Sauver le monde ?

« On ne peut pas sauver le monde ». Voilà ce que dit ma mère, lorsqu’elle trouve que je parle un peu trop de politique. Elle a sans doute raison. Car On ne peut pas grand-chose. D’abord « on est un con ou un salaud », comme disait une ancienne institutrice, qui avait lu Jean-Paul Sartre. A l’époque, les instituteurs lisaient peut-être plus qu’aujourd’hui... Le « On », c’est l’abandon de l’originalité de l’homme, le déni de sa singularité, la négation de sa liberté de voir et de penser le monde.
Le salut du monde n’est-il pas le fruit d’une vision humaine ? Bien sûr, la plupart du temps, nous sommes contraints de faire ce qu’on peut. Volonté limitée, désirs insatisfaits. Pour Arthur Schopenhauer, la majorité des hommes ne connaît pas « les joies de la pure intelligence » et « le plaisir de la connaissance désintéressée les dépasse : ils sont réduits au simple vouloir (…) action et réaction, voilà leur élément unique ».
Dans son Utopia (mot inventé) publiée en 1516, le chancellier anglais Thomas More lance un appel pour sauver l’humanité. La vision de More décrit les Utopiens, habitants de ce territoire bien gouverné, comme des hommes « aiguisés par les lettres », ayant une aptitude au progrès. En pleine Renaissance, le très chrétien Thomas More fonde la société sur les principes de la connaissance et des institutions communes aux hommes d’un même pays.
Les hommes de bonne volonté, pour reprendre un titre de Julles Romain, n’ont-ils pas pour ambition de sauver le monde ? c’est-à-dire, de modifier les règles du jeu pour que l’homme soit plus libre ? Comment refuser l’audace d’un honnête homme à « sauver le monde » ? Sans oublier la prudence, pour éviter la bêtise. Car « les cons, ça ose tout, c’est même à ça qu’on les reconnaît » (Michel Audiard).
La société libérale et la démocratie sont censées limiter la progression de la bêtise, grâce au dialogue et au compromis. Dans ce régime du vivre-ensemble, les ambitions – individuelles ou collectives - confrontent pacifiquement leur manière de sauver le monde. A mon niveau, ma conscience de ce qui existe et de ce pour quoi j’agis peuvent participer, humblement, au salut du monde. Cela suppose un certain confort matériel (pour pouvoir penser à autre chose qu’à survivre) et un certain niveau d’éducation (pour favoriser l’expression du libre-arbitre).
L’Histoire nous renvoie aussi à des intentions de sauver le monde qui se sont révélées destructrices. Le XXè siècle a connu des totalitarismes qui prétendaient refaire le monde. Ce fut au prix de la mort de millions d’hommes, car le on d’une globalité déshumanisée était devenu plus important que la personne humaine et ses utopies de mieux vivre ensemble.
Donc, ma mère a raison : on ne peut pas sauver le monde, mais la conversation des hommes peut contribuer à son salut.
> Si vous êtes en Lorraine, le 19 septembre prochain, venez donc exercer l’expression de votre libre-arbitre, au café citoyen de Metz, à 15h, au Café Jeanne d’Arc. Sur le thème : « faut-il une utopie pour sortir de la crise ? ». Et merci à M. Jacques Pailler pour avoir proposé humblement ce beau sujet de réflexion.
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