Sarkozy ou “l’anarchiste couronné”
“Ni Dieu, ni maître, moi tout seul”. Entendra-t-on un jour de la bouche de notre omniprésident cette troublante vérité sortie des limbes de son hyper-Moi ? Lui tout seul, seul maître, seul Dieu ? Chose étrange d’avoir élu à la fonction présidentielle, un anarchiste.
L’anarchie initiée par l’homme-président Sarkozy ne se manifeste pas par l’absence de pouvoir ou le refus de tout pouvoir tutélaire. Elle s’exprime par l’ordination d’un pouvoir singulier. Sarkozy, une fois sur le trône du suffrage universel, n’accepte aucune loi. Il est le seul maître. Il impose sa tyrannie spectaculaire. “Tout tyran n’est au fond qu’un anarchiste couronné qui met tout le monde à son pas”. Sarkozy l’anarchiste bouscule les idées, “les notions ordinaires des choses”. Il détruit l’ordre passé et sème les graines d’un nouvel ordre, de la vie politique à la fonction présidentielle, en passant par sa vie privée.
Son goût du spectacle et de la représentation théâtrale a été résumé simplement par une onomatopée binaire. Sonorité de joaillerie de pacotille qui scintille et claque aux oreilles des héroïnes de son temps - Bling ! - ou bruits de verres emplis de breuvages élitistes qui s’entrecroisent lors de congratulations épisodaires, re-Bling ! Les lumières, les feux et les paillettes comme le positif d’une mauvaise pellicule crachent au peuple la fausse réalité négative et aveuglante d’un théâtre d’opérette. Sarkozy théâtralise le réel et il réalise le théâtre de sa vie, celle qu’il a fantasmée. Il aurait voulu être ce qu’il est.
L’anarchiste, metteur pornographe de ses scènes, culmine dans cet art. La rencontre éclaire, puis le mariage foudroyant de l’artiste de l’ordre nouveau et de la Belle, sacre l’intégration programmée et ordonnée du commerce de l’image avec l’image de la politique. Telle la Vestale, retraitée des podiums, auteure de litanies addictives à petit succès, la Belle, gardienne du feu sacré qui s’éteint, a ravivé le coeur trompé de l’adolescent qui dormait en lui. “Il y a là plus que de l’enfantillage, certes, mais le désir de manifester son individualité avec violence”. Lui que l’on sentait qu’il ne serait jamais très grand s’est hissé sur talonnettes jusqu’au métier de tyran républicain et au paroxysme d’un désir fantasmé, celui de posséder la femme sur la papier glacé.
Son anarchie se matérialise dans l’ordre symbolique par l’imposition de sa loi personnelle et de ses propres valeurs. Maître du désordre à son arrivée sur le trône présidentiel, il se mut en maître suprême et omnipotent de son ordre séculaire, en maître des valeurs symboliques de cette nouvelle République, détruites puis revitalisées par ses rites, ses codes. Elle se forge au fur et à mesure, dans son devenir présidentiel. L’anarchiste, ordonné prêtre, rompt avec le régime ancien. Rupture politique vis à vis des fondements constitutionnels dont il est le garant, rupture en distillant une eau de religiosité, une spiritualisation du politique, ainsi soit-il. Une vraie rupture généralisée en somme. De maître des cultes qu’il a voulu sous son joug, il se vit en grand codificateur de la symbolique politique et des “nouvelles” réalités du pouvoir.
Sarkozy a entrepris la destruction systématique et vicieuse de l’Etat de droit. Il poursuit une oeuvre de pulvérisation des structures constitutionnelles de la finissante Vème République. Un pouvoir politique de nature nouvelle est imposé par la volonté inique d’un seul homme. Il le possède entièrement mais le désire totalement. Il bouleverse les genres et les gens, les mérites comme les honneurs. Il s’octroie tous les pouvoirs, de président de la République à chef du gouvernement. Il décide de tout et sur tout. L’anarchiste constitutionnel rejoint l’anarchiste comportemental lorsque le désordre ordonné de ses gestes et de ses violences verbales prennent de court le monde qui l’entoure. L’insurgé des normes passées et, pour lui surannées, refuse d’être ce que la décence commune attend de sa fonction. Il est un anormé qui vit dans la transgression, mais il se pense et est cette nouvelle norme.
