y font rien, qu’est-ce qui au final relancera le pouvoir d’achat, et donc la consommation ?
On laissera de côté le fait que l’intérêt de consommer en soi est limité, et on ne citera pas Nietzsche non plus qui disait « Tout ce qui a un prix n’a pas de valeur », laissons cela pour un peu plus tard.
Considérons donc que pour financer l’état, la consommation des ménages est une entrée de base, et qu’il serait bon que chacun puisse se nourrir, se loger, etc. ce qui est loin d’être le cas aujourd’hui, compte-tenu du fait que 8 Millions de français vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté.
A partir de là, on ne peut qu’être perplexe devant les actions engagées par le gouvernement pour résoudre cette problématique.
En dehors de la prime à la casse pour pouvoir acheter une voiture, car c’est vrai quand même que « L’écologie ça commence à bien faire », et les primes aux plus démunis que le gouvernement a d’ailleurs choisi récemment de supprimer (Nicolas Sarkozy a annoncé le 10 Mai dernier la suppression de 2,5 milliards d’euros d’exonérations ou d’allocations exceptionnelles accordées en 2009 à 10 millions de ménages modestes pour soutenir leur pouvoir d’achat), on peine à recenser les actions en ce sens.
Ah si ! bien sûr, la baisse de la TVA dans la restauration. C’est un bon exemple.
Eric Woerth, le ministre du Budget, s’est vanté, le 23 octobre, dans l’hémicycle, d’avoir supprimé “100 000 postes de fonctionnaires en trois ans” dont une bonne partie dans l’éducation nationale. Ces suppressions de postes ont permis une économie de 3 milliards d’euros.
Or, comme lui a rappelé Henri Emmanuelli, ces 3 milliards d’euros ont été “immédiatement redonnés en baisse de TVA aux restaurateurs, qui eux n’ont créé que 6000 emplois. En définitive, on n’a donc pas économisé un centime, mais on a perdu 94 000 emplois.”
Voilà donc une bonne mesure pour le pouvoir d’achat !
Maintenant que nous avons prouvé la bonne volonté du gouvernement de Sarko dans ce domaine, il est temps de revenir s’interroger sur le réel désir d’achat, non pas des ménages les plus modestes, mais de la tranche intermédiaire. Celle qui disparaît. Une fois enlevée les 8 millions de français qui vivent sous le seuil de pauvreté, et une fois enlevée la tranche la plus aisée qui voudra toujours un nouveau yacht, une nouvelle hybrid mercedes parce que « zut alors, la planète c’est important quand même », il reste un paquet de gens. Et mon impression, c’est que cette crise signe la fin d’une époque à double titre : effondrement du système qu’on nous a vendu sur lui-même (cf. § précédent), mais aussi effondrement du mythe du progrès social généralisé et du rêve associé. Les français veulent-ils vraiment encore acheter ?
Avec la crise, arrive le parfum d’une nouvelle forme de consommation, l’accès ! L’accès à la culture, l’accès à ses amis, l’accès à tout ce qui ne coûte rien mais fait du bien.
A la poubelle l’écran plat bidule machin, le nouvel ordi qu’il faudra changer dans 4 ans parce que Microsoft aura décidé de changer le système d’exploitation, la nouvelle voiture « à vivre » mais qu’on change pour faire joli dans le jardin, le nouveau portable 4G+, etc, etc, etc.
Partout dans les pubs, dans les journaux, je ne vois que manipulation et combine pour essayer de générer des besoins qui ne trouvent plus preneurs.
Le système s’écroule, que reste-t-il à nos derniers défenseurs du rêve américain ?
4 – L’alternative de Sarko
Ce qui est amusant, c’est qu’en plus d’être un piètre politicien qui passe son temps à rejeter la faute de ses propres erreurs sur des ministres qu’il qualifie volontiers de brêles (alors même que c’est lui et lui seul qui les a nommés), Sarkozy est aussi un gros poissard. Au moment où il nous vantait les mérites du modèle de développement anglo-saxon et d’une vie d’endettement, voilà que ce joli modèle du rêve américain montre ses propres limites et crée les conditions d’une crise économique et sociale majeure.
