Sarkozy, ou l’homme qui scie la branche...
On n’y revient pas, notre président sans costume présidentiel (il n’arrive décidément pas à entrer dedans) écœure tout le monde, par son attitude désinvolte, ses propos blessants ou insultants et sa politique au vu-mètre. Sans oublier ses phrases à l’emporte-pièce, comme ce très beau "On dit qu’il est l’anti-Sarkozy. C’est vrai. Il n’est ni populaire ni efficace", à l’encontre de François Fillon, sorti en 2003, qui nous fait mieux comprendre le choix de son Premier ministre, sélectionné comme repoussoir au fabuleux talent présidentiel supposé et qui doit s’exercer tous azimuts. Prendre son contraire pour paraître encore plus le seul à tout savoir faire, et occuper tous les écrans voilà le principe majeur de fonctionnement. François Fillon, réduit à l’état d’ectoplasme, doit faire avec, sans plus de latitude.
A l’inverse, un phénomène particulier vient de se passer cette semaine dans l’indifférence médiatique générale, tant notre homme ne capte que les médias people désormais, à moins que ce ne soit dû à la petitesse du parti concerné, du type microscopique : non, ce n’est pas un sondage qui affirme que la nouvelle potiche présidentielle est la bien-aimée des Français. En Angleterre, ils ont la même chose depuis des années, et sont dans la même situation, à scruter le nouveau chapeau de la reine avant de s’apercevoir des ravages de la politique menée par leur Premier ministre. Non, cet événement anodin qui aura de sérieuses répercussions dans les semaines à venir, c’est le lâchage par sa droite extrême de la majorité présidentielle, signe d’une fissure beaucoup plus profonde au sein du parti, fissure qui conduit jusqu’aux... gaullistes. Des gaullistes qui ne reconnaissent aucunement dans la marionnette élue un président à l’image du grand Charles regretté, et qui commencent (il est temps !) à crier haut et fort de regretter d’avoir voté pour lui, à l’image de leur porte-parole, Nicolas Dupont Aignan.
Ceci, nous l’avions déjà dit, avant même son élection : Nicolas Sarkozy gaulliste, c’est un poisson sur une bicyclette. Il a beau aller se recueillir à Colombey et prendre la pose devant la croix de Lorraine, jamais les héritiers ne reconnaîtront en lui le descendant de celui qui a claqué la porte de l’Otan, alors que notre homme prie des deux mains pour à nouveau en faire partie. Nicolas Sarkozy avait été accueilli en son temps par des lazzis pour avoir trahi le parti gaulliste pour succomber aux sirènes balladuriennes, et certains vieux éléphants du parti (il en existe aussi à l’UMP) sont là pour lui rappeler. Et quand les éléphants ne sont pas là, les autruches rappliquent en la personne de Christine Boutin, membre du gouvernement et des Républicains sociaux, qui déclarait ce week-end la même chose : "Le grand danger qui guette l’UMP en ce moment, c’est qu’elle est en train de redevenir un parti replié sur lui-même. Or, la droite, ce n’est pas uniquement l’ancien RPR"...
On le voit, notre président hyperactif a atomisé ses adversaires, à gauche comme à droite, mais il a oublié les retombées radioactives sur son propre parti, qui se fissure plus vite que le béton de la centrale EPR de Flamanville. A ce rythme prononcé de destruction de la vie politique, notre président devrait finir son mandat avec autour de lui un comité restreint de supporters. Or, même ça, c’est déjà fait : la célèbre "task force-G7" augure d’un homme qui s’est coupé de tout. Et dans lequel aucun membre de son propre parti ne se reconnaît. Sauf les derniers arrivés dans l’équipe, dont l’ineffable Madame Sans Gêne, Nadine Morano...
