Sarkozy utilise un cheval de croix pour faire entrer le religieux à l’école
A travers la prise en charge de la mémoire des enfants juifs victimes de la Shoah, n’assiste-t-on pas à une tentative de faire entrer le religieux à l’école ? Telle est la question troublante que se propose d’instruire ce court billet.
La question des morts n’est pas un point de détail. D’ailleurs, la manière dont les peuples règlent la question des morts, prennent soin des corps et des âmes défuntes, permet de caractériser les sociétés. Des rites précis, codifiés, sont organisés à l’occasion des décès, avec la participation d’une tribu, de proches et, le plus souvent, un homme de foi, administrateur du culte. Ici, en France, la cérémonie religieuse est encore la règle pour la plupart. On ne se marie plus trop à l’Eglise, de moins en moins d’enfants sont baptisés, mais les bénédictions sont la règle, même pour les familles peu croyantes, voire même pour les obsèques d’un défunt n’ayant jamais pratiqué et devenu athée. Plus tard, les proches iront au cimetière, ne serait-ce qu’une fois par an, pour déposer dans un moment de recueillement une gerbe en versant une larme. Quelques familles célèbrent le défunt à travers une messe annuelle commémorant le décès. Avec la mort, on entre dans les secrets de famille, on pénètre dans l’indicible de l’absence et on cultive le silence du sacré. Le mot est lâché. Sacré, voilà le caractère qui définit bien tout ce qui entoure la mort d’une personne et d’ailleurs, on ne touche pas aux morts. Même si quelques-uns s’emploient à salir la mémoire d’hommes publics, ce qui participe de la vie historienne d’un peuple, on ne profane pas une tombe. C’est d’ailleurs sévèrement réprimé par la loi. Et dans une famille, on le tait le plus souvent lorsqu’on veut évoquer les travers d’un défunt.
La mort revêt un côté sacré, donc inviolable. Plus précisément, elle définit un espace. Le sacré étant un lieu où l’on s’interdit de pénétrer. Ou du moins, on pénètre que si on y est autorisé. Un deuil est sacré. Il ne se porte que par les proches, qui ne vont pas chercher aide chez leur prochain, excepté les individus spécialisés pour aider au travail de deuil, le curé et souvent le psy. On se trouve ici au plus intime de l’âme.
La religion, c’est aussi relier, entretenir un lien avec l’altérité, le tout autre. En se reliant au Christ, les chrétiens créent un lien communautaire. Quant au lien spirituel avec un mort, il participe aussi de cette communion. Certains parviennent à entrer en contact avec un proche. Parfois un compagnon, comme le racontait Madly Bamy, qui partagea la vie de Jacques Brel. En ce cas, le mort revêt un caractère surnaturel, définissant la dimension verticale de l’existence, le lien par-delà le temporel et à travers deux personnes, l’une vivante et l’autre décédée, un lien intime de nature sacrée. Et la survie par-delà le temps, le matériel.
Que penser alors de cette mémoire proposée à chaque écolier devant prendre en charge la mémoire d’un autre ? Ce n’est pas un banal exercice historique de remémoration, comme cela se passe dans la vie républicaine, ni un élément pédagogique (de nature intellectuelle et non pas spirituelle et affective) car, à ce qu’on sait, l’Histoire ne s’est jamais enseignée en demandant aux élèves d’entretenir un rapport intime avec un personnage historique, ni un simple manant du peuple évoqué dans un texte ancien. Avec cette mémoire d’un mort, doté d’un prénom, on a affaire à une relation relevant de la communion, du sacré, de l’intime, de la relation imposée à une altérité, comme peut l’être celle du chrétien qui communie avec le Christ et partage sa souffrance. N’est-on pas dans le cas d’un chemin de croix, d’un fardeau de l’existence que les chrétiens célèbrent toutes les années à l’occasion des fêtes pascales. Ils le font, mais dans un contexte religieux et non pas laïc. Que dirait-on si l’école républicaine amenait les élèves de CM2 à participer à ces chemins et porter la croix du Christ en guise de célébration de la mémoire d’un autre qui se sacrifia pour le bien de l’homme ? Eh bien, avec cette mémoire des juifs morts en camp de concentration, Sarkozy n’impose pas autre chose aux petits Français que de porter symboliquement la croix de ces sacrifiés de l’Histoire et ses horreurs.
Alors, cheval de Troie ou cheval de croix ? Sarkozy joue dangereusement avec les fondamentaux de notre nation, inventant même une nouvelle pratique de religion, plus proche de la religion positiviste inventée par Auguste Comte, la religion de l’humanité. Tout cela est grave.
Et je suis passé sur le cas des écoliers de confession musulmane qui pourraient réclamer qu’on entretienne une mémoire avec un autre enfant, ce gosse palestinien tué sous les yeux des caméras pendant l’intifada qui, toutes proportions gardées, est vue comme leur Shoah par les Palestiens et les peuples arabo-musulman. Sarkozy joue avec le feu et les symboles. C’est plus grave que la simple affaire du CPE. En a-t-il conscience ?
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