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Accueil du site > Tribune Libre > Sémantique du virage : être cépéisé...

Sémantique du virage : être cépéisé...

Le CPE restera dans les mémoires, bien qu’acronyme désignant un objet juridique inexistant, un mot-drapeau symbolisant à la fois un échec du gouvernement, une rétractation sémantiquement déguisée en remplacement, et le signe fort d’une incapacité collective, méthodologique et psychologique, à poser et à résoudre un problème crucial.

Comment faire marche arrière sans reculer, choir sans tomber, délaisser sans abandonner ?

Les princes qui nous gouvernent viennent de nous donner une leçon de sémantique tactique, ou plus brièvement de sémantactique, que Valéry Giscard d’Estaing, né sous X en 1944, Immortel depuis le 11 décembre 2003, siégeant au fauteuil 16, auteur méconnu d’une constitution controversée (Éditions européennes, 2004) et d’un roman oublié, Le Passage, (Robert Laffont, 1994) et qui vient de conseiller à son ennemi de trente ans de sortir du bourbier, doit apprécier en connaisseur.

Le CPE n’est ni supprimé, ni abrogé ni retiré ni annulé ni...
Non.
Le CPE est remplacé.
Mille applications de ce principe nouveau viennent à l’esprit sans tarder.
Ne dites plus : Vous êtes viré de votre poste, mais Vous êtes remplacé dans vos responsabilités.
Ne dite plus : J’ai biffé ce mot, mais J’ai remplacé ce vocable.
Ne dites plus : Il a retiré ses paroles, mais Il a remplacé ses déclarations.

Remarquons au passage que dans la réthorique primoministérielle, avoir voulu édicter deux ans d’incertitude est toujours déclaré comme la recherche d’un bon équilibre entre précarité et souplesse, et imposer par abus de droit législatif une solution sans avoir posé le problème aux partenaires impliqués demeure envisagé comme l’expression d’une attention chaleureuse mais hélas incomprise aux difficultés des salariés et surtout des sans-emploi.

Cette péripétie aura peut-être permis de lancer une réflexion méthodologique sur la construction concertée du changement. Espérons que la leçon porte, et imprègne les divers partenaires légitimement intéressés. Mais en la matière, les bonnes méthodes sont bien connues, nous en trouvons de milliers de descriptions dans la littérature managériale, pédagogique, philosophique : pourquoi les membres, a priori compétents, d’un gouvernement majoritairement élu ont-ils oublié de les mettre en oeuvre ?

Pour ce qui est de l’évolution psychologique, qui donnerait une âme aux méthodes de travail concertatives, ou a minima allégerait la double contrainte qui tenaille les acteurs des réformes (ça va certainement faire mal avant de faire probablement du bien, et je ne veux pas être celui qui fait mal pour qu’un bien en sorte, il va falloir ne pas abandonner en chemin, et je voudrais tant agir effectivement pour le plus grand bien du plus grand nombre), c’est peut-être affaire d’éducation. Ça va donc prendre du temps, et il est alors urgent de s’y mettre.

La substitution, à une mauvaise mesure curative, d’une extrapolation de mesures antérieurement connues comme uniquement palliatives ne résout en rien le problème essentiel : pourquoi l’emploi est-il une denrée rare ?


Et il n’en reste pas moins vrai qu’il va falloir abandonner l’idée que la vie professionnelle serait un large lac tranquille où la barque de l’emploi voguerait sans secousse dans les délices d’un printemps permanent.
Un soir, t’en souvient-il ? nous voguions en silence ;
On n’entendait au loin, sur l’onde et sous les cieux,
Que le bruit des rameurs qui frappaient en cadence
Tes flots harmonieux.

Pour avoir, fort d’un diplôme d’études supérieures renforcé au cours de trente années par de nombreuses formations complémentaires :
-signé avec huit employeurs dans ma vie
-tenu chez le premier plus de six postes différents
-changé quatre fois de métier
-connu deux périodes de chômage
-fini, si j’ose dire, comme créateur d’une TPE de services
tout en n’étant pas particulièrement d’un caractère instable, je sais à quel point la dynamique professionnelle se nourrit mieux du mouvement que de la stagnation.
La fracture sociale, en effet, ne brise pas seulement le lien entre prétendus riches et réputés pauvres, même si, aux deux extrémités de l’échelle des ressources, il y a certes quelques vrais riches et aussi, ce qui est bien pire, et même intolérable, d’authentiques pauvres.
Elle est aussi faille obscure entre les bien lotis pourvus d’emplois quasi inamovibles, même si peu rémunérés, quels que soient leurs engagements et résultats, et les malheureux perdants condamnés à ne quitter le radeau des petits travaux que pour embarquer en d’incertaines galères, quelles que soient leurs compétences et leur implication.