Ainsi, n’arrivant plus à nous faire rêver par la consommation, mis à part bien sûr ses amis du club du Fouquet’s, Sarko n’aura bientôt plus qu’une alternative : la consommation obligatoire.
N’êtes-vous pas frappé lorsque vous vendez votre maison du nombre de contrôles bidons qu’on vous oblige à effectuer ? Les termites, l’amiante (certificat qui n’est valable qu’un temps, au cas où il vous prendrait l’envie pour vous réchauffer l’hiver d’isoler votre maison à l’amiante entre deux contrôles), le bilan énergétique, le raccordement à l’assainissement, etc, etc. Stop !! Finalement, je sais plus trop si j’ai envie de vendre…
Ce ballet des experts en tout genre que vous voyez défiler lors de l’achat/vente d’un bien immobilier pourrait parfaitement s’appliquer à la vie de tous les jours.
D’ailleurs il a commencé à envahir un certain nombre de champs de la vie quotidienne. N’avez-vous jamais fait l’expérience d’une panne de voiture, ou d’une vidange sur un modèle récent ? Inutile de sortir la clé de douze, c’est l’ordinateur portable et le logiciel propriétaire, possédés uniquement par les techniciens du constructeur, qui vous permettront d’accéder au bloc moteur. Fini le coup de clé à molette sur les bougies encrassées, désormais seul un bac+5 en informatique saura démarrer votre voiture capricieuse ! Ou quand la technique sert un projet plus vaste d’hétéronomie généralisée …
Quelle merveilleuse idée pour forcer les consommateurs qui s’ignorent à dépenser, et faire acte citoyen en contribuant à la survie du système économique.
Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin ?
Voici quelques pistes et idées :
Le minimum d’achat – volet 1 :
Quand vous irez au supermarché, vous devrez dépensez un montant minimum obligatoire, sous peine de ne pas être accepté dans le magasin.
Imaginerait-on aujourd’hui s’asseoir à une terrasse de café sans consommer ? Non, hé bien ce sera bientôt pareil dans les magasins. Comme sur une croisière américaine, tu donnes ton Amex à l’entrée, et tu la reprends à la sortie.
Le minimum d’achat – volet 2 :
Une nouvelle rubrique sur la feuille d’impôt apparaîtra, cela s’appellera la contribution minimale obligatoire au système économique. Au moment de payer vos impôts, vous devrez déclarer l’ensemble des achats (preuves à l’appui) que vous aurez réalisé. Si vous êtes en dessous, vous devrez vous acquitter d’une somme proportionnelle au delta non consommé.
La contribution minimale au système bancaire :
Bonne idée venant des USA, le « Minimum bank account », qui existe déjà là-bas et qui donne un plancher minimum d’approvisionnement de votre compte-chèque. En dessous de ce montant (que l’on mettra à 2000$ pour commencer), chaque transaction générera des agios.
La contribution au bien-être obligatoire :
On obligera l’ensemble des citoyens à partir en vacances, et surtout à dépenser. Une visite touristique minimale dans un haut lieu du patrimoine français sera obligatoire, avec des points de passages obligés (réciter la Marseillaise dans ce haut-lieu du patrimoine français sera déductible de l’impôt sur le revenu bien sûr).
Remplacement de l’ISF par l’ISPPF :
On supprimera l’Impôt de solidarité sur la fortune pour le remplacer par un Impôt de solidarité des pauvres pour la fortune. Cela constituera ainsi un impôt minimum obligatoire qui permettra aux pauvres d’avoir bonne conscience, et d’œuvrer avec les autres à la sauvegarde des riches.
Autres suggestions bienvenues…
Ainsi, tout ira pour le mieux dans le meilleur des mondes, le citoyen n’aimera plus consommer, mais il le fera comme quand il va au travail, par devoir.
Sarkozy aura réussi son pari : passer à la postérité, non pas comme le président du pouvoir d’achat, mais comme celui du devoir d’achat.