Se déplacer en 2020… (1)
Cette semaine je propose 3 publications différentes : deux témoignages qui mettent en lumière l’aliénation inouïe dans laquelle nous vivons désormais — et semble-t-il pour un certain temps — qui seront suivis, comme promis, d’une stratégie d’action.
Le journalisme étant particulièrement corrompu et le net tendant à remplacer la réalité, les témoignages directs deviennent indispensables. Seul le vécu donne l’énergie, assure l’orientation dans la recherche et maintient le bon sens. Si la science nous disait aujourd'hui qu’il faut marcher avec des boulets pour éviter le virus, il est fort possible qu’on finisse par réclamer des chaînes gratuites.
A ce propos, je rappellerai le conte d’Andersen « Les habits neufs du roi ». Deux escrocs prétendent tisser une étoffe qui possède l’étonnante propriété « d’être invisible aux yeux de ceux qui ne conviennent pas à leurs fonctions ou qui sont simplement idiots ». Le roi commande la précieuse étoffe aux deux escrocs, qui se mettent à faire semblant de tisser. Le roi se présente nu devant ses fonctionnaires qui, avertis des propriétés de l’étoffe, s’extasient à la vue du vêtement. La même aventure arrive au roi lui-même, qui n’ose dire qu’il ne peut rien voir. Le jour de la procession publique, chacun fait semblant de voir, craignant que l’on ne remarque qu’il ne peut rien voir, jusqu’à ce qu’un petit enfant cri : « Mais le roi est nu ! »
Cri qui défait l’imposture, qui fait tomber les masques, qui révèle les choses telles qu’elles sont. Notre raison alliée à notre peur sont terrifiées à l’idée d’admettre une situation sanitaire aussi absurde que criminelle. Mais à la feinte envers soi-même et envers les autres, l’enfant (ou le peuple éveillé) préfère voir et dire, quitte à être seul contre tous. C’est le courage du bon sens. N’ayons plus peur de voir le réel et de transmettre ce que l’on voit. Sortons, écrivons, échangeons, pensons, agissons jusqu’à que, comme à la fin du conte, le cri de l’enfant soit repris en chœur par la foule.
Je dois aller à Torino (Italie) d'urgence. Dans le train je suis avec 3 jeunes italiens. Ils travaillent dans le multimédia. Ils avaient un gros contrat à Paris, mais ont du rebrousser chemin car une personne de la boite parisienne est suspectée positive covid : fin du contrat. Arrivés à Lyon, on les oblige à repartir illico à Milan. Ils sont dépités. On fait le même constat quant à l’absurdité de la situation sanitaire. Notre rapport au masque est compliqué. On le touche, on le met mal, on le met bien, on l’enlève, on le remet, on s’entend pas, on s’endort mal.
Le contrôleur fait du zèle. A moins que ce ne soit une directive. Rapide et régulier, il passe toutes les 20 Minutes : « Mettez votre bien votre masque sur le nez et la bouche… le nez et la bouche ! ». A chaque passage il sue de plus en plus. Ses yeux sont rouges. Il a du mal à respirer. On serait pris de compassion s’il ne menaçait pas de verbalisation. Sa frustration se décharge sur autrui. Il augmente la cadence. La contrainte imposée nous rend agressif les uns envers les autres. On ne se pose même plus la question de la justesse de la contrainte. On se soumet et on subit. Et si l’autre ne se soumet pas et ne subit pas, c’est injuste. Le stratagème fonctionne bien : moi j’en bave, il est juste que toi t’en bave aussi. A l’union collective pour une meilleure santé, se substitue la division hostile au nom d’une égalité fondée sur la frustration. Et quand cette éducation citoyenne à la frustration est faite d’incohérences, de contradictions et de nuisances physiques, il n’est pas difficile d’imaginer les herbes amères qui pousseront de ce terrain de haine.