Un communiqué passé inaperçu nous signale en effet, le samedi 7 mai, que le CNI, le Centre des indépendants et paysans quitte l’UMP, en raison je cite “de l’absence de dialogue avec la direction", phrase qui vise personnellement Patrick Devedjian, mais aussi pour “divergences fortes” sur “la réforme des institutions, la suppression de l’ISF, le droit de vote des étrangers, l’homoparentalité”. Bref, le torchon, après avoir brûlé sans trop faire de flamme, est aujourd’hui déchiré en travers, et les ponts sont définitivement rompus avec la frange ultra-droitière du parti présidentiel. Signe des temps : après avoir réduit à peau de chagrin le FN, voilà que Nicolas Sarkozy déplaît au CNI. Vous allez me dire, ça lui fait une belle jambe : au CNI, il y a autant d’adhérents que de membres du bureau directeur, ou tout comme. Certes, mais ce n’est pas au nombre de députés élus (trois, avec Lebel !) ou de partisans que ça se mesure : idéologiquement, c’est bien la rupture, et certainement pas celle souhaitée par Sarkozy. Le groupe le plus réactionnaire de son parti vient de lui signifier que ses "réformes", à force de puiser nulle part et partout, n’avaient plus aucune ressemblance avec un projet de droite cohérent. A force de se faire mousser, Nicolas Sarkozy a oublié qu’il ne fallait pas trop secouer le flacon, sous risque d’explosion. A force de promettre au lieu de faire, sa tendance dure lui signale qu’elle en a assez d’un ludion qui monte et qui descend l’échelle sociale au gré de ses visites en province : un jour partisan du patronat, le lendemain des travailleurs. Un jour à défendre les sidérurgistes de Mittal, un autre à encenser le Medef.
Il faut dire qu’au CNI, on a affaire à des personnages, disons, pour rester poli, plus... stables. Trois, principalement : Annick du Roscoat, Christian Vanneste et Gilles Bourdouleix. Auxquels on peut ajouter l’ancien député niçois Jérôme Rivière, partisan de De Villiers, pas exempt non plus de sorties outrancières, et lui aussi déçu de l’UMP. Sans oublier l’arrivée récente de François Lebel, le maire du 8e arrondissement de Paris, celui qui a marié le président Sarkozy sous l’étiquette UMP en février pour s’en exclure en mars et passer au CNI, ceci pour ne pas avoir accepté la candidature de Pierre Lelouche. Ou Dominique Fachon, à Amiens, qui devrait un jour devenir ministre de la Culture, pour sûr, tellement elle a d’idées originales sur la question. Elle en a aussi sur les foires, remarquez : au CNI on est vigilant sur tout, à vérifier en ville "où se soulagent les forains"... A ma connaissance, Fachon est la seule élue municipale à travailler pour les reportages du Groland : mêmes sujets, même ton, même poilade. Son reportage sur la cathédrale d’Amiens, "vue à la façon pythagoricienne", mais enregistrée avec un micro de Prisunic se perd dans son labyrinthe, certes, mais nous procure un grand moment de dérision involontaire, il est vrai... Avec le CNI, on a parfois l’extrême droite la plus drôle de France... Fachon aurait dû prendre quelques cours chez de grands communicants, tels que... Sophie Favier, zozoteuse candidate "peinée pour Martinon" du CNI à... Neuilly. Ça non plus ça ne s’invente pas. Question stabilité de pensée, au CNI, en effet, rien à redire. C’est de la bonne vieille droite, à qui il ne manque qu’une touche raciste pour ressembler au FN. Et quand je dis "touche", on peut réduire ça à un seul pixel. Certains l’ont même déjà effacé... tel Vanneste. Dont on enlève les pixels quand il le faut, à l’UMP, qui parfois juge sa présence gênante auprès du Premier ministre...
