SERVICE CIVIL OBLIGATOIRE ? Réflexions sur la gratuité
Le concept de gratuité existe depuis la nuit des temps, cela ne fait aucun doute. Le don, le don de soi, l'entraide font partie intégrante de toutes sociétés humaines.
Cela a été montré -sinon démontré- par Marcel Mauss, l'illustre ethnologue, relayé par Orwell ( commun decency, dans « Quai de Wigan, et autres...).
Cette gratuité a été reprise, comme une trouvaille, par les décroissants ( cf. Paul Ariès).
Ce qui semble en rester à la gauche « vraie », c'est la gratuité des services publics -ce qui n'est pas une vraie gratuité puisque payés par les impôts de tous- et la gratuité de l'eau et de l'énergie nécessaires à la survie ou à une consommation minimum.
Pour ma part ( hormis le service public, cela va de soi), l'énergie devrait se payer à son prix coûtant, même pour les premiers KWH et les premiers mètres cubes d'eau ; une surconsommation taxée financerait une part des investissements ; l'énergie a un coût cependant que nationaliser les trusts et gérer l'eau par les services publics, n'induiraient aucune plus-value pour l'enrichissement des actionnaires, donc, le prix serait « juste » .
Je ne vais pas rappeler que toutes les entreprises privées qui ont repris les transports, routes, énergie et eau, sont arrivées après que toutes les infrastructures avaient été payées par le citoyen !
Les bourgeois ( oui, je sais, c'est un peu vieillot comme mot mais pas encore obsolète , si ?) aiment donner... aux leurs ! On connaît la chanson ! J'aime d'abord ma famille, puis mes amis, puis mes voisins ; en général, le grand sac d'amour ( argent) qu'ils possèdent s'est vidé avant d'arriver chez le voisin !
Donner aux siens, c'est donner à soi, donc ! Ce n'est pas un don.
Il y a bien les dames patronnesses qui donnent de leur temps ! Mais avec parfois tant de dédain que les aidés les plus fiers préfèrent crever tout seuls dans la rue !
Parce que le don, c'est le don de son temps, le don de ses talents, de son savoir-faire, il se fait avec cœur.
Néanmoins il ne faudrait pas que le don soit confiné dans la « générosité », en quelque domaine que ce soit, car la générosité est un trait de caractère, bien souvent exploité ! Le sujet est vaste, trop pour être étudié ici.
La société décente ( Orwell) qui se base sur « le savoir donner, savoir recevoir et savoir rendre » ( savoir recevoir, c'est-à-dire ne pas prendre le don comme un dû) a été mise à mal par le tout-puissant argent ! « je te paye donc je ne te dois rien », ce qui oblitère le « coeur », donc réduit l'échange à un simple commerce !
Nous y sommes.
Bien sûr, on gagne sa vie avec ses talents, son savoir-faire ou son savoir ; néanmoins j'imagine une société où une petite partie de ce temps devrait pouvoir être « donnée » à tous. En fonction de ses moyens et gérable comme cela nous convient.
La gratuité est à ce point importante dans le fonctionnement social de l'homme qu'il ne doit y avoir que peu de spécimens qui s'y soustraient !
La vie associative, le militantisme, les bonnes œuvres sont aujourd'hui le lieu de cette gratuité ; jamais comptabilisée du reste, dans le PIB !
Et pour la rétablir au niveau de valeur fondamentale, pour tous, il existe quelques moyens.
Naguère il y eut le service militaire. Celui-ci semble oublié aujourd'hui.
Je fais partie d'une génération où tous les hommes faisaient ce qu'ils pouvaient pour y échapper ; et ceux qui y avaient été appelés en revenaient traumatisés.
Néanmoins, dans cette contrainte faite aux hommes, s'il y avait des abus, il y avait des points positifs : on y apprenait à lire, ou à conduire ; à partir de l'armée on pouvait mener de hautes études d'un niveau que personne ne peut mettre en doute.
Y étaient mélangées toutes les couches de la société et même les « planqués » ( étudiants, médecins, dentistes,etc.) se frottaient à des jeunes de leur âge, ou plus jeunes, qu'ils n'auraient jamais rencontrés autrement.
