Sarkozy invente le télé-achat politique...
... mais oublie Pierre Bellemare
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Il fut un temps que les moins de 20 ans n’ont pas connu, le temps de la France antique qui eut son demi-siècle de Gaulle comme en Grèce il y eut le siècle de Périclès. Les grandes époques se signalent par des belles réalisations et une démocratie foisonnante, du moins en Grèce et en France pendant ces périodes. Démocratie ou pas, une grande époque se signale aussi par une éloquence et une présence des gens de lettre et de parole, comme les humanistes du quattrocento italien ou les bretteurs du temps des Lumières. En France, il y a trente ans, on pouvait voir des grands moments de politique. Certes, un peu d’enfumage mais au moins, des émissions ayant du style, privilégiant le débat à l’esbroufe, mettant face à face d’habiles rhétoriciens qui tels Marchais, Rocard, Delors ou Chirac, s’expliquaient les yeux dans les yeux, formule ayant suscité une réplique de Jarnac, lors du débat de second tour, par François Mitterrand, pour scotcher son adversaire au tapis.
Les anciens parlent d’un certain François-Henri de Virieu et de son émission L’heure de vérité comme si c’était une pièce dirigée par Sophocle et jouée sur dans un amphithéâtre sur la colline de l’Acropole. Cette émission faisait référence, suscitant la nostalgie des aficionados de joutes politiques. Maintenant, l’écran paraît vide et même Arlette Chabot du très sérieux service public se fait chahuter par Vincent Peillon qui n’a pas voulu jouer l’éléphant se faisant dompter par une Arlette Gruss de plateau devenue panthère de cirque médiatique. C’était mieux avant !
Et maintenant. Une nouvelle spécialité vient d’être inventée sur la première chaîne de service privé national. L’émission qu’on a vue est remarquablement parfaite, maîtrisée, avec Sarkozy discutant face à un panel de Français. Je n’ai qu’un seul reproche à faire aux organisateurs de cette soirée, c’est le choix du modérateur, Jean-Pierre Pernaud, un peu trop politisé pour cette prestation. J’aurais préféré un présentateur plus sérieux, plus professionnel. Seul Pierre Bellemare pouvait s’acquitter de cette difficile tâche d’animer un télé-achat politique.
Mais quel est ce nouveau concept du télé-achat politique ? Eh bien c’est assez simple. Le télé-achat basique permet de vendre aux téléspectateurs des objets présentés sous une forme originale, comme ce robot pour faire des frites ovales, ou alors ces bougies de décoration sans mèche mais une loupiotte basse consommation aux normes du développement durable, ou encore ce quizz pour tester la réactivité des neurones. Les gens, ensorcelés par le verbe de Pierre Bellemare, achètent les produits qui une fois reçus, sont déballés, essayés, puis rangés le mois qui suit dans un débarras. Le télé-achat en politique consiste à vendre des mesures sous un angle séduisant mais qui en fait, sont aussi nécessaires que le moule à gaufre qui cuit les frites. Débat sur l’identité nationale, privatisation de la poste, loi sur la burqa, plan de vaccination contre la grippe A, taxes sur les bonus, grand emprunt, candidats en tongs UMP pour les régionales. Bref, toute une panoplie de mesures gouvernementales qui se serviront à pas grand-chose et seront oubliées d’ici deux mois. Entre-temps, les Français seront passés par les urnes.
Autre point commun. Pour un télé-achat, il faut la complicité de quelques Français représentatifs. Pour vendre une ceinture vibrante et amaigrissante, il faut la complicité d’une dame qu’on ne choisira ni trop grosse, ni trop belle car pas question de susciter la jalousie des ménagères de cinquante ans en filmant un top model de chez Lagerfeld. Cette femme sera en vérité quelconque, habillée avec un bon goût standard. Après le casting, on lui a fait essayer l’appareil et scénarisé la scène où elle doit manifester un sourire d’approbation après avoir vanté l’efficacité de la ceinture qui lui a fait perdre 2 kilos d’embonpoint. Le télé-achat politique met en scène des Français ordinaires, les mêmes que ceux sélectionnés pour vendre une poêle multifonction ou un balai électronique. Chacun sera briefé pour poser une ou deux questions dont le texte est laissé à l’initiative de chaque membre du panel, non sans être corrigé pour ne pas choquer. Bref, une émission facile à mettre en place. Un peu comme Tournez manège, avec ces candidats assortis à qui on écrit les questions qu’ils vont poser. Le panel des Français n’a pour but que de présenter comme indispensables les mesures du gouvernement en offrant au président Sarkozy l’occasion de (se) les mettre en valeur.
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