Je suggère deux utopies directrices à susurrer aux oreilles des représentants des travailleurs (le Medef est aussi un organe représentatif de travailleurs : il n’y a pas plus de patrons inactifs que de fonctionnaires paresseux ; les organisations de chômeurs aussi ont voix légitime au chapitre ; les ordres et structures de syndication des professions libérales de même) et à ceux du peuple (tiens, ce ne sont pas les mêmes ? comme c’est étrange...) :

-égalité fraternelle  : le même contrat pour tous, quel que soit l’employeur, y compris les collectivités, car aujourd’hui certains sont tout de même irréversiblement moins mobiles et moins fragiles que d’autres.

Autrement dit, alignement des critères de validité et des dispositions générales des contrats de travail sur les caractéristiques des autres contrats civils. En particulier, extirpation du concept de durée indéterminée, qui est un monstre sémantique.

-égalité libertaire  : parité des partenaires de ce contrat unique, car la dichotomie patron/employé n’a guère de sens dans une économie où l’écrasante majorité des entreprises compte officiellement entre zéro et dix employés (comme si le patron ne s’employait pas lui-même...).

Autrement dit, symétrisation accrue des obligations, dans la limite de ce qu’il faut introduire pour rétablir la parité entre les deux partenaires en termes de pouvoir mutuel effectif. Par exemple, la secrétaire d’un patron de petite entreprise qui donne sa démission sans justification, et s’en va sans coopérer à sa succession, lui crée un préjudice certain, que les pratiques actuelles ne prennent pas en compte.

Crédits  :
Scénario  : Merci au gouvernement actuel pour son imagination politique et verbale, et son sens dramaturgique développé, servi par une distribution de premier plan.
Citation : Merci à Alphonse-Marie-Louis de Prat de Lamartine, homme d’Etat, ministre des Affaires étrangères de la II République, et poète lyrique néo-classique, Immortel depuis le 5 novembre 1829, siégeant au fauteuil 7, et dont Gustave Flaubert disait (mais qu’en savait-il ?) : Il n’a jamais pissé que de l’eau claire.



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7 réactions à cet article    


  • Marsupilami (---.---.224.232) 12 avril 2006 11:31

    Excellent, intelligent et hilarant !

    Houba houba !


    • Bernard Dugué (---.---.188.88) 12 avril 2006 11:47

      La marque Renault a décidé de rappeler les Morganes dans ses ateliers, pour remplacer les ceintures de sécurité en raison d’un dysfonctionnement. Une autre fois ce sera les freins qu’il faudra remplacer

      Le gouvernement a décidé d’en faire autant. Le projet de loi sur l’égalité des chance a été rappelé dans ses ateliers afin que la pièce défectueuse, le CPE, soit remplacé en raison de risques accrus d’incidents dans la rue mais aussi un risque pour la croissance économique


      • Raz Le Bol (---.---.178.150) 12 avril 2006 15:45

        Votre article, Monsieur Adamantane-Freemen69, est vraiment très original et devrait faire l’objet d’un sujet de philosophie au Bac ! Ma proposition est sincère et n’est pas du tout péjorative.

        Permettez entre autre de vous « plagier » et utiliser votre sémantique. On peut dire Cépéisé, Enarquisé (équivalent à Chiraquisé/Villepénisé/Hollandisé/Ségolènisé..), Mitterandisé, syndicalisé (différent de syndiqué).... ou tout simplement être « moutonnisé » durant des décennies.

        Corrigez moi si je me trompe, mais on dit bien qu’il n’y a que des imbéciles qui ne changent pas d’avis !« ou » Il n’y a que ceux qui ne font rien qui ne font pas d’erreurs".

        Alors, oserais je dire que nous avons été et sommes gouvernés par des imbéciles ou par des gens qui ne font rien pour ne pas faire d’erreurs depuis des décennies.

        Corrigez moi aussi si je me trompe en disant que d’un côté notre pays fonctionne encore avec des lois du Code Napoléon, et d’un autre côté, notre monde du travail est géré par le Code du travail le plus volumineux du monde qui s’est doté de 800 pages supplémentaires en 10 ans.

