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Sénégal : Entretien avec Maurice NDEYE, responsable du laboratoire Carbone 14

Fondé en 1965 par le Professeur Cheikh Anta Diop, le laboratoire Carbone 14 est une référence, de part ses résultats, dans le monde de la recherche internationale. Mais cette œuvre du grand égyptologue sénégalais, implanté à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) fait face à diverses contraintes.

Dix-huit ans après sa disparition, que reste-t-il de ce patrimoine ? Qui sont ses héritiers ?

Dans cet entretien, le Docteur Maurice NDEYE, responsable de ce laboratoire, revient sur l’historique, les activités et difficultés que rencontre ce laboratoire implanté à l’Institut fondamental d’Afrique noire (IFAN) de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD).

Docteur Ndèye, voudriez-vous vous présenter ?

CNDST : Je suis Docteur Maurice Ndèye , chercheur au le laboratoire Carbone 14 de l’IFAN Cheikh Anta Diop de Dakar. Je suis docteur en physique donc physicien de formation. Je suis un produit de l’Université Cheikh Anta Diop, pour avoir obtenu tous mes diplômes au Département de Physique de l’UCAD. J’ai été recruté dans ce laboratoire en 2001.Le laboratoire carbone 14 a été réhabilité et devenu fonctionnel. Je mène mes recherches ici et je suis le chef du laboratoire depuis 2003.

 

Quel est l’historique du laboratoire Carbone 14 de l’IFAN ?

Ce laboratoire a été créé par le Professeur Cheikh Anta Diop que vous connaissez ; cet éminent savant qui est d’ailleurs le parrain de notre université. Il a créé le laboratoire vers les années 60, précisément en 1965, de retour de la France où il venait de terminer ses études. Ainsi, ce laboratoire fonctionna de 1965 jusqu’en 1986, année de sa mort. Entre 1986 et 2000, le laboratoire est resté en hibernation. Il a fallu que le gouvernement mette les moyens pour le réhabiliter.

 

Quelle en est la spécificité ?

C’est un laboratoire de datation par la méthode Carbone 14. Cette méthode a plusieurs applications, qui vont de l’archéologie, de la géologie, de la géologie, jusqu’aux applications en médecine. Donc, ce que nous faisons actuellement, ici, c’est effectivement des datations avec plusieurs applications. Il en existe dans l’Archéologie, la Préhistoire, la Géologie, la Géomorphologie, l’Océanie, etc.

Les thématiques sont ainsi variées. Par exemple, j’ai beaucoup travaillé durant ces dernières années sur ce qu’on appelle les « Ages réservoirs ». Vous savez, lorsque l’on fait de la datation par le Carbone 14, on calcule l’âge de l’échantillon qui est un âge conventionnel a priori. Ensuite, il faut le convertir en âge réel, c’est ce qu’on appelle la calibration. Cette dernière requiert beaucoup de paramètres. Et l’un de ces paramètres les plus importants, surtout pour les échantillons marins, c’est de calculer ce qu’on appelle l’effet réservoir. Et cela n’avait jamais été calculé sur nos côtes ici. D’ailleurs, c’est l’objet de ma thèse d’Etat. Donc, on a dû calculer cet effet réservoir pour contribuer un peu à la calibration de nos échantillons, ici, au niveau des côtes sénégalo-mauritaniennes. Il y a aussi l’évaluation de la production en CO2 dans l’atmosphère. On peut utiliser une méthode dérivée du Carbone 14 pour faire ce calcul. On a eu à présenter des papiers dans ce sens, à la conférence sur le carbone 14 à Paris, en 2012. Ces résultats sont la preuve que des mesures d’une aussi grande importance pouvaient se faire de ce laboratoire. C’est une contribution en CO2 de nos industries à Dakar. Evaluer la teneur en CO2 atmosphérique est une nécessaire car le CO2 est l’un des gaz à effet de serre important prise en compte dans le réchauffement climatique. Cette contribution en CO2 dans notre région est très importante à connaître pour l’évaluer par rapport à celle qui est mondiale.

 

Où en êtes-vous en termes de résultats de recherche disponibles ?

Nos recherches sont consignées dans des journaux spécialisés. C'est-à-dire que nous faisons des publications dans des journaux précis. En général, comme on travaille sur le Carbone 14, on publie dans des journaux indexés, comme « Radiocarbon journal » qui est le plus connu dans ce domaine. Donc, nous y publions régulièrement. Pour vous en citer quelques articles, dans « Radiocarbon », (RADIOCARBON, Vol 46, Nr 1, 2004, p 117–122) nous évoquons les performances de ce laboratoire. Parce que, pour une précision, nous travaillons, ici, avec un compteur qui est différent de celui que Cheikh Anta Diop utilisait. En termes de background (0.1cpm), nous pouvons dire que ce compteur à scintillation liquide à un bruit de fond trés réduits, comparé au compteur proportionnel. Les résultats obtenus avec ce compteur sont très précis du fait de ce background. Notre échantillon est transformée, non pas en CO2 mais en benzène.

Nous avons aussi publié dans des Revues d’Egyptologie et de Civilisation africaine (ANKH No 16,2007), l’ensemble des dates du Carbone 14 que nous avons eu à faire entre 2000 et 2007, avec leurs cartographies, sur le Sénégal et la Mauritanie.

