Schubertiades days
Après le billet au sujet du centenaire de la mort de Proust, le 18 novembre 1922, celle de Franz Schubert est le 19 novembre 1828. Ce n'est pas un anniversaire que l'on commémore normalement avec éclat comme on l'a fait pour le 250ème anniversaire de la naissance de Beethoven en 2020, son contemporain.
Pour Schubert, il faudra attendre 6 ans pour le bicentenaire de sa mort.
Pourquoi en parler alors ?
Du 12 au 16 octobre dernier, ce furent les "Schubert days".
A cette occasion, Schubert a été mis à l'honneur sur Musiq3.
Le point de ressemblance entre Proust et Schubert, c'est leur romantisme. Proust s'exprimait par l'écriture, Schubert par la musique.
Les ressemblances s'arrêtent là.
Franz Schubert en admirateur inconditionnel de Beethoven, incarne une des formes musicales intimistes les plus respectables et les plus persuasives du romantisme près d'un siècle avant Proust.
Contrairement à Marcel Proust dont je ne connaissais que par le nom, je connais bien et apprécie la musique intimiste de Schubert.
Fils d'un maître d'école, il est le douzième enfant des dix-neuf enfants de la famille. Pendant quatre ans, il est instituteur.
Enfant prodige non découvert, il quitte sa famille et devient SDF sans ressources assurées en vivant une vie de bohème à Vienne sans presque jamais l'avoir quitté sinon par un voyage à proximité invité par un ami.
Composant sur un coin de table avec euphorie, il tente d'oublier la médiocrité de sa vie amoureuse suite à une déconvenue sentimentale qui le rendent méfiant vis-à-vis des femmes dans un complexe d'infériorité liée avec la disgrâce physique représentée par une petitesse trapue de 1m56, chaussé de lunettes, une musculature robuste qui offre l'expression classique d'harmonie, de force et de douceur qui l'a fait surnommer ‘champignon' .
Sa sociabilité l'oblige à s'entourer de compagnons et d'amis pour se sentir à l'aise contrairement au côté misanthrope de Beethoven.
Timide, cordial et casanier avec son l'exaltation intérieure, il possède le privilège de d'arracher secrètement au prosaïsme de la vie des trésors insoupçonnés de poésie dans la manifestation la plus humaine et la plus durable de cet idéal artistique engendré par une forte épidémie d'individualisme qui sévit déjà à cette époque.
Dépourvu d'ambitions, appelé Schwammerl, il l'exerce dans les cabarets, les guinguettes et les Weinstuben.
Des années de crise se suivent pour lui.
Il passe sa vie dans de petits groupes où il compose sa musique de Lieder et oniriques pièces pour piano qu'il joue avec son grand ami Vogl.
Dans des "Shubertiades", il était mondain par le fait qu'il se réunissait avec des amis mondains, mais sans leur voler leur potentiel d'ostentation.
Dans ce genre de réunions musicales et culturelles privées, il interprète ses œuvres pour se consoler de son physique ingrat d'homme.
Ces réunions ont une composante littéraire, notamment dans les lieder, des poèmes mis en musique, ainsi que par les lectures d’œuvres de ses amis poètes et des jeux théâtraux qui y sont donnés.
Ses inspirations proviennent de ses contemporains de Pietro Metastasio
à Walter Scott en passant par Shakespeare, Novalis, Rückert, ses amis Grillparzer et Mayrhofer mais il ne s'en tient pas à une forme stricte.
En 1814, il fait la connaissance, par l'entremise du groupe de Linz, du poète Johann Mayrhofer qui lui inspirera de nombreux lieder.
En 1815, Franz von Schober, un des esprits brillants de l'époque, a un rôle déterminant dans sa vie sociale et intellectuelle.
Sa notoriété grandit et dépasse le cadre des salons littéraires.
Son nom commence à se faire connaître bien que, en manque d'ambition, le succès n'est pas retentissant.
Le 20 décembre 1823 a lieu la première de Rosamunde, pièce de Helmina von Chézy pour laquelle il a composé la musique de scène. Elle est accueillie favorablement mais la pièce est un fiasco et disparaît de la scène après deux représentations.
