Sarkozy en Libye : to be or not to be
"O, from this time forth, / My thoughts be bloody, or be nothing worth !"
Ah ! Elle devait être fraiche et joyeuse, et rapide, cette petite guerre printanière, se terminer sous les ovations de la terre entière, dans un flot d'images et d'émissions de télévision à la gloire de Sarkozy, à la gloire de B.H. Levy aussi. Les massacres de Benghazi avaient été évités de justesse grâce à la courageuse initiative de nos deux grands hommes, grâce aux prouesses de nos avions, de mondiale réputation.
En France, même les esprits les moins bien disposés à l'égard de Sarkozy et de Levy s'étaient ralliés.. Une sorte d'Union Sacrée, au nom des enfants massacrés, au nom des femmes violées par des mercenaires sanguinaires, au nom de tout un peuple malheureux secouant le joug de ses tortionnaires.
Devant tant d'images, tant de battage, ignorants le Yémen, ignorants Bahreïn, Madame Michu s'est émue, jusqu'au fin-fond de ses Bartholins, Leguignon était prêt à monter à la baston, aux armes citoyens.. La seule solution, c'était les bombes et les missiles des puissances coloniales. C’est celle qui a été appliquée incontinent.
Ah ? Où on en est hein ?
Trois semaines après Merkel-qui-a-dit-non-non-non, le monde découvre que le génocide qu'il fallait éviter n'était en grande partie qu'une image habilement fabriquée par Levy et Sarkozy, presqu'une lubie, un lullaby, rendus plausibles par un effet de grandiloquence, de rodomontades de Qaddafi, en grande partie qu'un alibi. Rien de bien différent du Rwanda, du Yemen, de la Syrie, de barheïn, d'autres, multiples encore.
Et même s’il manie l’ironie avec application, même s’il tourne ses opposants en dérision (Monsieur de Norpois), même s’il prétend dénoncer leur « abjection », leur « perversion », B. H. Levy ne fait pas la démonstration d’une unanimité en matière d’analyse de la situation. Qu’il nous indique donc qui écrit et pense comme lui.. en dehors de lui.
Trois semaines après, l'information prend des formes inattendues, le dénouement se fait attendre.. Incertain en dépit de l'intervention des Américains et de l'OTAN. Ce qui est clair néanmoins, c'est que les pilonnages par avions de guerre n'ont épargné ni l'opposition au régime, qu'on a hâtivement hissé au rang d'organisation d'état, ni les populations, les gens, les enfants, les grand-mères, les dromadaires.
Mais où il est l'Otan ? Qu'est-ce qu'il fait l'OTAN ? s'exclame le général Abdel Fattah Younes, général en chef de la rébellion.
Ils sont pourtant bien là les F-15 Eagle, les F-35, les Rafales, lesTyphoons, les fighters de la "Coalition".. pas moins de 35 par jours rien que pour la France dit-on. 6-8 milliards de dollars déjà, au riblon..
Et même qu’il répond l’OTAN : “NATO said Friday it will not apologize for the deaths of rebels in a friendly fire attack near the Libyan oil port city of Brega.”
La guerre fraîche et joyeuse, prometteuse de si justes récompenses ; de si belles célébrations, tourne au dilemme métaphysique, à la tragédie shakespearienne, longue, compliquée, emphatique, théâtre d'interrogations sans fonds, sans réponses, contradictions, développements incontrôlables, incalculables. C'est juste clair dans la tête de nos histrions.
"..devant l'étrangeté de son comportement, l'on en vient à se demander dans quelle mesure il a conservé sa raison ». Pas d’ambiguïté quant à l’adjudicataire de cette belle citation.
Malheur et folie, feinte ou réelle, spectres, fantômes et démons le disputent désormais à l'esprit d'hésitation, de trahison, de revanche, de corruption, de désertion, au désir de punition, de possession, d'inceste, d'Oedipe (l'ambassadeur de France n'est-il pas le fils de Gadaffi ? C'est lui qui l'a dit).