En bon tyran, un autre grand chantier en devenir de l’”anarchiste couronné” concerne la démoralisation - insidieusement la destruction - de son opposition légitime et anti-despotique. A gauche de la Montagne, le souffle de l’incompétence et la perte de moral règnent dans les rangs. L’acte impie de choisir puis de propulser au sein du gouvernement des ministres d’obédiences ennemies signe l’avènement de la crémation à petits feux du parti socialiste et de l’ensemble de la gauche politicienne. L’ouverture feinte, clef de cette tragédie politique, ferme toutes possibilités de construction ou de reconstruction d’une rivalité bénéfique des partis.
Ce rapprochement inéluctable et cette indissociabilité des idées contradictoires, dissoutes dans un même pouvoir, marque la fin d’un pouvoir potentiellement dual. L’acte impie issu de la vision unitaire du pouvoir prêché par Sarkozy est de la même manière vécu comme blasphématoire par les cohortes partisanes de son propre camp. Le drapeau noir y flotte désormais. Les aigris ravalent leur venin et n’expriment que doussottement leurs mécontentements désormais sacrilèges. La Loi suprême a parlé et personne n’ose la contredire sans encourir les foudres colériques de l’anarchiste excité. Il est, qu’on se le dise, le précurseur tout puissant des choses ordinaires et extraordinaires ainsi que des vérités officielles. Affirmation et expression d’un pouvoir unique et singulier, Sarkozy impose et s’impose.
Les commentateurs de l’époque, fascinés autant que révulsés par le tyran, puit sans fond d’un pouvoir sans borne, ne tarissent pas d’épithètes sur son caractère impétueux et conquérant, sur son omniprésence du levant au couchant. Tous sont adéquats pour qualifier l’homme pressé, maître du temps et de l’espace, dans le réel de la petite fenêtre intrusive, et de la pseudo intensité de son activité présidentielle. Il est partout et nulle part, part et repart sans jamais revenir. Sans que l’on sache si il est bien revenu. L’anarchie spatiale de ses déplacements n’en fait qu’un vulgaire électron qui a perdu son noyau. L’agenda de l’homme-président en perd même son vendredi.
Il avance ainsi frénétiquement sans se retourner. Il expose son anarchie comportementale et gestuelle aux yeux du peuple hypnotisé et aux fronts des vieux barbus de la classe politique spectatrice et démoralisée. L’action en actes, l’agir sur l’action, c’est peut-être là où Sarkozy semble toucher à l’essence même de l’absolu du pouvoir. Il le crée, il le fabrique. Il l’invente à l’infini, dans un infini quotidien qui a pour seule finalité de se répéter à l’identique dans le lendemain médiatique. N’est-ce qu’un mirage de plus, une autre illusion, un énième trucage, fruits de ce désert politique ? La pornographie de ses actes choque le bon sens.
Le langage de l’homme-Sarkozy ne sied pas aux paroles de Sarkozy-président. En perpétuel conflit de principe, son double le représente tel un président-caillera. “Il se conduit en voyou et en libertaire irrévérencieux”. L’image de père de famille modèle qui l’a fait élire a totalement disparu. Elle s’est métamorphosée en triomphe de l’hidalgo spectaculaire. Et celle de président s’incarne désormais dans le stéréo-type mafieux d’un Nico des banlieues. La vulgarité de son anarchie langagière n’épargne ni ses proches collaborateurs, ni ses lointains ennemis, tout comme le peuple qui l’a élu. Il insulte le monde et il se joue de lui. “Devant l’irritation générale occasionnée par ce débordement d’anarchie”, jusqu’à quand l’anarchiste Sarkozy restera t’il sur le trône ?
Note : Toutes les citations proviennent de l’ouvrage d’Antonin Artaud, Héliogabale ou l’anarchiste couronné, paru pour la première fois aux éditions Denoël et Steel en 1934. Premier dépôt légal, février 1979. Réédition en janvier 2007 aux éditions Gallimard.
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