        Le CPE n’est pas une exception. Combien de lois ont été votées, promulguées, mais jamais publiées au journal officiel ou jamais appliquées car inapplicables ? En fait, çà fait longtemps qu’on Cépéise dans notre pays mais ce que nous venons de voir est tout simplement cyclique. Celà fait longtemps qu’on est pas descendu dans la rue car on n’en avait pas l’occasion.

        Et voilà, le CPE est arrivé à temps. Notre « Chiraquisé » gouvernement a « Villepénisé ». Et Banzai, On a profité pour syndicaliser et moutonniser une partie du pays ! Je n’oserais pas dire une minorité car on me répondrait certainement qu’il y a 85% de la « Populace »....

        Je cherche maintenant un mot, un seul qui pourra qualifier le prochain homme d’état. Comment traduit-on le mot anglo-saxon « EQUALIZER » en français ? « ZORRO ? »

        Les partis Gauche/Droite ! On vote à Gauche ou à droite selon son humeur du moment ! Dans la famille des Enarques de la promotion « Voltaire », Je voudrais ... Cherchez bien dans la photo, vous les retrouverez tous !

        Le Medef ! Ne l’embêtez pas sinon il délocalise ! C’est le mot à la mode avec ...... avec, j’ai trouvé : Précarité !

        Les syndicats ! Oh ! c’est comme la concurrence des opérateurs de téléphones mobiles ou des grands groupes pharmaceutiques... On se bat pour avoir des clients mais on se met d’accord pour descendre dans la rue et embêter tout le monde pour rappeler au reste du pays (83%) qu’ils sont là (7%) !

        Les syndicats étudiants ! Ouah ! A qui est capable de mettre le maximum de pagailles. Une place est réservée au PS, PC.. Bureau politique ...après avoir épuisé tous les cycles de l’université. C’est gratuit et il y a Papa et Maman qui payent, et bien sûr l’Etat (Avec quel argent déjà ?)

        Je ne descends pas plus bas car je risque d’avoir des problèmes...

        Et maintenant, si on arrêtait de Cépéiser ? Si tout ce beau monde se décidait de s’asseoir à une table pour trouver une solution ou des solutions contre la pauvreté, le chômage des jeunes et aussi des seniors (On n’en parle plus ?), la violence.... Et essayer de les mettre en application, de corriger si çà ne marche pas bien sur le terrain...pour ramener enfin dans notre pays cette « égalité fraternelle » et « libertaire » dont parlait Monsieur Adamantane-Freemen69.

        Il n’y a pas que 65 millions d’imbéciles dans notre pays qui ne font rien quand même ????

        « J’ai un rêve » , a prononcé ce 28 août 1963 Martin Luther King..... Nous sommes le 12/04/2006 en France et notre pays n’est toujours pas foutu d’arrêter de Cépéiser !


        • Bachy Pierre (---.---.74.90) 12 avril 2006 17:46

          Merci pour cette mise au point. Je ne ferai pas de commentaires sur le fond du problème, étant belge...Mais sache que l’on a en Belgique l’équivalent du CPE depuis 1999 sous le nom de « plan Rosetta » et qui n’a posé aucun problème d’application.

          Maintenant, je suis CPF (Coin Pour Fumeur) Lol


          • Marsupilami (---.---.160.234) 12 avril 2006 18:22

            Plan Rosetta à cause du magnifique film des frères Dardenne ?

            Si c’est ça, c’est vraiment dur...


          • NGK NGK 13 avril 2006 15:45

            Cet aprés-midi, au Sénat, il a été question de l’usage des termes, et de l’abrogation « non-prononcée » du CPE. A noter le retour de Jean-Pierre Raffarin. Bises de Nath.


            • Mchess (---.---.61.178) 14 avril 2006 12:48

              Il existe un ouvrage de Mr Eric Hazan - LQR, la propagande du quotidien - qui tente de décrypter l’utilisation du language par les pouvoirs dominants. Des exemples ? On ne dit pas pauvres, ni exploités, mais exclus, couches sociales au lieu de classes sociales, éloignement à la place d’expulsion, plans sociaux pour licenciements collectifs, traitement social du chômage pour développement de l’emploi précaire, prise en otage des usagers pour grève dans les transports publics, etc.

              Ceci à titre d’info. Je ne donne pas d’avis sur ce livre , ne l’ayant pas encore lu

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