Sax’ aphone
C’est un fait divers de début d’été, un peu banal, un peu rauque, un peu lourd, comme la longue plainte d’un saxo. D’un sax-aphone, comme disait Bernard Lavilliers dans une superbe chanson sur la mort d’un de ses saxophonistes. La lecture de La Dépêche du Midi du 24 juin nous apprend que le saxophoniste Roger Olio, du groupe Jazzmagnac, est mort en scène d’une crise cardiaque lors du festival de Saint-Clar (Gers). Au quatrième morceau du concert, alors qu’il venait précisément de terminer un morceau en hommage à Jacques Gauthé, musicien français de la Nouvelle-Orléans, lui aussi victime d’une crise cardiaque. Il y a des jours comme cela où l’on se demande si le destin ne boit pas.

D’habitude, les histoires tristes, j’aime bien les écrire, parce qu’elles disent plus que les histoires gaies. Mais là, autant vous l’avouer tout de suite, je ne sais pas quoi dire. D’aucuns vous diront que c’est une belle mort, pour un saxophoniste, de mourir en scène par arrêt de l’arbitre. Je n’ai pas d’avis. C’est comme quand on était gosse, et qu’on se demandait si on préférerait mourir de faim ou de soif.
D’autres parleront de pied de nez du destin, de l’ironie du sort. Ou l’inverse. Pourquoi pas le sort de l’ironie, le nez du destin ou le coup de pied de l’ironie ?
Cette dépêche a été portée par un petit vent du Midi, comme les échos assourdis d’un chorus un soir de Fête de la musique.
Voilà, ce sera donc un court billet pour ne rien dire, ou plutôt pour dire l’inverse.
En hommage à cet inconnu, je laisserai parler Bernard Lavilliers, dans sa chanson - hommage à Eric Letourneux, un de ses saxophonistes décédé en 1978 :
Ta dernière note vibre encore
Et le matin jauni
Change encore de décor
Ton sax désossé
Au rancart de la mort
Pousse un dernier soleil
Vers le sang du dehors
A force de chercher
Une vie essentielle
A force de souffler
Les bougies du réel
A force de tourner
Les cartes du possible
Le printemps a givré
Ta musique invisible
Où joues-tu maintenant ?
Dans quel nuage rauque
Envoies-tu tes chorus
Un peu rauque, un peu doux
Dans quelle cave lointaine
Parleras-tu d’amour
Jusqu’au lever du jour
Je n’y crois pas encore
C’est une fugue un rien
T’es parti comme on sort
Tu vas téléphoner
Avec ta voix qui traîne
Demander des nouvelles
Des petits du poème
Qu’on écrivait ensemble
Dans nos nuits électriques
Tu es parti tout seul
Tu as coulé à pic
(…)
Papillons bleus et noirs
Découpés au couteau
Tournant dans les miroirs
Dévorant les photos
Et mitant ma mémoire
Emportée par le vent
Glacé du désespoir
Je te fais ce cadeau
A l’écriture fragile
Sur cette musique triste
Et belle du Brésil
Avec la voix cassée
Dérisoire inutile
Qui ne réchauffe plus
Ton cœur entre tes cils
T’es parti une fois de trop
C’est difficile
Et tout sera classé
Au fond d’un fait divers
On dit que c’est fini
Que c’est déjà hier
Et on sort prendre l’air
(Bernard Lavilliers, Sax’Aphone, 1978)
Décidément, comme dit Shakespeare dans Mac Beth, "La vie est une histoire, pleine de bruit et de fureur, racontée par un idiot à un sourd, et qui ne signifie rien".
NB : Crédit Photo : DDM.
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