La douane française passe. Les 2 noirs du wagon sont contrôlés : papiers, bagages ouverts, sortie de train, questions etc. Mes voisins italiens et moi-même sommes choqués de cette violence. Manque de bol, ma valise est un peu perdue sur le rack à bagage du wagon. « A qui est cette valise ? » Je me lève. Certes j’avais l’air fatigué et plutôt métèque avec ma barbe de 5 jours, mais quand même… Papiers, bagages ouverts, sortie de train, questions : « Vous allez où ? Vous venez d’où ? Vous restez combien de temps à l’arrivée ? Vous êtes resté combien de temps au départ ? Combien de fois par mois ? Dans quel but ? Vous faites quoi dans la vie ? » Je réponds un peu machinalement, mais c’est à ce moment, au fond de ma valise, que la policière découvre le chapeau à fleurs de ma petite fille. Arrêt soudain. Coup d’oeil à son collègue. Nouvelle batterie de questions : « Ca vient d’où ça ? C’est pourquoi ? Pour qui ? » Hypnotisé par le rythme, je commence à répondre, mais je me reprends :
- Ca suffit comme ça ! Vous êtes intrusifs ! Vous cherchez quoi à la fin !?
- Quand on a rien à cacher, on répond !
- Ce n’est pas une question de cacher, c’est une question de surveillance. Ca vous plairait d’avoir quelqu’un qui vous surveille tout le temps ? Vous voyez l’atmosphère ? Ce n’est pas une question de dissimulation c’est une question d’intrusion !
N’ayant pas pensé à ça, il fait une pause :
- Bon on va y aller directement : est-ce que vous avez de la drogue, des armes, des objets contondants ?
- Ah… là au moins ça a du sens ! Non désolé, je ne transporte pas ce genre de produit. Mais si je suis suspect, c’est apparemment à cause de ma valise ? Pourquoi ma valise ?
- Mmmh… parce qu’elle est bleue. J’aime bien le bleu. C’est arbitraire… eheheh…
- L’arbitraire c’est la base de la dictature Monsieur.
Il reprend une pause. Mais avant de sortir une phrase incroyable, sa collègue qui voit le coté ridicule que prend la conversation et qui ne voit plus dans le chapeau de ma fille l’indice pour incarcérer un psychopathe pédophile en cavale, me répond, un peu embarrassée : « vous pouvez juste dire : rien à déclarer ». On me rend mon barda sans plus mot dire et je retourne à ma place. Je rapporte cet échange à mes voisins qui prennent le parti d’en rire. Un peu trop visiblement, car une dame très convenue vient leur signaler sur un ton poli mais tendu : « On peut rire, mais riez doucement. Merci ». Pas le temps de reprendre son souffle qu’une voix nous annonce en plusieurs langues : « Mesdames et messieurs, des agents de contrôle vont passer pour prendre la température du corps ». Une minute après de nouveaux contrôleurs déboulent avec des thermomètres en forme de pistolet. Et clic sur ton front : vert tu restes, rouge, tu descends, tu vas en isolement. Au moment du clic je fais mine de prendre une balle dans la tête. Une voisine se met à rire. Le contrôleur la regarde avec sévérité. Silence.
On passe la frontière. Je me remets à écrire. Ca recommence. Cette fois on distribue des « Auto-déclarations d’attestation covid-19 » qui reprennent en gros les questions de la douane mais par écrit. Je continue d’halluciner. Ca me rappelle les ausweis. Je fais profil bas : je dois rejoindre Turin à tous prix. Manque de bol, je n’ai pas de stylo pour remplir le formulaire. J’en demande un au contrôleur italien : « On ne passe pas les stylos : ce sont des agents de contamination. Veuillez télécharger le code sur la table ». Je cherche désespérément un stylo, car je ne souhaite pas entrer dans la base de données du ministère de la santé et de la SNCF. Et pour cause : mon amie est encore en quarantaine depuis 10 jours. En entrant en Italie, il y a obligation de faire le test pour reprendre son travail. Mais le résultat du test il faut l’attendre des semaines en isolement chez soi. En revanche le passage des données sanitaires entre les ministères et les banques est instantané : quand elle a voulu prendre de l’argent au guichet, l’employée lui dit : « Je vois que vous n’avez pas encore le test. Pas de test : pas d’argent. Veuillez