Un autre article sur les âges réservoirs a été publié sur « Radiocarbon journal  » (Radiocarbon,Vol 50, Nr 2, 2008, p 281–288 et Radiocarbon, Vol 53, Nr 1, 2011, p 167–173) qui est une très grande contribution à la calibration des âges radiocarbones. Auparavant, les gens pouvaient faire des erreurs de plus de 400 ans. Imaginez que dans une chronologie, si vous faites une erreur sur un tel nombre d’années, cela veut dire que vous perdez une bonne information. On est arrivé à avoir un moyen dans la calibration de prendre en compte cet effet réservoir et vraiment bien dater.

En collaboration avec des collègues de Montpelier nous publions aussi le journal Africa Geosciences (Africa Geoscience Review, Vol. 16, No. 4, 233-246, 2009.).

Nous avons aussi des publications au niveau local, au sein de l’IFAN il s’agit précisément« BulletinA » (BulletinIFANCh.A.Diop,Dakar.T.LIII,sér.A.no1,2012 ;pp.123-139)

 

Quels sont les problèmes auxquels vous êtes confrontés dans votre laboratoire ?

Comme tout labo, on est certainement confronté à beaucoup de problèmes. Par exemple, il y a celui de l’électricité. C’est un problème sérieux, parce que nos machines fonctionnent avec l’électricité. On n’a même pas de groupe, c’est lamentable, mais un laboratoire de cette envergure, normalement, devrait avoir un groupe électrogène. Je ne cesse de le dire, il nous faut, quand même, sécuriser ce matériel qui est cher. Le compteur qui est là coûte environ 50 millions (FCFA). Mais actuellement, on a des soucis avec ce compteur, à cause des coupures d’électricité qui se répétaient, les onduleurs ont dû craqués et ils ne fonctionnent plus. Après au moins 14 ans le compteur n’a jamais eu d’entretien.

On est en train de voir comment faire pour emmener un technicien de l’extérieur pour venir le dépanner mais cela coûte cher. Donc, là, vous avez des problèmes élémentaires. En plus, il y a des problèmes au niveau des produits. Il faut les acheter régulièrement. Nous avons ici un liquéfacteur d’azote qui fonctionne avec de l’hélium. Pour effectuer les synthèses c’est-à-dire la transformation de l’échantillon en benzène, il nous faut nécessairement utiliser de l’alcool à moins 80°C, de l’azote liquide à moins 185°C. On achetait de l’hélium au début mais on s’est rendu compte qu’il est possible d’avoir de produire de l’Azote liquide avec l’acquisition d’un petit liquéfacteur de 40L par jour .Le liquéfacteur est fonctionnel malheureusement le niveau de l’hélium est faible et là aussi pas de maintenance.

On vous donne du matériel de « dernier cri », mais il n’y a pas personne pour assurer la maintenance. Il n’y a pas de contrat de maintenance. On devrait avoir des techniciens qui interviennent régulièrement comme cela se fait en Europe où le chercheur vient seulement dépouiller ses résultats et les interpréter. Il n’a pas besoin d’être de se substituer à un technicien. De temps à autre avec la petite expérience acquise dans d’autres laboratoires à l’extérieur, j’interviens sur la machine, mais cela ne règle pas tous le temps les pannes. Voilà les véritables problèmes, les gens ne sont pas toujours dans les conditions idéales pour faire leur travail.

En conséquence, vous perdez une journée facilement, voire une semaine à régler des détails. Actuellement, cela fait des mois qu’on n’est pas en train de faire des datations alors qu’on a une demande pressante de ces dates-là. Donc, ici, ce n’est pas un problème de compétence ou quoi que ce soit, la maintenance du matériel n’existe pas, on n’est donc pas dans les conditions de travail idéales. Là on est presque à l’arrêt et ce n’est vraiment pas normal.

Ce laboratoire ne devrait normalement avoir un budget ou défaut avoir une subvention pour son fonctionnement. On ne peut pas continuer à dépendre du budget de l’IFAN qui se met en place tardivement.

 Ici, c’est un laboratoire de physique et chimie qui demande un entretien régulier du matériel. Nous n’avons pas de financement particulier, à part le budget de l’IFAN. Et là nous ne sommes même pas prioritaires.

 

Alors quelles solutions préconisez-vous ?

Je vais rappeler d’abord que ce laboratoire a participé à plusieurs rencontres. Depuis que je suis là, le labo a participé à quatre conférences sur le Carbone 14. En effet, chaque quatre année, les spécialistes de la datation par le carbone 14 et disciplines associées se retrouvent quelque part et organisent une conférence internationale (International Radiocarbon conference). Malgré nos problèmes, nous avons réussi à présenter des résultats aux quatre dernières conférences. Cela veut dire que des efforts sont consentis dans ce sens. Lors de la plus récente, qui s’est tenue en 2012 à Paris, j’ai présenté la candidature de Dakar. Et figurez-vous, on a été plébiscité, parce que c’est Dakar qui a gagné face à Boston pour l’organisation de la 22ème conférence internationale qui aura lieu en avril 2015. Et cette rencontre se fera ici malgré nos maigres moyens.

La solution, pour moi, c’est d’avoir un financement de l’état ou de Bailleurs, un budget minimum pour le laboratoire. Pare ce que nous sommes d’abord un laboratoire de recherche mais aussi un laboratoire transversal. Je l’ai dit, les applications sont diverses. Même les labos des lycées disposent d’un certain financement pour renouveler leurs produits, a fortiori, un labo d’une université.

 


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Seydou Badiane

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