Cela explique peut-être l'injuste oubli dans lequel ont parfois sombré 600 lieder, dix symphonies, 15 quatuors à cordes, 17 opéras, 7 messes, cantates et musique de chambre, écrits avec une facilité et une rapidité extraordinaire pendant sa courte existence.
Il joue, au centre du romantisme autrichien, le rôle d'une viole d'amour qui vibre docilement à toutes les sollicitations et traduit avec une sincérité touchante la mélancolie et la tendresse des humbles, face à la tristesse et la douceur de vivre par l'intermédiaire d'une musique qui ne doit rien aux procédés scolastiques mais résolvant les problèmes les plus complexes de la composition seulement par son seul instinct qui regorge de trouvailles harmoniques saisissantes par la prolifération d'accords nouveaux engendrant des locutions inattendues plus nuancée et sans aucune grandiloquence dans l'expression d'un sentiment ou d'une pensée en face de la nature ou de l'amour (extrait de "Histoire de la musique" par Emile Vuillermoz).
Sa musique ne veut chanter que l'amour avec la douleur de vivre et des visions fulgurantes.
Comme pour tous les compositeurs du 19ème siècle, Schubert est un amoureux de la nature, amateur de longues promenades en montagne
De mai à octobre 1825, il quitte Vienne pour la première fois, au pays de son ami Vogl et auprès de la Famille Esterhazy au château de Zelesz en Haute-Autriche.
Pendant cet été, il découvre avec ravissement la région du Salzkammergut avec ses bois et de ses champs.
Il écrit à son frère : "Te décrire le charme de cette vallée est presque impossible. Imagine-toi un immense jardin de la superficie de plusieurs milles, et dans lequel d’innombrables châteaux et domaines apparaissent devant ou à travers les arbres. Imagine un fleuve qui serpente de la manière la plus capricieuse. Imagine-toi des prairies et des champs comme autant de tapis des plus belles couleurs, le tout entouré de masses grandioses qui les enserrent comme des liens et enfin des allées d’arbres immenses, longues de plusieurs lieues. Tout cela environné à perte de vue des plus hautes montagnes, comme si elles étaient les gardiennes de ces vallées célestes. Imagine ça et tu auras une faible idée de son indicible beauté. [] Je me réjouis surtout à la pensée des vendanges, car on en dit mille choses amusantes. La moisson aussi est très belle ici. On n'engrange pas le blé comme ailleurs en Autriche. On élève au beau milieu des champs d’énormes tas qu’on appelle 'Tristen'. Ils sont disposés de manière si adroite que la pluie ne peut les abîmer en tombant. On enfouit aussi dans la terre, l’avoine et les grains".
Mais, pour lui, l’été s’éternise.
Nostalgique de la vie à Vienne, avec les amis, les théâtres, les cafés, il finit par écrire : "Il n’y a pas une âme ici qui ressente le vrai en art, tout au plus de temps à autre, la comtesse. Je suis donc seul avec ma bien-aimée, la musique et je dois la dissimuler dans ma chambre, dans mon piano et dans mon cœur. Quoique cela m’attriste souvent, d’un autre côté, cela ne fait que m’élever davantage. "
De plus, à cette époque, il a contracté une infection vénérienne probablement de syphilis qui lui impose un séjour à l'Hôpital général de Vienne. Quelques rémissions, mais sa santé, à partir de ce moment, ne cesse de se dégrader par un traitement au mercure qui a considéré malheureusement comme un produit miracle.
Pendant ses dernières années, sa maladie altère son esprit et le goût du public ne suit pas l'évolution de sa musique.
L'exécution de la Symphonie en ut majeur est abandonnée.
Des désaccords dans le cercle des schubertiens se font jour au sujet d'un quatuor à cordes ou de la Sonate en sol majeur.
Sa 8ème symphonie prend le nom de "Symphonie n°8 Inachevée" parce qu'elle est retrouvée des années après sa mort ne comportant que deux mouvements.
Le 26 mars 1827, meurt Ludwig van Beethoven.
Admirateur inconditionnel, il y participe comme porte-flambeau à la grande cérémonie de ses funérailles. Cette disparition agit comme un élément libérateur puisqu'il est élu comme membre titulaire du directoire de la "Société des amis de la musique".