rentrer chez vous, merci ». A ce rythme là on a des chances de surpasser les chinois dans le gardiennage. Un autre contrôleur… je re-tente le coup : « Un stylo ? Oui tenez, mais il s’appelle revient ». Tandis que je remplis le formulaire, une autre contrôleuse me demande de bien ajuster le masque. C’est difficile de se concentrer dans ces conditions. Nouveau contrôle de température. N’ayant pas vu le pistolet qui s’approche, je sursaute. Cette fois le contrôleur ne peut retenir un rire. Je rends le papier. Il faut le refaire car l’écriture doit être absolument lisible. La contrôleuse re-passe et d’une voix glaciale, elle me lance : « Remettez le masque. A la troisième fois… » une pause elle aussi… « je vous verbalise ! » Je suis rassuré : elle aurait pu me dire « je vous envoie au goulag ». Avec mes voisins on n’ose même plus se parler. Mais au moment de sortir, on s’échange les coordonnées en sous-main comme si c’était le code secret du débarquement en Normandie. Je vais remercier chaudement le contrôleur pour avoir oser me prêter son stylo. Il ne comprend pas bien : « Ah oui c’est aberrant les gens ne rendent jamais les stylos ! » Je lui précise qu’il ne s’agit pas du stylo mais du fait qu’il n’a pas eu peur d’être contaminé par le stylo (Père Ubu au secours !). Aussi bien atterré que survolté, je lui raconte que j’ai vécu ce genre de contrôle seulement à Cuba pendant la dictature. Il me scrute. Il observe prudemment autour de lui. Et là, l’incroyable a lieu : il ôte son masque. Il me présente son coude en guise de salut de reconnaissance. On se fait un « coude à coude ». Il prend son stylo et me fait un clin d’oeil entendu.
Je rentre dans le métro. Une odeur forte mais connue m’agresse. Je manque de vomir. J’essaye de la reconnaitre… mais oui c’est le nouveau parfum à la mode… le parfum de l’hygiène… le parfum de la maniaquerie obligée : le gel hydro alcoolique ! Dans le wagon je rencontre les 2 noirs du train. On échange sur la psychose ambiante. Pour eux, le port du masque c’est comme un contrôle de plus parmi tant d’autres. Ils ont l’air résigné. En fait ils sont discrets : au moment de sortir, on lève ensemble le poing noir de la colère et de la liberté. Ca fait du bien. Je sors de la gare. Peu de personnes ont un masque. J’apprendrai plus tard qu’à Turin, il n’y a plus d’obligation… pour le moment. C’est déboussolant car à Paris quand tu es assis pour prendre un verre, le virus est immobilisé par un cercle magique d’incantation du nom de consommation. Mais au moment où tu te lèves, le cercle magique se brise. Le virus diabolique déferle du haut du ciel, s’abat comme un fléau et transforme le riverain en un démon anti-social prêt à entretenir la malédiction de l’irresponsabilité citoyenne. Avec des mots scientifiques et sur le ton calme de l’apocalypse permanent, c’est ce que nous décrivent les médecins-apôtres de l’Eglise-Capitale. Quant au fléau, il est plus connu de nous : « Eh vous là ! Vous avez mal mis votre masque : 135€ »
***
Retour à Paris. Rien à signaler : tout pareil. Sauf que les gens ont déjà téléchargé l’application du formulaire Covid-19. Je commence à m’habituer. Une longue bataille, peut être la plus difficile, commence : celle avec moi-même. Comment ne pas se conformer à l’étouffement ? Soutenir le refus de la contrainte folle ? Soutenir la vie tout court ? La civilisation nous fait entrer dans une logique où se perdent le corps donc la tête. On se met un torchon sur le visage, on respire notre merde et on marche sur la tête. Ne pas perdre pied. Ne pas céder à la dictature du nombre. Dictature courante, soumission intégrée, « banalité du mal ». Au sein d’une civilisation fondée sur l’ennemi, la liberté individuelle est vite rattrapée et coupée. A-t-elle même encore un sens ? Peut-être n’a-t-elle jamais existé qu’en relation avec notre degré de servitude ?
Il y a quelque chose d’autre à suivre. De plus profond et collectif. Je compte sur la manifestation du 12 septembre pour me remonter le moral.
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