Sarkozy et la dialectique du coup d’Etat permanent
On a dit de Mitterrand qu’il s’est coulé dans le moule de la Cinquième République alors qu’étant dans l’opposition, il ne se gênait point de la critiquer à travers un usage personnel qu’en faisait De Gaulle. C’est du moins ce que pensait Mitterrand mais une fois au pouvoir en 1981, il a su très bien user de la Constitution pour diriger la France non sans quelques excès qu’il reprocha au Général.
Mitterrand a-t-il personnalisé l’exécutif ? Ce serait abusif de le dire. En fait, chaque Président a son propre style qui finit par épouser les contours de la Constitution, texte ayant la possibilité de « canaliser » la puissance de l’exécutif, un peu comme les collines et la texture du sol déterminent la trajectoire d’un fleuve au cours du temps. Il est indéniable que le style Giscard, faussement désinvolte, contrastait avec le sérieux et le cérémonial affiché d’un Mitterrand ou d’un Chirac tandis que notre nouveau Président a montré des signes ostentatoires de style nouveau. Jogging, stylo, riches fréquentations, bling-bling, rolex, marathon médiatique, divorce, mariage. Avec au final une pression pour revenir dans une attitude plus sobre. Mais ces frasques médiatiques ont-elles un effet sur la politique et traduisent-elle vraiment la destination choisie pour la France par le pouvoir en place ? A force de trop regarder le cracheur de feu, on finit par ne plus voir l’incendie qui se propage dans les collines environnantes.
Que reprochait Mitterrand à De Gaulle dans son ouvrage intitulé le coup d’Etat permanent ? Voici deux extraits de ce livre que nous serions sans doute inspirés de relire.
« J’appelle le régime gaulliste dictature parce que, tout compte fait, c’est à cela qu’il ressemble le plus, parce que c’est vers un renforcement continu du pouvoir personnel qu’inéluctablement, il tend, parce qu’il ne dépend plus de lui de changer de cap. Je veux bien que cette dictature s’instaure en dépit de De Gaulle. Je veux bien, par complaisance, appeler ce dictateur d’un nom plus aimable, consul, podestat, roi sans couronne, sans chrême et sans ancêtres. Alors elle m’apparaît plus redoutable encore. »
« J’aurais atteint mon but si j’ai contribué à démystifier le phénomène gaulliste en montrant comment par un extraordinaire subterfuge le nouveau pouvoir au lieu de consolider l’État le démantèle, comment au lieu de restaurer le respect de la loi il pervertit l’esprit civique, comment au lieu de confier au peuple la maîtrise de son destin il le confisque. »
Ces derniers mots résonnent cruellement, renvoyant à quelques doutes sur la politique de Sarkozy. N’opère-t-il pas de manière à démanteler les services de l’Etat sous couvert de réformes souhaitées par les Français ? Le peuple, a-t-il encore droit au chapitre de son histoire ? Esprit civique en déliquescence, quid de l’esprit critique ? Il y a quelques années, ce livre de Mitterrand avait été utilisé par Arnaud Montebourg pour ses réflexions sur une nouvelle république mais aussi pour fustiger chez Chirac des dérives autocratiques susceptibles de se couler dans un autre moule, celui de la critique mitterrandienne. Ce livre a une sorte d’effet magique. Comme s’il était le révélateur en négatif de l’autre face de la Cinquième République. Mais aussi une face dialectique du présent, Etat contre société notamment. D’un côté le pouvoir et de l’autre, la société en tant que contre pouvoir mais aussi inertie face au changement. Avec l’Etat pouvant jouer un rôle double, renforcer l’exécutif qui gouverne, donner de la puissance à la gouvernementalité aurait dit Foucault, ou bien servir utilement les citoyens en leur laissant une marge de manœuvre dans certaines décisions auxquelles on accorde bienveillance et support. A travers les lois et mesures édictées par Sarkozy on comprend bien l’option choisie. Le Président agit, décide et la société s’exécute et prend forme comme si les individus étaient une matière plastique au service de la construction de la France, de « SA France ».
En ce mois de juillet 2008, nous avons suffisamment de recul pour saisir les travers de ce que d’aucun ont nommé hyper présidence, un mot qui ne dit rien, traduisant l’incapacité de l’opposition à nommer la gouvernance Sarkozy. Alors qu’il suffirait de parler d’un coup d’Etat permanent pour traduire la vérité des faits. Une étrange dialectique s’est mise en place. Et d’ailleurs, Sarkozy semble s’en nourrir et se renforcer dès lors qu’il s’oppose, juge, critique, tance, et les chefs militaires, et les programmes de télé, surveillant de manière pointilleuse les accords entre patronat et syndicats, se mêlant de tout, décidant de tout… Les médias se sont engouffrés d’ailleurs dans le piège de l’hyper dialectique, séquestrant l’analyse socio-politique dans le commentaire des décision et phrases prononcées par le Pré(sid)ent Sarkozy. Il suffit de voir les titres du journal Marianne. Par une seule semaine sans évoquer le nom de Sarkozy, quoi qu’il fasse, que ce soit important ou accessoire. Une vraie obsession. Si coup d’Etat permanent il y a, il est renforcé par le jeu des médias et nul ne sait si cette tendance est productive ou bien si elle ne se retournera pas contre la société civile, devenue l’esclave d’un pouvoir et de la caste qui gravite autour.
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