Le 28 mars 1828, le premier concert totalement consacré à ses œuvres est un grand succès, un peu éclipsé toutefois par la présence à Vienne de Niccolò Paganini.
A la fin de sa courte vie, malade du typhus, il est amené chez son frère avec son âme simple et généreuse éloignée de toutes préoccupations terrestres.
Il expire le 19 novembre 1828 à l'âge de 31 ans dans l'apaisement par la délivrance de la souffrance, après deux semaines d'agonie par la fièvre typhoïde, il meurt et demande d'être inhumé auprès de Beethoven qui l'avait précédé d'un an dans la tombe.
Sa dépouille sera transférée en grande pompe en 1888 dans le « carré des musiciens » dans la nécropole de Wahring du cimetière central de Vienne, où sa tombe avoisine aujourd'hui celles de Gluck, Beethoven, Johannes Brahms, Johann Strauss et Hugo Wolf.
La mort seule semble être parvenue à réunir ces deux hommes de génie dont les destins se frôlent sans jamais se fréquenter, ni se lier d'amitié, malgré l'admiration qu'ils éprouvent l'un pour l'autre.
Le 18 juin 1912, sa maison natale de Franz Schubert est inaugurée. Y sont exposés objets, tableaux, documents de la vie et de l'œuvre de l'artiste.
Il avait deux grandes qualités.
La musique et les amitiés.
Brûlé avant l’heure par la syphilis et une inspiration quasi pathologique, sa vie d’artiste est une intense hallucination fiévreuse.
Bohémien dans l’âme, célibataire malgré lui, Schubert existait pour ses amis autant que pour la musique.
Un jour, devançant d’un siècle l’idée de subventions, Franz s’exclama qu’il devrait être payé par l’État pour composer puisqu'il n’était né que pour la musique.
Son public rêvé n’était ni Dieu, comme Bach, ni les princes, comme Mozart, ni pour l’Histoire, comme Beethoven.
Son public idéal, c’était les copains et son théâtre quotidien, une mansarde.
Sa musique donne cet air de confidence spontanée, de rêverie inquiète, de joie naïve toujours filtrée par ses hantises tragiques dans l’errance, la solitude et la mort.
Franz Schubert a une citation qui me plait bien :
“Jouis toujours du présent avec discernement, ainsi le passé te sera un beau souvenir et l'avenir ne sera pas un épouvantail.”
Réflexions du Miroir
S'il faut comparer la vie de Franz Schubert avec Marcel Proust, il est clair que l'humilité et la discrétion de Schubert doivent être une des différences importantes malgré sa production musicale énorme.
Il n'y a pas de ville villégiature dans laquelle il résidait avec une vue à partir d'une fenêtre d'un Grand-Hôtel pour laisser une empreinte indélébile dans le patrimoine autrichien, rôle qu'il a laissée à Beethoven comme gardien de la mémoire.
Je sais que quand j'en ai marre d'écouter les musiques de variété trop bruyantes et que j'ai envie d'écouter une musique d'ambiance douce pour réfléchir devant mon écran, c'est la musique de Schubert qui me vient l'envie d'écouter.
Prolifique, son répertoire compte plus de 1000 œuvres musicales
... cataloguées par Otto Erich Deutsch en 1951 dont une partie importante est publiée après sa mort et révèle des chefs-d'œuvre qui contribuent à sa renommée posthume.
Difficile de parler de son œuvre de manière globale.
C'est dire que présenter un tableau complet est presque impossible.
S'il faut sélectionner quelques œuvres maîtresses, ce serait peut-être...
Symphonie N°5
...composée à l'âge de 19 ans, peut être jouée en privé dans la maison de Otto Hadwig mais dont la première exécution en public aura lieu en 1841, 13 ans après sa mort.
Impromptu N°3
Quintette La Truite
... appelé ainsi dans une manière de remercier son hôte avocat pour l'avoir recueilli à la campagne durant l'été 1819 pendant lequel il a été heureux, dont l'une des chansons favorites était "Die Forelle", qu'il fait correspondre à une petite pièce qu'il a composée quelque temps plus tôt sans beaucoup de succès à Vienne
Allusion
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