La première citée, présidente du CNI, nommée membre du Conseil économique et social (depuis 2005) par... Jacques Chirac, s’affichait il n’y a pas si longtemps encore à côté de la photo du président avec comme slogan "le courage de dire et la volonté de faire". Mouais. Outre qu’il s’agissait d’un montage photo grossier au détourage incertain (à croire qu’ils n’ont que Paintbrush à droite !), on peut dire que la dame est une habituée elle aussi du montage en épingle pour rameuter les consciences vieillies. A l’origine du projet sur les centres fermés pour jeunes délinquants, structure qui bat de l’aile depuis sa création, elle affiche clairement ses opinions réactionnaires. Sur l’enseignement, ça donne du genre "Le recrutement massif d’enseignants au cours des dernières décennies a coïncidé avec l’écroulement du niveau général des élèves." En résumé : plus il y a de professeurs, pires sont les élèves ! Ou l’éternelle antienne sur comment apprendre "on ne peut que se féliciter de la détermination du ministre et l’encourager sur la voie des réformes d’enseignement telles que la suppression de la méthode globale. Aux lumineuses révolutions pédagogiques des penseurs « soixante-huitards » de l’Education nationale, je préfère que l’on revienne aux fondamentaux de l’enseignement traditionnel tels que : savoir lire, écrire, compter avant l’entrée en sixième." Ne cherchons pas plus loin où Xavier Darcos va à la pêche aux idées, c’est dans l’étang des platitudes d’Annick du Roscoat, elle aussi très remontée contre ses fameux soixante-huitards fauteurs de tous les troubles, même quarante ans après. Les discours électoraux de Guaino ont eux aussi leur origine dans cette vindicte gratuite et cette pseudo-analyse des maux de notre société actuelle. Haro, sur 68 ? C’est à la mode, jusque chez les... évangélistes. Ce n’est pas ici l’ineffable Grimpret qui va nous dire le contraire.
Ne déclarait-elle pas non plus dans son fief nantais, elle qui est originaire de Tourcoing, "qu’aujourd’hui l’anormal se déchaîne, exige sa reconnaissance... Vous avez compris je veux parler du nouveau lobby de l’homosexualité (sic) (...) il y va de la défense et de la promotion de la famille, de la santé morale et physique des Français." Des propos qui font écho au second personnage, ChristianVanneste, vice-président du CNI, homophobe notoire condamné pour avoir affirmé que « l’homosexualité est une menace pour la survie de l’humanité... », « je n’ai pas dit que l’homosexualité était dangereuse. J’ai dit qu’elle était inférieure à l’hétérosexualité. » Condamné en second jugement d’appel pour ses propos infâmants le 25 janvier 2007, il est aujourd’hui en cassation. Le troisième, le porte-parole Gilles Bourdouleix, est maire de Cholet, ville qui en voit des vertes et des pas mûres avec lui, dont un conflit épique et grotesque avec l’association organisatrice du meeting aérien de la ville (l’Aérienne du Choletais). ou sa volonté de rattacher sa ville à la Vendée... droit dans les traces de pas de Philippe De Villiers. La première lui voit une remarque acerbe de l’UDF local, l’autre... la risée nationale. Bref, le CNI, homophobe et ridicule, vient de décider de se séparer d’un mouvement dont il avait choisi de faire partie en connaissance de cause. La droite extrême, qui a permis l’élection présidentielle, quitte le navire, lassée par l’inconstance de ses autorités dirigeantes. Ça paraît anodin, mais ça ne l’est pas, car cela augure mal pour 2012, que notre président estime pourtant déjà gagné d’avance.
L’historique du CNI indique en effet que ce minuscule parti a toujours été tiraillé entre modérés et extrémistes. Situé entre l’extrême droite et les radicaux, le mouvement a toujours peiné à se démarquer de ses deux tendances : seuls Antoine Pinay ou René Coty (qui avaient voté tous deux les pleins pouvoirs à Pétain !) ont émergé comme dirigeants notables de ce parti profondément divisé. Un CNI déjà poursuivi dans les urnes par les poujadistes, qui lui emprunte une bonne partie de son électorat, et dont le plus célèbre d’entre eux s’appelle Jean-Marie Le Pen. Difficile d’avoir des idées d’extrême droite sans en avoir l’air, c’est tout le dilemme du CNI depuis ses premiers jours. Et aujourd’hui, difficile de soutenir un président qui ne représente déjà plus leurs aspirations droitières. L’ouverture souhaitée par Nicolas Sarkozy aura causé davantage de dégâts collatéraux que de bienfaits réels au sein de sa majorité, qui se lézarde à grande vitesse désormais. A trop avoir caressé l’extrême droite à rebrousse-poil, le président entame sérieusement ses chances pour le futur. Il a été élu grâce à cet apport électoral, et ses frasques de début de règne l’en ont déjà coupé. Après le Front national, le CNI. Nicolas Sarkozy, c’est l’image de celui qui scie constamment la branche sur laquelle il est élu. Il ne peut donc que... tomber.
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