Oedipe encore (Sarkozy n'est-il pas très-petit ? En état d'enfance encore ? N'a-t-il pas les chevilles enflées ? La puissante image de Gadaffi n'est-elle pas celle qu'il faut précisément tuer ?).
Il y a duplicité d’action dans cette tragédie
La faction pro-Qaddafi, pour l'heure, reprend du poil de la bête, s'entête, repousse les "rebelles" avec un sens tactique tout à son honneur, en se jouant de l'Otan. Elle aurait fait arborer, sur les blindés de ses colonnes, les drapeaux de la rébellion.. Vu du ciel, ça complique la tâche, ça facilite pas l'action, pas fair-play !
Au mieux, même Qaddafi mort, ce qui peut être espéré maintenant, c'est un halte-au-feu permettant de sauver la face et engageant la Lybie dans un vague programme de réformes. Fiston, le vrai, les fidèles, la garde rapprochée n'y seraient pas opposés, qui sont à même de donner à l'"Occident" des gages de libéralisme et de "modernité" comme on dit en diplomatie.
Obama lui-même, ici dans le rôle du Roi d'Angleterre, que le petit prince Omelette, accompagné de son Guildenstern d'opérette a du aller tirer par les basques pour se faire aider, commence à renâcler.
Il a du pourtant en avaler le prix Nobel de la paix des couleuvres, endurer de se faire traiter de trouillard par les faucons, les Samantha Power, Hilary Clinton, Susan Rice, Anne-Marie Slaughter la bien-nommée, toutes les femmes en furie, avant de monter au front. Et encore, à reculons, juste de l'humanitaire, du chirurgical, protéger les piétons..
Il a fallu en payer des campagnes de réclame à outrance pour persuader l'opinion publique et "la Communauté Internationale" que le peuple de Libye voulait se débarrasser de Qaddafi, que ne rien faire reviendrait à être complice de crimes contre l'humanité, l'Univers.. Il en a fallu de l'argent de CIA, et des opérations homo et arma en veux tu en voilà. Et faire oublier tous les autres cas..
Même le Saint-Patron de toutes les guerres "au choix", ad nutum, le prince des media Thomas Friedman (leur BHL à eux), s'y est mis aussi à pousser Obama, qui voulait pas, tout en soulignant qu'il faudrait vraiment compter sur Maman Chance cette fois.
Près d’un mois après, Obama s’est retiré. Près d’un mois après, BHL est muet, mais BHL se fend d’une nouvelle visite à Benghazy, c’est le moins qu’on puisse lui demander. On lira avec intérêt l’excellent papier d’Allain Jules sur le sujet. Les migrants attendent, eux, toujours de l'aide. Le prix du coco monte en folie, celui de l’or aussi. Des djihadistes sont revenus en Lybie, CIA aussi. La France est en guerre sur 5 « théâtres », Sarkozy veut bourrer la gueule à Giesbert, allesandra Mussolini s’en prend à Carla Bruni qui veut pas accueillir les réfugiés de Lybie, B.H. Levy traite ses confrères de « Norpois, munichois, culs de plomb de la diplomatie de salon, d’imbéciles.. ».
Quel spectacle ! Quelle Comédie, politique et show-biz réunis. Charles ! Au secours !
Si tant de vie n'étaient en jeu, ce serait amusant de noter l'évolution de la posture des intéressés, de nos princes de la politique et des media stipendiés, leur assurance universelle ravalée en moins de trois semaines, leur arrogance baissée d'un ton, leur prudence presque retrouvée, de circonstance.. Un brin d’inquiétude même, facile à comprendre.
C'est amusant de les voir réduits à avouer que l'intervention en Lybie pouvait se décider comme une virée au Fouquet's.
Et se terminer au pire en tragédie, en fiasco, au mieux comme Tintin au Congo.
Repères
http://allafrica.com/stories/201104080673.html
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