Sarkozy sur France inter : comme un pet sur une toile cirée
Il était donc sur ses gardes, dans ce repaire post(e)-soixante-huitard, cette radio écoutée surtout par des sarko-sceptiques, pour le moins (sondage Télérama), mais les trois ou quatre auditeurs questionneurs seraient cette fois triés en conséquence. Il avait donc tort de s’inquiéter pour si peu. Guy Carlier aura préféré tourner les talons. Suffisait alors de la jouer badine - on badine bien avec les médias, et Demorand donnait aimablement dans le taquin : « Vraiment, liquider 68 ? » Beuh, le picador n’aura guère fatigué le taureau, et Hélène Jouan n’agitera pas la muleta, tout juste un p’tit coup de chiffon timide. Et lui de barbouiller à tout-va : « François Hollande a dit qu’il n’aimait pas les riches ». Rien ne se passe autour des micros. Pas le moindre contrepoint. Pourquoi se géner ? D’un uppercut, il descend 68 : ce temps où « Voltaire, ça valait Harry Potter ». Et pas un mot pour relever ce déni intellectuel - ou au moins pour rappeler, même en badinant, que le Potter en question, euh, en 68...
C’est vrai qu’il terrorise. Demorand, tout assuré qu’il paraisse - de l’assurance sans risque des jasettes de salon radiophonique -, ne résiste en rien aux assauts de la bête, feutrés de ses « je vous le dis très gentiment » (à deux reprises), mais n’y revenez pas trop ! La menace a du mal à se voiler : « Vous êtes formidable ! Avec vous, j’ai l’impression de faire un débat avec un homme politique... Merci, comme ça je m’entraîne pour ce soir ! »... Ou encore : « On peut avoir ses convictions et être précis ! » Ces piques sont terriblement acérées. Elle délimitent la fonction journalistique : des questions, certes, mais pas d’objection, pas de résistance, juste passer les plats. 40.000 personnes hier à Charléty : « - Vous y étiez ?! Bon, disons que vous n’y étiez pas !... » Sous-entendu : alors on la ferme ! Et lui alors, il y était ?
Un auditeur prend le relais pour dénoncer la « colonisation » de France inter par les idées de 68... Oh, comme vous y allez !, proteste en substance Demorand, voyez Sylvestre et Marris, on équilibre... Comme si la fonction journalistique ne devait, par essence, relever de la nécessaire et démocratique fonction de contre-pouvoir. Un ministère de l’Information ? - « Une plaisanterie ! » En effet, pour quoi faire ? Comme si le système des réseaux d’amitié et de connivence n’était pas autrement efficaces. Mais l’objection est d’avance désamorcée : « On me dit que les médias sont à ma solde... Mon dieu ! » Voyez Libération, le Nouvel Obs, Marianne... qui appartiennent à des riches et cependant partisans de « madame Royal »... « Dois-je en conclure que madame Royal est liée aux puissances de l’argent ? » Silence radio. Sarkozy embraie de plus belle : Lagardère n’était pas à Bercy, Bouygues non plus. Alors, si c’est pas la preuve !
Et là, les micros sont scotchés, médusés.
Bon, OK, on ne peut pas tout ressortir, ni forcément être assez réactif face à tant d’aplomb... Mais enfin, il y avait quand même matière à rétorquer ! Sinon, bordel de chiotte, à quoi je sers à ce micro qui, rappelons-le, est tout de même et avant tout un outil au service du droit du public à l’information ! Alors, je résume, en vrac :
Sarkozy
a un fils dont Martin Bouygues - actionnaire principal de TF1 - est le
parrain ; lequel a assisté au congrès de l’UMP qui a sacré le même
Sarkozy ; Bernard Arnault - PDG de LVMH qui possède La Tribune - est
ami de Sarkozy, qui a assisté au mariage de la fille d’Arnault, comme
il avait assisté au mariage de Claire Chazal (TF1) ; Vincent Bolloré -
entre autres PDG d’Havas - ami de Sarkozy, présent à la remise de sa Légion d’honneur ; Arnaud Lagardère - Hachette (entre autres : Europe 1, le Journal du Dimanche, Paris-Match, des titres régionaux),
EADS... - grand ami de Sarkozy, présent, cette fois, à son meeting pour
le "oui" à la Constitution européenne en mai dernier. N’oublions pas
non plus dans la même brochette amicale : Édouard de Rothschild
l’actionnaire de référence de Libération (« journal de merde »), Alain
Minc président du conseil de surveillance du Monde.
Donc, à France inter ce matin-là, on a glissé là-dessus comme pet sur toile cirée.
Pourtant l’invité n’était pas pleinement content (peut-il jamais l’être avant d’atteindre « la plus haute marche ? ») Pas content, car il n’aime pas les journalistes et les redoute. D’où ces assauts d’attention mêlés de menace. La main dans le dos et la dague pas loin : « Monsieur Demorand », qu’il lui lance à la dernière minute, « vous filez un mauvais coton... » Pourquoi dit-il ça, à celui qui n’a tout de même pas démérité et proteste de sa bonne foi : « Ça veut dire quoi ça, exactement, Nicolas Sarkozy ? » Réponse : « Ça veut dire qu’à 9 heures on a le droit... » Demorand : « ...de plaisanter ». Sarkozy : « ...oui, de plaisanter ». Ouf, on a eu peur ! On souffle en vannant gaiement avec des slogans de 68. Le débat, c’est pas la guerre, hein ! Il était moins une.
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