Le journal Le Monde a ainsi publié en première page dans son numéro du 24 juillet dernier une des photos officielles que le président et ses conseillers ont composées au cours de son intrusion inopinée dans le Tour de France dont il a suivi en voiture la 17ème étape, le 22 juillet. Quelle meilleure occasion trouver que de se mettre sous les spots d’une des manifestations sportives les plus populaires pour tenter de capter un peu à son profit de la faveur qu’elle suscite ? Le futur vainqueur de l’étape pouvait se démener comme un beau diable sur sa machine, le héros du jour n’était pas lui mais le président dans une voiture de la caravane qui le suivait.
Un leurre de la métonymie trop voyant
Pour autant, la scène photographiée qui immortalise cette association d’un président de la République avec cette course centenaire vénérable est-elle si heureuse ? Ne respire-t-elle pas à plein nez le suint d’une mise en scène grossière, dopée pour tout dire comme il sied au Tour de France ?
Une première métonymie est d’abord exploitée de façon trop voyante : on voit le président, assis dans sa voiture, tendre avec jovialité par la vitre baissée le bras, main ouverte, vers le hors-champ ; c’est l’effet d’une cause supposée - car invisible - que le lecteur est sommé de déduire : les acclamations d’une foule rassemblée dont on ne voit pourtant pas le moindre représentant. Ainsi la popularité du président est-elle affirmée sans indices probants !
Un leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée trop évident
Le leurre de l’information donnée déguisée en information extorquée saute ensuite trop aux yeux, lui aussi. À l’évidence, le président prend une pose étudiée qui doit livrer de lui l’image d’un responsable en relation chaleureuse avec son peuple : c’est une information donnée. Mais, on sait que, par nature, cette variété d’information n’est pas fiable, car obligatoirement mise au service des intérêts de l’émetteur. Le président feint donc d’être photographié à son insu et/ou contre son gré en ignorant l’objectif du photographe pour faire croire à une information extorquée qui, elle, est beaucoup plus fiable, puisqu’elle échappe au filtre de l’autocensure de l’émetteur.
Les couleurs ne paraissent pas non plus avoir été laissées au hasard : à défaut du drapeau national français dressé traditionnellement à proximité du président, on en retrouve l’assortiment de couleurs : la voiture est rouge, la publicité de la carrosserie, blanche et la chemise du président, bleue comme il est d’usage pour aussi, par contraste, faire ressortir au mieux la carnation du visage. Ce pastel patriotique peut rendre le lecteur plus réceptif.
Une seconde métonymie contradictoire
Mais cette mise en scène se heurte à une contradiction insoluble. Cette immixtion du président dans le Tour de France présentait le risque de faire croire qu’il n’avait pas mieux à faire dans un contexte de crise économique sévère que de perdre une journée à s’amuser à jouer les suiveurs de la course. Sans doute est-ce la raison d’une seconde métonymie : on le voit tenir à son oreille son téléphone d’une main tandis que, de l’autre, il salue ceux qui l’acclameraient. Cet effet exhibé doit trouver sa cause cachée dans le travail d’information et de décision que le président ne cesse pas d’accomplir pour autant. Il n’est pas allé, en effet, jusqu’à revêtir un maillot de coureur : il a seulement tombé la veste, pour n’être qu’en chemise et cravate, ce qui est autant la tenue de la détente que celle du travail de bureau.
Seulement, peut-on faire deux choses à la fois ? Témoigner en les saluant du respect que l’on a pour ses fans et écouter en même temps au téléphone un interlocuteur qui vous entretient des problèmes de la France et du monde ? Qui trop embrasse mal étreint. À vouloir faire les deux choses à la fois, en est-il une qu’on accomplisse convenablement ? Ou le président écoute au téléphone son interlocuteur et son geste amical de la main, comme son sourire et son regard, n’est que simulacre. Ou c’est le contraire, il réserve son attention à ses fans et n’écoute pas son interlocuteur et, dans ce cas, le téléphone ne sert qu’à faire croire qu’il continue à travailler sérieusement dans cette foire divertissante qu’est le Tour de France.
Cette photo du Président révèle du coup l’incongruité de sa présence dans la caravane du Tour. Impossible de masquer les leurres grossiers dont la mise en scène est dopée ! Elle devient le symbole de l’opération démagogique qui consiste à venir se mêler aux réjouissances d’une manifestation populaire séculaire, assombrie depuis un certain nombre d’années par la fraude du dopage ! Sans doute est-ce pour tenter de faire contrepoids à une autre fête aussi incongrue : le dîner du Fouquet’s parmi les milliardaires le soir même de son élection en mai 2007.
Paul Villach