Comme j'ai toujours détesté cette manière de faire « table rase » du passé, comme si soudain « tout » avait été mauvais et comme par ailleurs, je suis antimilitariste, pacifiste et non-violente, l'idée d'une resucée du service militaire ne m'effleure pas !
En revanche -et pour le moment- le néo-libéralisme laissant de côté tout ce qui n'est pas rentable, nos sociétés souffrent de manques, de travaux essentiels pourtant non réalisés.
Il nous faut réfléchir aux moyens efficaces de changer une société qui ne va plus.
On peut prôner la révolution ; celle-ci, en général surgit plus qu'elle n'est programmée et comme l'a montré Stendhal et d'autres après lui, il y a toujours des aspects de la psyché humaine qui la font capoter !
D'autres prônent l'éducation ; oui, bien sûr mais l'éducation n'est dispensée que par les bons élèves, c'est-à-dire ceux qui ont bien intégré les valeurs de cette société ! Ils sont donc mal placés pour en amorcer le changement, surtout dans un système étatique bien ficelé.
J'ai donc réfléchi, et je vous en propose un schéma, à un service civil obligatoire pour tous.
La gauche, quant à elle ( la gauche : il nous faudra vite en venir à l'évidence que le PS n'est plus à gauche de manière à n'avoir pas, à chaque fois, devoir le spécifier) donc la gauche de la gauche, la gauche vraie, n'aime pas trop la gratuité du temps : elle y flaire tout de suite l'exploitation.
Elle a à ce point intégré le capitalisme comme unique mode de gérer, fonctionner et penser que pour elle, « donner son travail » est une hérésie.
C'est de cette hérésie dont je vais parler.
Instaurer un service civil obligatoire
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qui aurait pour but de sensibiliser les jeunes aux problèmes sociaux, de les éduquer en les incitant à sortir de leur milieu ; de les concilier avec le principe de gratuité ; de rendre cette générosité utile à tous ; de rompre le cercle infernal de leurs ambitions personnelles, de leurs craintes de ne pouvoir y parvenir ; de les faire se rencontrer, d'une région à l'autre, d'un pays à l'autre mais surtout d'une classe sociale à une autre ; d'occuper les exclus ou les perdants d'un système scolaire et de freiner les appétits de ceux qui y ont réussi.
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Qui aurait pour fonction de faire les travaux indispensables à un mieux vivre, et qui pourtant ne sont jamais faits dans une société marchande où tout travail non rentable est abandonné ; de renforcer le lien social dans tous les secteurs où celui-ci est sacrifié au « dieu rentabilité » ; de mêler les générations ; faire se côtoyer les classes sociales qui s'ignorent ; de responsabiliser tous les acteurs de ce projet.
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Qui aurait pour modalité de donner ou de maintenir le statut d'étudiants à tous les jeunes de 16 à 26 ans ( fin de scolarité obligatoire à fin d'études universitaires), en donnant des bourses à tous ceux qui y ont droit ; de laisser le jeune libre d'accomplir son service en un an plein ( 35 heures par semaine) ou fragmenté tout au long de cette période, selon le choix du lieu et de la tâche qu'il s'engage à accomplir ; de l'autoriser à se rétracter de son choix pour un autre s'il a été mal conseillé ou si lui-même s'est trompé ; de l'accompagner par l'intermédiaire de tous les conseillers de départ ( conseillers d'éducation principalement), des accueillants, des collectivités locales et de tous les volontaires locaux...
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Qui aurait pour résultats d'ouvrir l'esprit de tous, de casser les préjugés, de donner sa place au plus démuni ( quelque soit le domaine de carence), de donner sa chance à celui qui ne sait pas où aller dans la vie ou quoi faire plus tard ; de modérer l'arrogance des bien-nés et donner confiance aux autres ; d'inclure dans la société tous les exclus quels qu'ils soient...
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Qui aurait pour domaines d'application : les maisons de retraite, les hôpitaux ou cliniques, les écoles et collèges, l'agriculture biologique, l'élevage, les collectivités locales, les associations...
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Qui aurait comme interdit de faire faire un travail à la place d'un salarié, un travail de spécialiste, de transformer les obligés de ce projet en main d'oeuvre à bon marché, de prendre cette activité pour un marche-pied d'une carrière ( ainsi le conseil de changer complètement de milieu et de lieu serait une priorité)...
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Qui aurait pour obligation d'empêcher l'exploitation, de ne pas prendre le jeune pour un stagiaire, de faire un contrat clair au départ, de ne pas le payer mais le nourrir et le loger s'il y a délocalisation ; de le responsabiliser ; de ne pas lui demander plus de trente-cinq heures par semaine de présence ou d'action ; d'être souple sur les modalités mais exigeant sur l'engagement ; d'écouter et accepter tout investissement, non pas consenti mais voulu par le jeune, en connaissance de cause de manière à le laisser libre et ne pas entraver sa générosité ni son courage ni son imagination...
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Qui aurait pour devoir d'empêcher toute dérive, tout effet pervers, d'exploitation et de violence, de souffrance, par un suivi sérieux et un recours facile. Ainsi que tout autre effet pervers non prévisible.... mais de donner satisfaction, sinon à l'action elle-même, du moins à son résultat.
Dans un monde où le tissu social s'effiloche, où l'humain disparaît derrière le virtuel ou le profit, je verrais bien la petite pimbêche de Louis le Grand, aider à la traite des vaches dans un élevage bio du Cantal ; certes ses petites mains auraient des ampoules au début, elle aurait froid, n'aimerait pas patauger dans la boue, mais pour peu qu'il lui reste un peu de cœur et de désir d'aventure, elle réussirait sûrement à apprécier la beauté d'un lieu, la dureté d'un travail dont elle consommait jusque là les fruits, sans rien savoir de leur production. Et si rien n'avait pu l'inciter à quitter sa ville et son milieu, elle pourrait, tout au long de ses longues études, devenir répétiteur dans le collège voisin ; à moins de préférer jouer du piano, comme elle sait le faire devant les amis de ses parents depuis l'âge de quatre ans, devant des vieux et des vieilles éblouies, dans leur maison de retraite pour pauvres ! Et tout au long de son long travail de thèse sur les toilettes de la reine Marie-Antoinette, elle prendrait conscience de l'importance du cœur, à donner du bonheur à quelques-uns, au point, peut-être, de s'amouracher de tel ou telle jusqu'à venir le dimanche le ou la promener dans la cour ou le parc, volontairement et avec plaisir. Elle pourrait tout aussi bien en écrire les récits d'une vie ordinaire qui pour elle, seraient aussi extraordinaires qu'inédits !
Le petit maghrébin de la banlieue de Nîmes qui brûlait d'oser arracher le sac d'une mamé pour en trouver quelques sous, comme on se donne des défis initiatiques, pourrait trouver d'autres rêves dans le soin aux cochons, dans les Cévennes. Ramasser les châtaignes, les glands, nettoyer les auges et se prendre d'amour pour ces bêtes merveilleuses que lui, de toutes façons, ne mange pas.
Il travaillerait, puisque pour certains, parfois, le hasard fait bien les choses, avec le fils d'un lord ou assimilé, dont il moquerait la pusillanimité ! L'un à l'autre, chacun pourrait donner cette amitié improbable et pourtant éternelle.
Le petit timide, s'il n'est pas brisé par un effet pervers de cette aventure, rencontrerait, ailleurs, le lieu de s'affirmer et d'être reconnu.
Le petit péteux aurait des chances d'être tancé.
Et le mec normal qui aurait su choisir ce qui l'attirait le plus, dans le même élan qu'il prend aujourd'hui une année sabbatique pour « connaître le monde », tenterait deux ou trois expériences en des mondes différents.
Des pots cassés, des pleurs, sûrement ; mais les pleurs ne sont pas toujours à écarter pour la réalisation de soi !!!
Ce que peuvent se payer les enfants de nos élites : une année sabbatique, que les meilleurs d'entre eux ne passent pas forcément en voyage touristique mais bien souvent en expériences, aventures ou petits boulots, pourquoi ne pas l'offrir à tous ?
Nous verrons peut-être ensemble les nuances qui distinguent ce schéma de projet, de la révolution culturelle chinoise !!!
Et à propos de Chine :
« La meilleure manière de combattre le mal, c'est un progrès énergique dans le bien » Kouai ( K'ien Touei) Yi-King
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